Boomerang démocratique
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26/08/02 |
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10.02 t.u. |
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Philippe Randa |
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Dans les années 70, on racontait la blague suivante : Un Américain et un Soviétique comparaient les vertus respectives de leurs régimes politiques. L'Américain était catégorique :
— Nous sommes le pays de la liberté. Pour preuve, nous, en Amérique, on peut crier dans la rue "Le président américain est un con" sans risquer d'ennuis.
Le Soviétique rétorquait alors, tout aussi catégorique :
— Qu'est-ce que cela prouve : en URSS aussi, on peut crier dans la rue "Le président américain est un con" sans risquer d'ennuis.
Depuis une bonne vingtaine d'année maintenant, la France vit elle aussi dans une "démocratie totalitaire"(1) pour tout ce qui touche au Front national, à ses idées et à ses représentants.
Ce parti dont le programme affiché est de faire appliquer les lois existantes plus que d'en voter de nouvelles, dont les représentants se présentent à chaque élection – et dont on n'a jamais pu, malgré moultes enquêtes policières, judiciaires et parlementaires, prouver qu'il détournait l'argent public, qu'il préparait la moindre insurrection armée et qu'il ne respectait pas la totalité des règles républicaines, des exigences démocratiques et même des contraintes électorales(2) – est soumis non seulement à une diabolisation médiatique incessante, mais aussi à un harcèlement politique sans précédent.
Alors même que son Président s'est qualifié dans les urnes pour le second tour des élections présidentielles, augmentant sensiblement le nombre de ses voix quinze jours plus tard, le Front national s'est vu refuser coup sur coup de tenir sa fête annuelle des Bleu Blanc Rouge sur la pelouse parisienne de Reuilly, mais aussi d'organiser son université d'été à l'Impérial Palace d'Annecy pour cause de "troubles à l'ordre public". Il a fallu l'intervention du Conseil d'État pour obliger le maire centriste d'Annecy Bernard Bosson à respecter l'élémentaire liberté de réunion du parti de Jean-Marie Le Pen.
Lex Lepenia
Diabolisation et harcèlement ne sont pas les deux seules mamelles de la "démocratie totalitaire" à la française : le changement de la loi électorale pour les prochaines élections régionales, en préparation à Matignon, est d'ors et déjà annoncée dans le seul but et comme la seule façon de réduire l'audience du Front national.
Rappelons que dans la défunte URSS, des élections étaient régulièrement organisées, mais avec des candidats choisis exclusivement dans les rangs du Parti communiste.
Ce sera sans doute l'ultime recours des tenants du Pouvoir si le Front national devait réussir à franchir cette épreuve politique supplémentaire.
Cette loi serait calquée sur celle des élections municipales : la liste arrivant en tête de toutes les autres au second tour, obtiendrait la majorité absolue des sièges. Ceci, dit-on, afin d'assurer des majorités stables dans les Conseils régionaux.
Quelques mauvais esprits pourraient se demander quelle serait alors la stabilité d'une majorité issue d'une liste de "Front républicain" organisée pour faire barrage au Front national ? Et surtout, si le parti de Jean-Marie Le Pen risque de voir fondre ses élus dans la plupart des Conseils régionaux de notre pays, cette nouvelle loi pourrait lui assurer de gouverner seul, à la majorité relative, la région Provences-Alpes-Côte d'Azur et peut-être - au vu de ses récents scores ! - celle du Nord de la France ou encore l'Alsace.
Personne ne semble avoir pensé à l'éventualité de ce "boomerang démocratique" parmi les conseillers de Jean-Pierre Raffarin.
Philippe Randa
Notes
(1) La 18e Université d'été du Front National qui se déroule cette fin de mois d'août 2002 à Annecy est d'ailleurs intitulée : "La liberté face à la démocratie totalitaire".
(2) Rappelons qu'aux élections législatives de juin 2002, le Front national et le Parti communiste furent les deux seules formations politiques d'importance à respecter la parité des sexes entre leurs candidats, alors même que les socialistes et la droite parlementaire qui avaient voté cette modification de la loi électorale, s'en sont moquées.
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