Quel rapport entre la CIA, le Pentagone et l'ONU ?
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09/01/05 |
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8.00 t.u. |
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Katrina vanden Heuvel |
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Tous les trois partagent les mêmes vues sur les plus grands dangers qui menacent la planète et cette unanimité a reçu bien trop peu d'attention de la part des médias.
Depuis l'an 2000, ces trois organisations ont publié de précieux rapports qui affirment que des enjeux tels que la pauvreté, la maladie et le changement climatique mettent en danger la stabilité globale et l'avenir des Etats-Unis.
Ce consensus de plus en plus large devrait pousser les politiciens aux Etats-Unis à admettre au moins une chose - que nous avons besoin d'un programme de développement global. Et ce n'est pas une idée de doux rêveur. Si nous ne nous occupons pas des problèmes tels que la pauvreté ou l'inégalité des sexes, le monde deviendra encore plus instable, encore plus violent, encore plus dangereux.
Publié en décembre 2000, la rapport de la CIA, Tendances Globales pour 2015, met en garde contre l'instabilité provoquée par le pénurie d'eau potable - "la ressource la plus convoitée de la planète", selon les termes de Time.com qui commente les conclusions de la CIA. Le rapport met aussi en garde contre la désintégration prochaine des états-nations et l'émergence d'acteurs "non-étatiques" comme Ben Laden qui représenteront une menace plus grande, contre l'accroissement de la population d'un milliard de personnes d'ici 2015, et contre le danger représenté par le SIDA qui deviendra un problème majeur de sécurité dans la région sub-saharienne, en Asie et dans les anciennes républiques soviétiques. (Un autre rapport de la CIA publié la même année, "La Menace Globale des Maladies Infectieuses", estimait qu'en 2020 plus de la moitié des morts provoquées par les maladies infectieuses seraient dues au SIDA et déstabiliserait les gouvernements, la production alimentaire, les services de santé, et même parfois la sécurité en matière d'armes nucléaire.)
Certaines villes du monde arabe deviendraient "des foyers de surpopulation insoutenable et de mécontentement, dramatiquement sous-équipées en infrastructures telles que l'eau potable et l'assainissement," selon les termes de Time.com qui analyse les conclusions du rapport. "Cette population sera très probablement jeune, affamée, malade, désabusée et très, très en colère."
Le rapport de la CIA affirme que nous devrions augmenter notre aide et nos investissements internationaux, selon un nouveau Plan Marshall, pour combler le fossé grandissant entre riches et pauvres et réduire ainsi les menaces posées aux Etats-Unis.
Les conclusions de la CIA, qui sont remarquablement proches des Objectifs de Développement du Millénaire des Nations Unies, devraient résonner comme un cri d'alarme en faveur d'un financement du programme de développement du millénaire de l'ONU - le seul plan Marshall véritablement global de notre époque. Le programme de l'ONU, adopté en 2000, prévoit la réduction de moitié de la faim dans le monde, la réduction de deux-tiers de la mortalité infantile des enfants de moins de cinq ans, la réduction de moitié du nombre de personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable et la mise en place d'un programme d'éducation primaire universelle et la réduction des cas de SIDA, de malaria et d'autres maladies d'ici 2015.
Les statistiques ne mentent pas : l'UNICEF signale qu'un milliard d'enfants vivent sous le seuil de pauvreté (soit une naissance sur deux); que plus de 121 millions d'enfants ne fréquentent pas l'école primaire -- la majorité sont des filles; et que 10.6 millions d'enfants sont morts en 2003 de maladies curables avant d'atteindre l'age de cinq ans.
La communauté internationale sait comment répondre à ces catastrophes. En dépensant 150 milliards de dollars par an, l'ONU pourrait en fait atteindre les objectifs du Millénaire en dix ans. (l'UNICEF estime le montant entre 40 et 70 milliards de dollars - une broutille en comparaison des 956 milliards de dollars dépensés chaque année en matériel militaire.)
Certes, la CIA et l'ONU peuvent diverger sur les motivations et les implications politiques, mais les enjeux sous-jacents de la décennie à venir donnent une certaine crédibilité à certains aspects du programme. Avec le soutien de Gordon Brown, ministre de l'économie de la Grande-Bretagne, le Programme Global du Millénaire de l'ONU propose un projet qui pourrait (et devrait) faire l'unanimité de tous les gens de bonne volonté, de tous les économistes, ainsi que de tous les stratèges en matière de sécurité nationale de la CIA.
Au début de cette année, le Pentagone a demandé à deux futurologues de faire une projection des menaces à long-terme posées aux Etats-Unis. Leur rapport, "Imaginer l'Impensable", se proposa d'examiner les scénarios "du pire" et mentionna le changement climatique comme une menace majeure à long-terme pour la sécurité nationale des Etats-Unis.
Le co-auteur du rapport, Peter Schwartz, a déclaré que "le cas extrême serait un scénario de réchauffement assez rapide du climat dans un avenir proche - plus ou moins dans les dix ans qui viennent - qui en retour provoquerait un refroidissement rapide. En définitif, nous assisterions à un réchauffement en Europe, dans certaines régions du nord-est des Etats-Unis et au Canada. Il y aurait des tempêtes violentes - des pluies torrentielles - des hivers très courts, un déplacement des tornades - et des méga-sécheresses." On verrait surgir des conflits pour l'eau, les droits de pêche, et les Etats-Unis connaîtraient une augmentation du nombre de réfugiés.
Un rapport encore plus récent publié à l'automne dernier -- et commandé par le "Defense Science Board Task Force", une organisation de conseil auprès du Secrétaire de la Défense -- posa quelques questions essentielles. Le rapport, ignoré par les grands médias, conclut que : "les Musulmans ne haïssent pas notre liberté, mais plutôt haïssent notre politique" et que "l'intervention directe des Etats-Unis dans le monde musulman a, d'une manière paradoxale, renforcé l'image et le soutien aux islamistes radicaux..." L'étude conclut aussi que la politique des Etats-Unis connaît "un problème fondamental de crédibilité" et que le soutien des Etats-Unis aux régimes autoritaires dans la région a miné la soi-disant guerre contre le terrorisme en renforçant le sentiment anti-occidental chez les musulmans ordinaires.
En décembre 2000, John Gannon - président du Conseil de Renseignement National [National Intelligence Council ] et un des auteurs du rapport de la CIA Tendances Globales pour 2015 - pressa les Etats-Unis de s'occuper des pays qui se sentent "laissés pour compte" -- et qui subissent les mauvais côtés de la globalisation. Quatre ans plus tard, les dirigeants des Etats-Unis font plutôt le contraire : ils ignorent le Sud et attaquent l'ONU comme étant obsolète et inutile.
Tandis que notre politique embrouillée de guerre en Irak provoque une haine envers Etats-Unis dans le Moyen-Orient, les politiciens états-uniens n'ont pas réussi à prendre toute la mesure du consensus qui affirme que la pauvreté, le changement climatique et la pandémie du SIDA exigent une réponse et un financement intelligent et collectif.
Combien de rapports (et de menaces) de plus faudra-t-il avant que les problèmes les plus cruciaux de la planète ne deviennent une priorité ?
Source : The Nation
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