18/07/03 9.10 t.u. Philippe Randa

« Quand j’entends le mot “culture” , je sors mon revolver », se serait exclamé Hermann Goering (cela n’a jamais été prouvé) voilà plus de soixante ans.

« Quand j’entends le mot “culture” , j’ouvre mon transistor », a bel et bien dit Jean Yanne voilà près de trente ans.

« Quand j’entends le mot “culture” , je sors mon carnet de chèques », constate le contribuable en ce début de XXIe siècle.

Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, doit s’en retourner dans sa tombe. Quelques centaines de milliers d’autres véritables artistes aussi ; nombre de leurs descendants apparaissent de plus en plus comme les pires parasites de la société en général et de la culture en particulier.

Près de 650 réalisateurs, metteurs en scène, comédiens, producteurs ou chorégraphes adressent ce jour de fête nationale un véritable rappel à l’ordre politique au président Jacques Chirac. Les termes de leur pétition sont des plus explicites : « Le 5 mai 2002, nous vous avons élu à la présidence de la République. Nous l'avons fait, comme vous l'avez vous-même rappelé le soir de votre victoire, “ en conscience, en dépassant les clivages traditionnels, et, pour certains d'entre nous, en allant au-delà même de nos préférences personnelles ou politiques” .

À cette occasion, vous vous étiez engagé à ce que votre action “ s'inspire d'une exigence de service et d'écoute pour chaque Française et chaque Français” . Cette “ exigence de service et d'écoute” impose qu'on organise la tenue d'une vaste réflexion sur le financement et la place de la culture en France (...) ».

À moins de trahir de tels électeurs obtenus grâce à la diabolisation lepéniste - mais en matière de trahison politique, Chirac est passé maître : Chaban-Delmas, Giscard et quelques dizaines d’autres en savent quelque chose - notre Président de République bananière élu avec 82 % des voix ne pourra qu’obtempérer à l’injonction de payer ! À notre époque, il vaut mieux presser toujours un peu plus le contribuable-citron que s’aliéner les hordes de plus en plus impressionnantes des saltimbanques subventionnés.

Les chiffres de « l’exception culturelle » à la française ne laissent aucun doute sur la question ; Michel de Poncins les rappelle dans un très instructif article de la revue mensuelle Lectures françaises(1) : « Ils étaient 7 089 en 1980, 45 000 il y a quinze ans, 69 000, selon la Cour, fin 2001. Aujourd’hui, en 2003, ils seraient 92 000. dans La République fromagère(2), dès qu’une truffe apparaît, des milliers de personnes s’engouffrent puisqu’il n’y a jamais de réels contrôles. La Cour [des comptes], évidemment, décrit l’ouragan financier. Les prestations ont triplé de 1991 à 2001, passant de 260 millions d’euros à 838 millions. Les cotisations des entreprises du spectacle ont également augmenté, mais pas dans les mêmes proportions. »

« Winners » et « loosers », même combat !

Lorsqu’on a conscience que serrurier, peintre, menuisier, électricien, maçon, tapissier, lingère ou encore coiffeur peuvent avoir droit au statut « d’intermittents du spectacle », on réalise mieux le véritable tonneau des Danaïdes qu’est le scandaleux univers des cultureux français.

« Dans la mesure où il est possible de cumuler deux cachets par jour, 22 jours d’activité peuvent suffire, en théorie, à constituer des droits pour une année entière », constate encore Michel de Poncins.

C’est ainsi qu’on arrive à ce paradoxe qu’une star, venant d’empocher un cachet de quelques millions pour avoir été la vedette d’un film, s’inscrira dès le dernier jour de tournage pour toucher ses indemnités de chômage de même qu’un ringard de la scène dont plus personne ne veut ou n’a jamais voulu, pourra, par quelques combines acrobatiques travailler (environ) trois mois pour être assuré de vivre le reste de l’année aux frais du contribuable, d’où les près de 85 000 professionnels du chômage supplémentaires que comptabilisent notre beau pays depuis 20 ans.

Une anecdote est révélatrice. Ma femme et moi dînions voici quelque temps avec plusieurs couples. Au cours du repas, ne nous connaissant pas, nous en sommes arrivés à nous présenter professionnellement. Une femme se déclara alors « intermittente du spectacle » et ce ne fut qu’après plus ample information que nous apprîmes qu’elle était vaguement comédienne et plus précisément, que le plus clair de son talent s’exerçait à cachetonner dans les collèges pour faire découvrir aux chères têtes de moins en moins blondes ce qu’était le métier de comédien.

Métier qu’elle avait, à l’évidence, rarement pratiqué sur les planches d’un théâtre, mais avec beaucoup d’assiduité dans les files d’attente de son ANPE locale lieu de représentation comme un autre, mais où l’on risque peu, à l’instar de Molière, une crise cardiaque pour surmenage.

(14 juillet 2003)

Notes

(1) « La niche extensible des intermittents du spectacle », Lectures Françaises n°554, juin 2003 (par abonnement uniquement : DPF - BP 1 - 86190 Chiré-en-Montreuil. Tél. 05 49 51 83 04. Un an : 51 euros).

(2) Titre d'un livre de Michel de Poncins (Odilon Média), commande possible par DPF.

Philippe Randa

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