21/11/02 16.08 t.u. Kira Sapguir

Sur le fond des événements qui, ces dernières semaines, secouent la Russie de Poutine, il est de plus en plus aventuré, fort malheureusement, de braquer le projecteur sur telle ou autre violation des droits de l'homme au sein de cet fédération bancale. Rien donc de surprenant à l'omerta qui pèse presque hermétiquement sur le procès intenté par les autorités russes contre l'écrivain franco-russe Edward Limonov, pourtant accusé (lui aussi ! ? ) de terrorisme. Rappelons qu'après une détention provisoire de pas moins de dix-huit mois, Limonov a enfin comparu en octobre devant un tribunal de province (étouffoir oblige), dont d'ailleurs la compétence à été immédiatement contestée, si bien que le procès a été "suspendu", en principe jusqu'à la mi-novembre.

Dans une certaine mesure, on peut comprendre "Big Brother" : les autorités russes n'aiment pas Limonov. L'ancien "enfant terrible" du monde littéraire français des années 80 est forcément un gêneur dans l'improbable Fédération de Russie de l'an 2000. D'ailleurs, la comparaison avec l'ultra promu bouffon du roi Jirinovski montre bien que ce n'est pas du fait de son option irrédentiste. Ce que l'on ne pardonne pas à Limonov, c'est son attitude de dandy, son aura d'ancien beatnik réputé bisexuel, son statut d'homme de lettres jusqu'au bout des ongles. Car dans les affres de l'écriture de son seul véritable sujet, sa propre vie, l'auteur - protagoniste saigne "pour de bon". Non, ce qui stupéfie, c'est l'attitude de "Little Brother", la République des lettres françaises.

Enfant terrible et donc enfant chéri de celle-ci il n'y a guère plus de dix ans, poulain de Jean Edern Hallier et fleuron de l'Idiot international, Limonov bénéficiait alors à Paris du fumet de scandale d'un Houellebec, le talent d'écriture en plus. Après lui avoir à deux reprises refusé la naturalisation (comme plus tard au dissident Alexandre Guinzbourg, récemme nt disparu), le ministère de l'Intérieur du reculer piteusement à la suite d'une pétition impressionnante (où figuraient quasiment tous les grands noms de ladite République des lettres, au total 120 personnalités, Françoise Sagan en tête) publiée dans "Libé" et d'une campagne non moins retentissante orchestrée dans l'Huma dimanche par Jean Ristat, dernier secrétaire (très) particulier d'Aragon.

Alors, pourquoi dans les rares et maigres entrefilets consacrés au "procès Limonov" dans la presse française (par exemple, dans la même "Libé" du 2 septembre 2002), on s'obstine à ne parler que de l'"écrivain russe", sans parler de sa nationalité française, pour laquelle on avait si ardemment milité il n'y a pas si longtemps, somme toute ? Au moment où la prise d'otages de Moscou suscite les commentaires les plus divers, pourquoi faire silence, en France, sur le citoyen français Limonov accusé par les autorités russes de terrorisme ? Où sont-ils donc ses "petits ca marades" des cafés littéraires du Quartier latin ? Pourquoi Patrick Besson n'use-t-il pas de sa position au “Figaro littéraire” pour tendre une main secourable audit "petit camarade" ? Peut-être est-ce parce qu'il n'est plus possible de se faire un capital politique en lui venant en aide ?

Le 7 avril 2001, l'AFP annonçait en substance que l'ex-KGB avait arrêté l'écrivain Limonov, collaborateur du journal ultra-nationaliste "Zavtra". Ce fut, très symptomatiquement, la seule caractérisation de Limonov, ses contributions d'ailleurs très épisodiques au journal du nationaliste très fréquentable qu'est M. Prokhanov (récent lauréat du Booker russe !). Mais ces quelques lignes ont suffit pour que le silence se fasse dans l'ensemble de la presse française. En réalité, l'AFP n'avait pas communiqué une information, mais donné un signal de la "Police de la Pensée" : Tabou ! Pour paraphraser Saint-Just, pas de défense des droits de l'homme pour un adversaire des droitdel'hommistes.

Jadis, la République des lettres françaises détournait pudiquement la tête des persécutions d'écrivains en URSS par "progressisme". Aujourd'hui, c'est par "droitdel'hommisme" sélectif. Mais c'est toujours aussi lamentable. Et inquiétant