La bataille des prisonniers politiques palestiniens
La voix des revendications continue de résonner
Le 7 septembre 2004, le premier ministre palestinien, Ahmad Qorei, s’est indigné du silence général face aux conditions inhumaines de détention des prisonniers palestiniens. Dénonçant " l’hypocrisie de la communauté internationale ", il affirme : " tout le monde connaît les pratiques horribles et brutales israéliennes contre les prisonniers qui dépasse certainement celles des américains dans la prison d’Abou Ghraib en Irak "1.
Les révélations récentes de Washington Post
Récemment, le 17 juin 2004, un article du Washington Post a révélé que des milliers de prisonniers palestiniens ont été victimes de différentes formes de torture. " Les prisonniers palestiniens sont soumis à des mesures horribles de torture où ils sont obligés de rester debout durant des jours, attachés sur des chaises sans dos, soumis à une musique très bruyante, exposés à la chaleur du soleil ou au froid et privés d’utiliser les toilettes ". Le journal a ajouté que de telles pratiques sont acceptées par le public israélien. Un prisonnier a déclaré au journal que " les geôliers israéliens utilisent certains moyens afin de détruire le moral des prisonniers en les laissant trois jours successifs sans nourriture ni sommeil ".2
Les révélations du Washington Post, comme d’autres articles sporadiques plus anciens de la presse, n’ont ni provoqué un tollé international d’indignation, ni fait la une des journaux télévisés, ni mis le gouvernement israélien dans l’embarras devant l’opinion public israélien ou international. Les 19 jours de grève de la faim entamée le 15 août et suivie par 4000 prisonniers palestiniens n’ont pas suffit à briser ce mur de silence.
Une vieille tradition de pratique de la torture
Les méthodes de torture en Israël ont été longtemps connues sous l’euphémique nom de " pressions physiques modérées ", une tradition instaurée par le rapport Landau qui date de la fin des années 1980 et qui permet aux interrogateurs du Shin Beth d’exercer la torture en toute légalité. En 1998, Betselem, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme, a estimé qu’au moins 850 prisonniers par an sont victimes de cette pratique.3
Une des méthodes la plus couramment utilisée consiste à secouer violemment la personne soumise à la question, " sa poitrine étant ainsi frappée de manière répétée par les poings de l’interrogateur " tandis que " sa tête est projetée d’avant en arrière ". Exercée avec l’autorisation de la Cour suprême israélienne, la violence de cette méthode " modérée " est telle qu’un médecin devait être en alerte 24 h sur 24 non loin du détenu, objet de son application, pour prévenir " l’accident ". Un prisonnier en est mort en avril 1995.
D’autres méthodes sont connues : il y a par exemple celle qui consiste à mettre la tête du détenu, des heures durant, " dans un vieux sac serré autour du cou et préalablement imbibé de matières malodorantes ", ou l’attacher plusieurs jours dans une position intenable sur un tabouret. Il y aussi les coups, les insultes, les menaces de mort, ou la privation du sommeil qui peut durer des " longues journées – jusqu’à 5 d’affilé, sans sommeil aucun, avec une musique assourdissante déversée 24h sur 24 dans la cellule et un garde à la porte pour secouer le suspect lorsque malgré tout ses paupières tombent ".
Suite à plusieurs plaintes des organisations de droits de l’homme israéliennes et palestiniennes, la méthode Landau, véritable scandale de normalisation des sévices corporels, a été finalement écartée par la Cour suprême israélienne le 6 septembre 1999. Mais la pratique de la torture a été depuis largement utilisée par le Shin Beth, notamment après la deuxième Intifada et la répression massive engagée par le gouvernement Sharon.
En 2003, le secret du " camp 1391 ", surnommé le "Guantanamo israélien", a été dévoilé par HaMoked, une autre organisation israélienne de défense des droits de l’homme. Installé en 1980 pour détenir initialement les prisonniers capturés au Liban, entièrement géré par l’armée israélienne, le " camp 1391 " est un lieu obscur où perdurent les sévices physiques de tout genre, appliqués dans l’isolement total, loin de tout contrôle.4
La révolte des prisonniers palestiniens
A la pratique de la torture qui s’installe durablement dans les prisons israéliennes, s’ajoute tout un ensemble de conditions inhumaines de détention subies par plus de 7500 prisonniers palestiniens isolés du monde extérieur, seuls face à la tyrannie de l’administration pénitentiaire, dans un contexte international où règne le silence. C’est dans ce contexte alarmant que la plus grande grève de la faim de l’histoire du Moyen-Orient a été menée par 4 000 prisonniers palestiniens ce mois d’août 2004.
Les prisonniers, dont la voix nous est parvenue par les communiqués des différents comités d’organisation ou de soutien à la grève, ont mis l’accent sur le caractère humainement inacceptable des conditions qu’ils subissent. Le 6 août 2004, un communiqué de Ansar al-sajin (Les amis du prisonnier) rend public la décision de mener une grande grève de la faim pour protester contre l’aggravation des sévices et du mauvais traitement : " Depuis l’arrivée de Yakob Ganot, comme nouveau directeur général des prisons, une série de mesures ont été prises contre les prisonniers visant à les humilier et leur ôter les acquis obtenus grâce à des dizaines d’années de lutte ".
Une politique délibérée de ne pas soigner les malades
Le 8 août 2004, un communiqué de Nadi al-assir al-filistini (Club du prisonnier palestinien) dénonce une politique délibérée de ne pas soigner les prisonniers malades. Plusieurs noms de détenus de la prison de Haddarim sont cités : Ashraf Haroun et Kamal Badawneh, de Bethlehem, Sultan Ajlouni, de Jordanie, Muhammad Yassin, de Gaza, et Ahmad Tabish, d’Al-Khalil.
Dans une autre prison, celle de Benyamin, 10 autres cas de négligence médicale grave sont constatés par un avocat de Nadi al-assir. Parmi eux : Ibrahim Muhammad Nashef, Ayman al-Mymy et Hassan Masalima. Le rapport cite également Muhammad Yassin Samaha qui souffre d'une hypertension et Hamze Rashid Awda qui souffre de plusieurs blessures : " Sa main est coupée, et son état nécessite une intervention chirurgicale urgente ".
Plus de deux ans sans droit de visite
Un autre communiqué de Nadi al-assir, daté du 11 août 2004, souligne que le choix de la grève illimitée, qui commencera le 15 août, " est motivé par une dégradation flagrante de la situation des prisonniers soumis à des transgressions continues ". Le droit de visite est bafoué : " A la prison d’ Al Nafha, les prisonniers, notamment ceux des régions de Jénine et Tulkarem, n’avaient pas rencontré leurs familles depuis plus de deux ans ".
A cela s’ajoutent les fouilles répétées, la mise à nu humiliante, la pénétration des gardes dans les cellules avec des armes pour intimider les prisonniers, l’envoi de gaz lacrymogène dans les cellules, les coups, les chocs électriques, les punitions dans des cellules d’isolement pour le moindre motif, le déclenchement des sirènes pendant la nuit, l’atteinte à la liberté de culte, la confiscation de l’argent des prisonniers et de leurs objets personnels, une longue liste de transgressions dénoncées par 146 revendications des 4000 grévistes de la faim.
Le 13 août 2004, Nadi Al-Assir décrit un univers où disparaît toute possibilité de vie humaine : les prisonniers sont privés de l’eau chaude, du savon, des produits d’entretien et des vêtements de rechange, "une nourriture avariée leur est donnée, les rats, les insectes et les diverses maladies pullulent dans les cellules ".
La grève a démarré le 15 août et a été " suspendue " ou " arrêtée " le 2 septembre, sans que, pour le moment, les autorités israéliennes accèdent officiellement aux revendications des prisonniers. Il appartient à la communauté internationale de prendre le relais et porter ces revendications au premier plan.
La voix de ces revendications continue de résonner : " Il est temps de protéger nos prisonniers, sur le plan juridique, et d’obliger le gouvernement de l’occupation à respecter les accords de Genève et les traités internationaux, de demander des comptes aux responsables israéliens concernant les pratiques inhumaines et immorales à l’encontre des prisonniers ".
Sources :
IPC et Asharq al-awssat. 7 septembre 2004.
IPC. 17 juin 2004.
Le Monde. 21 mai 1998.
Le Monde. 11 mai 2004.
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