:: J'irai cracher sur les tombes des victimes de Vivendi universal
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14/07/02 |
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22.29 t.u. |
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Philippe Randa |
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Les tribulations, suivi du limogeage de Jean-Marie Messier de la direction de Vivendi Universal a suscité nombre de commentaires et souvent de cris d'orfraies de la part de ceux qui justement, auraient dû se montrer plutôt discrets, à défaut de "beaux joueurs". Voyons quelles seraient les victimes d'un éventuel dépôt de bilan de cet énorme groupe capitalisteŠ
Les boursicoteurs du dimanche
Premières victimes, les "petits actionnaires" : des gens qui ont voulu gagner beaucoup d'argent par la spéculation. Cette spéculation a fait long feu. C'est le jeu. Personne ne leur a donc jamais expliqué l'esprit même de la bourse ? Si certains gagnent, c'est que d'autres perdent, comme le veut tout système de vases communicants. Il serait temps de persuader ces braves boursicoteurs du dimanche qu'il n'existe aucune assurance pour les préserver de ne pas gagner à tous les coups. En bourse, il n'y a qu'un seul principe : à petits profits, petits risques ; à gros profits, gros risques.
Braves banquiers, le diable en rit encore
Deuxièmes victimes, les banques : des organismes connus pour leur compassion et leur grandeur d'âme envers leur clientèle. Seuls des esprits mesquins font remarquer qu'un banquier vous prête un parapluie lorsqu'il fait un temps splendide et vous le reprend immédiatement lorsque celui-ci se couvre. Plus précisément, un banquier prête sans difficulté de l'argent à deux catégories de personnes : celles qui n'en a pas besoin, mais qu'il parvient à convaincre qu'elles ne peuvent pas vivre sans un gadget supplémentaire pour lequel il leur permet, parce qu'elles en ont les moyens, de s'endetter ; et celles qui leur font adroitement miroiter à eux des profits pharamineux. Financer le groupe Vivendi Universel devait faire très bien dans les bilans des banques. Tellement bien qu'on a accordé à ses dirigeants tout l'argent qu'ils réclamaient pour faire ce qu'ils voulaient. Ces banquiers pensaient bâtir des montagnes d'or, alors qu'ils ne remplissaient qu'un tonneau des Danaïdes. Jusqu'à quel point, d'ailleurs, ces généreux autant qu'avides usuriers n'ont-ils pas ainsi sapé les fondations d'une "colline d'or" en ne se réveillant que le jour où le trou béant qu'ils avaient ainsi créé fût par trop visible ?
Un empire pour mon (gros) salaire
Troisièmes victimes, les salariés des diverses entreprises du groupe. Eux ne sont pour rien dans les erreurs de gestion et vont perdre leur emploi. Certes, c'est dramatique, mais en dehors de la fonction publique, il n'y a plus de sécurité de l'emploi nulle part. Pas davantage dans les grands groupes que dans les petites entreprises. Une partie seulement des employés licenciés retrouveront un travail plus ou moins aussi rémunérateur que celui qu'ils ont perdu. Tant mieux. Pour les autres, ce sera la retraite anticipée ou un autre emploi aux conditions financières sans comparaison. Mais justement, que veut dire exactement "sans comparaison" ? Est-ce à dire que ces salariés ont accédé à des responsabilités et à des salaires dont l'importance était directement liée à la croissance totalement artificielle du groupe Vivendi universel ? Ils auraient donc bien profité de la situation eux aussi. Ils l'ignoraient ? Allez savoirŠ
Quel farceur, ce JFK !
Quatrièmes victimes, les "trésors de notre patrimoine", ces "bijoux de famille" : ces qualificatifs sont ceux de Jean-François Kahn, directeur de l'hebdomadaire Marianne pour qualifier les secteurs éditions et publications du groupe VU : Robert Laffont, Plon, Perrin, Larousse, Le Robert, Julliard, Nathan, Bordas, Barclay, Polydor, L'Express, etc.
Là, le comble de l'hypocrisie me semble atteint, car ces "fleurons" de l'édition, de la musique ou de la presse française ne sont plus, depuis bien longtemps, que des enseignes commerciales déjà vendues et revendues d'innombrables fois, où l'on ne trouve plus la moindre trace du moindre fondateur de ce qui n'a jamais été un "trésor de notre patrimoine" pas plus qu'un "bijoux de famille", mais a seulement contribué - ce n'est pas rien, certes - au rayonnement de la pensée et de la culture française voilà bien longtemps.
Une nouvelle vente de ces "enseignes" ne changerait rien à rien. Soit elles disparaissent et d'autres "enseignes" prendront leur place sur leur créneau ; soit elles continueront ni mieux ni moins bien que depuis quelques décadesŠ
J2M, un fusible pour calmer les veaux
Cinquième victime, Jean-Marie Messier lui-même. Il est devenu un bouc émissaire idéal. L'homme par qui les dettes arrivent. Et quelles dettes ! On s'est même scandalisé de ses exigences pour quitter le devant de la scène : 12 millions d'euros d'indemnités de licenciement et la certitude qu'on ne le poursuivra pas en justice pour sa (mauvaise) gestion. Comment ose-t-il ! C'est pourtant bien simple : qui peut croire, à part les veaux (mais ils sont nombreux) qu'un seul homme a mené le navire VU droit sur l'iceberg de la déconfiture, sans que ni un actionnaire, ni un cadre de ce groupe ne se soit aperçu de rien et n'ait sonné à temps le tocsin ? J2M (Jean-Marie Messier) veut bien être le fusible que l'on fait sauter pour calmer les esprits, mais ses complices, eux, vont rester et continueront de profiter d'un groupe certes en difficulté, mais qui reste tout de même encore juteux. D'autres personnes, et son successeur le premier, vont même en profiter à leur tour. Lapider J2M dans une sorte de frénésie quasi mystique en croyant ainsi exorciser les mauvais démons du système capitaliste est bien sûr inutile, mais surtout indécent.
Le malheur des unsŠ
Rappelons tout de même que le groupe Vivendi Universal est un groupe d'intérêts privés. Ce n'est rien d'autre qu'une grosse, très grosse, énorme entreprise privée qui pourrait disparaître comme, chaque année, des milliers d'autres entreprises privées françaises. La nature ayant horreur du vide, de multiples entreprises, tout aussi privées, profiteront sans fausse honte d'une éventuelle disparition ou d'un éventuel recul d'activité de Vivendi Unversal.
La "pas si petite que cela" différence
Jean-François Kahn, journaliste à pleins temps et donneurs de leçons à ses heures, stigmatise à propos des ennuis de VU, les libéraux qui "ne cessent de stigmatiser un État qui doit financer par l'emprunt ses déficits parce qu'il vit au-dessus de ses moyens. Autrement dit, les administrateurs ont approuvé, parfois d'enthousiasme, une politique qu'ils condamnent avec virulence quand c'est l'État qui la mène !"
La "pas si petite que cela" différence est que les dirigeants d'une entreprise privée, et tous ceux qui ont voulu faire des profits avec eux, assument leurs responsabilités en payant les pots cassés sur leurs deniers. Alors que l'État français a pris l'habitude de combler ses déficits par des impôts supplémentaires et sans jamais qu'un seul de ses responsables paie quoi que ce soit, sinon de quelques mois d'inégibilité électorale.(1)
Décidément, les affres de Vivendi universal m'inciteraient seulement à aller cracher sur les tombes des victimes.
Philippe Randa
Note
(1) Et encore seulement lorsqu'il est prouvé qu'il s'est montré malhonnête par un enrichissement personnel, souvent via son parti politique, ce qui atténue, pour les juges, la gravité des faits. Son incompétence, elle, n'est jamais sanctionnée.
Reproduit avec l'aimable autorisation de
Philippe Randa
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