:: La sueur des entrejambes
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24/06/02 |
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17.59 t.u. |
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Philippe Randa |
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Si la prostitution est le plus vieux métier du monde, la question de sa moralité est alors forcément la plus ancienne de toutes les interrogations métaphysiques. Celle-ci est remise en cause périodiquement et justement, ces jours-ci, élections obligent, les riverains des zones concernées ont beaucoup manifesté, les médias beaucoup répercutés leurs émois et les municipalités beaucoup légiférés. Ou plutôt, ce sont beaucoup de municipalités qui ont légiféré d'un même décret interdisant aux dames, aux messieurs et aux messieurs-dames d'¦uvrer aux abords notamment des écoles et des églises. Ce qui, au propre et au figuré, déplace le problème sans le régler.
Et tous d'égrener la même litanie de lieux communs pour parler de ce sujet qui n'en finira donc jamais de hanter les bonnes consciences : "Comment combattre la prostitution ?"
Seulement, la question n'est-elle pas surtout, n'est-elle pas avant tout : "A-t-on à combattre la prostitution et à quel titre ?"
Sueur de l'argent contre sueur de l'entrejambe
L'opprobre qui entoure cette activité est étonnant, surtout dans sa constante : s'il y eût des époques et des pays où elle fut plus ou moins admise, la prostitution est toujours resté entachée d'une bien vilaine réputation. L'argent salit tout, dit-on. On se demande bien pourquoi celui gagné dans des spéculations boursières la sueur de l'argent au détriment bien souvent de nombreux petits épargnants serait moins moralement condamnable que celui gagné à la sueur de l'entrejambe.
Il est étonnant d'ailleurs de constater que ce sont généralement les mêmes donneurs de leçons qui entendent lutter contre "l'esclavage" des prostitué(e)s, après avoir prôné, voilà plus de trente ans, cette fameuse libération sexuelle où non seulement on pouvait, mais surtout on devait tout se permettre.
Les soixanthuitards n'exigeaient-ils pas qu'on s'envoie en l'air où l'on voulait, avec qui l'on voulait, surtout au vu et au su de tous ? Ne rejetaient-ils pas avec mépris toute notion de fidélité dans le couple pour prôner un vagabondage sexuel qu'ils affirmaient "libérateur" ? N'exigeaient-ils pas que l'on parle de sexe à tout bout de champ ? N'ont-ils pas institutionnalisé cette exhibition du sexe que ce soit dans les rayons des kiosques à journaux ou à longueurs d'ondes radios ou télés ?
Rappelons la déclaration qu'a faite Ovidie, actrice et réalisatrice de film porno, au quotidien Libération et que je rapportais dans une précédente chronique(1) : "On nous accuse, nous pornographes, d'être partout. J'en conviens, le sexe est absolument partout : dans les émissions TV, à la radio, dans chaque magazine féminin et masculin, dans la mode, et surtout dans la publicité. Ces médias, beaucoup plus nombreux que les quelques revues ou films pornographiques accessibles en kiosque, conditionnent notre esprit et normalisent notre sexualité bien plus que n'importe quel produit Marc Dorcel [producteur de films érotiques]. Le moindre magazine pour adolescentes explique comment pratiquer la fellation, les magazines masculins expliquent que la sodomie est une marque de domination à laquelle il faut absolument goûter, et la télévision nous apprend qu'aujourd'hui il faut être échangiste pour être dans le vent. Le poids idéologique d'une émission regardée par plusieurs millions de téléspectateurs surpassera toujours le cinéma X".
Non, vraiment, je ne vois pas à quel titre l'on devrait condamner, et encore moins combattre, la prostitution.
En revanche, il est évident que le spectacle des prostitués de tous sexes et de toutes nationalités ¦uvrant n'importe où, dans des conditions déplorables d'hygiène, créant d'évidents troubles à l'ordre public pour les hommes d'églises et nos chères têtes blondes, certes, mais pour n'importe lequel commun des mortels également, devra bien cesser un jour ou l'autre.
Maudits pour sept générations ?
Il n'y a pas trente-six solutions, mais en France, si la réponse est dans toutes les têtes, elle est taboue pour tous nos hommes politiques : elle passe évidemment par la réouverture des maisons closes. Oui, mais celles-ci ont été fermées voilà plus de cinq décennies pour des raisons hautement idéologiques dans lesquelles la morale n'avait guère sa place.
Durant la Seconde Guerre mondiale, la plupart des patrons de ces établissements spécialisés ont continué leurs activités, pactisant ou en tout cas fortement accusé de avec l'ennemi teuton tant honni. Et même ceux qui n'avaient guère goûté la présence vert-de-gris ont encore moins apprécié la "libération yankee" qui a succédé, faisant savoir haut et fort que les soldats de l'Oncle Sam n'étaient guère des gentlemen. On ne les pas tous fusillé pour autant, mais on n'a pas pardonné à aucun. Les tenanciers et leurs descendants devront donc expier sept générations durant comme le veut la tradition de certains.
Aujourd'hui, alors que tout le monde s'accorde à souhaiter la réouverture des maisons closes qui réglerait automatiquement tous les problèmes de nuisances ou en tout cas, n'en produiraient alors pas davantage que les discothèques et autres lieux publics nocturnes on se garde bien de rappeler les véritables raisons de leur fermeture.
Ces raisons, elles, ne sont pas les plus anciennes du monde. Elles datent seulement d'un demi-siècle.
Note
(1) Chronique intitulée Lepenisation de la bagatelle.
Philippe Randa
Philippe Randa
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