La France devient notre ennemie (1)
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28/09/03 |
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15.13 t.u. |
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Thomas L. Friedman (2) |
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New-York Times (3), 28 août 2003
Il est temps pour les Américains de s'en rendre compte : la France n'est pas seulement notre alliée agaçante. Elle n'est pas seulement notre rivale jalouse. La France devient notre ennemie.
Si vous recoupez le comportement de la France avant la guerre en Irak (empêchant le Conseil de Sécurité de fixer un ultimatum réel à Saddam Hussein, ce qui aurait peut-être évité une guerre), son comportement pendant la guerre (quand son ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, refusa de répondre s'il voulait que Saddam ou l'Amérique l'emporte), et son comportement aujourd'hui (en demandant le transfert de la souveraineté irakienne à une sorte de gouvernement provisoire précipitamment constitué et de la supervision de la transition démocratique irakienne aux Nations-Unies divisées plutôt qu'à l'Amérique), une seule conclusion se dessine: la France veut que l'Amérique échoue en Irak.
La France veut que l'Amérique s'embourbe en Irak, dans l'espoir insensé qu'un affaiblissement des Etats-Unis lui permettre de trouver sa place "légitime" : égale à celle de l'Amérique, sinon supérieure, dans la gestion des affaires mondiales.
Oui, l'arrogance de l'équipe Bush a aiguisé l'hostilité française. Si le Président Bush et le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld n'avaient pas tant péroré après la victoire militaire américaine en Irak - si, au contraire, ils avaient mis ce moment à profit, quand les Français sentaient qu'ils auraient peut-être dû y prendre part, pour magnanimement tendre la main vers Paris et l'inviter à se joindre à la reconstruction - ils auraient pu apaiser l'attitude française. Mais sur ce point aussi, j'ai des doutes.
Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c'est qu'il n'existe aucune autorité irakienne, cohérente et légitime, capable d'assumer le pouvoir à court terme. Tenter d'en imposer une maintenant entraînerait de dangereuses luttes internes et retarderait la mise en place des institutions démocratiques dont l'Irak a tant besoin. Les irakiens le savent. La France le sait, et c'est pourquoi sa proposition originale (laquelle, semble-t-il, sera modifiée) ne pouvait qu'être malveillante.
Ce qui me surprend le plus dans la campagne française - "Opération l'Amérique doit échouer" - c'est que la France ne semble pas avoir pris un instant conscience des conséquences pour elle-même d'un tel scénario. Permettez moi de le dire en toute simplicité: si l'Amérique est mise en échec en Irak par une coalition de Saddamistes et d'Islamistes, les groupes radicaux musulmans - de Bagdad aux banlieues mulsulmanes de Paris - seront tous stimulés, et les forces de modernisme et de tolérance dans ces communautés musulmanes seront en déroute. Imaginer que la France, avec sa large minorité musulmane dans laquelle les radicaux progressent déjà, ne verrait pas son propre modèle social affecté est fantaisiste.
Si la France était sérieuse, elle userait de son influence au sein de l'Union Européenne pour rassembler une armée européenne de 25000 hommes et un budget de 5 milliards de dollars pour la reconstruction. Elle dirait alors à l'équipe Bush : Voyez, nous voulons sincèrement vous aider à reconstruire l'Irak, mais maintenant nous voulons une place réelle à la table des négociations. Au lieu de ça, les Français ont avancé une proposition d'aliénés, juste pour montrer qu'ils peuvent être différents, sans même promettre une contribution significative de Paris si jamais les Américains disaient oui.
Mais la France n'a jamais été intéressée par la promotion de la démocratie dans le monde arabe moderne. C'est pourquoi sa posture actuelle, en nouveau protecteur d'un gouvernement irakien représentatif, après s'être satisfaite de la dictature de Saddam Hussein, est si manifestement cynique.
Clairement, tous les pays de l'Union Européenne ne sont pas à l'aise avec cette espièglerie française, bien que plusieurs suivent sa route. Je n'en reviens pas que l'Europe, induite en erreur par la France, puisse s'être laissé écarter du plus important projet de développement politique dans l'histoire du Moyen-Orient. L'équilibre et l'avenir du monde arabo-musulman, qui est pourtant aux portes de l'Europe, sera affecté par les développements en Irak. C'est comme si l'Amérique disait qu'elle ne s'intéresse pas à ce qui se passe au Mexique, sous prétexte d'un différent avec l'Espagne.
D'après John Chipman, directeur de l'Institut International des Etudes Stratégiques de Londres, "ce que les Européens disent au sujet de l'Irak, c'est qu'il s'agit de leur arrière-cour, qu'ils ne vous laisseront pas y mettre le nez, mais qu'ils ne s'en occuperont pas non plus eux-même."
Mais le plus triste, c'est que la France a raison : l'Amérique ne sera pas aussi efficace ou légitime dans ses efforts pour reconstruire l'Irak sans aide française. Avoir la France à nos côtés en Irak, plutôt que contre nous dans le monde, serait si bénéfique pour les deux nations et pour le futur des Arabes. Dommage que ce gouvernement français ait d'autres priorités.
Traduction subversiv.com
1- Titre original: "Our war with France". 2- Thomas Friedman est journaliste au New-York Times, spécialisé dans les affaires internationales. Il a reçu le prix Sulitzer en 2002 pour ses commentaires. 3- Le New-York Times n'a pas soutenu la décision du gouvernement américain d'attaquer l'Irak sans le consentement du Conseil de Sécurité de l'ONU.
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