Tiendrait-on notre feuilleton de l’été ? René Balme serait un bon gibier, sur lequel crier haro. Histoire de nettoyer un peu plus le maquis, où tant de bêtes immondes sont embusquées, prêtes aux pires ignominies.
Rue 89, qui s’illustre parfois par des accusations abusives, sinon calomnieuses (souvenons-nous de cette accusation fallacieuse de racisme à l’égard d’un ophtalmologiste d’Aix-en-Provence), a sorti la grosse artillerie contre le malheureux, qui présente le redoutable inconvénient d’être un homme libre. Il est vrai que le système, malgré les intérêts massifs qui le servent, ne manque pas d’être de plus en plus ébranlé. Et il suffit parfois d’une voix, d’une vérité, pour que tout l’édifice s’écroule…
Aussi ce site de gauche a-t-il proféré l’accusation majeure, qui tue: antisémitisme !
Qui est donc ce dangereux agitateur, cette réincarnation diabolique d’un « passé qui ne passe pas » ?
Mélenchon aurait du mal à ne pas admettre qu’il est, jusqu’à nouvel ordre, l’un de ses proches. Ancien militant communiste et syndical, l’un des créateurs du Parti de Gauche, artiste, maire depuis 1992 de Grigny (11e circonscription) dans le département du Rhône, fondateur de plusieurs webzines et sites Internet, dont le fameux Oulala.net, etc., René Balme se singularise par un activisme, un dynamisme remarquables, qui lui valent le respect et le soutien des électeurs de la petite ville de 9.000 habitants. Difficile de le brûler en place publique. Trop de bruit, trop de vagues, et peut-être même des témoignages de sympathie… Un tel animal se flingue par la ruse. C’est pourquoi la tactique, pour ceux qui, éventuellement, désireraient lui faire la peau, est d’attendre, peut-être en espérant qu’il ne soit pas élu aux prochaines élections législatives.
Nul doute cependant que la battue se prépare. Et que le gibier ne se laissera pas abattre. L’atavisme, probablement, chez ce fils de bûcheron-paysan. On ne la lui fait pas !
Mais quel est son crime, au juste ?
Aux dires de ses accusateurs, tout viendrait de ce qui est colporté sur le site « conspirationniste » Oulala.net. On y soutient en effet la thèse que « les attentats [du 11 septembre] tels qu’on nous les raconte sont quasi-impossibles. Autre chose s’est passé ce jour-là avec un certain nombre de complicités qui restent à déterminer. » Rappelons que le dérisoire Hervé Morin, ex ministre des armées, avait viré le géopoliticien Aymeric Chauprade, qui enseignait au Collège interarmées de Défense (CID), parce que ce chercheur avait osé présenter, dans un ouvrage, de façon neutre, l’hypothèse du complot. Ainsi sont les mœurs de la « patrie des droits de l’hommes », l’un des rares endroits au monde où l’expression d’une telle opinion provoque les foudres du pouvoir politique. Entre autres horreurs, on peut trouver sur le site des essayistes qui sentent le souffre, comme Blanrue, dont l’innommable « Sarkozy, Israël et les Juifs » a été boycotté par les librairies françaises, toujours en pointe dans le combat pour les libertés (« Le livre de Blanrue ça fait partie des choses qu’il faut avoir lues », assène René Balme imperturbablement), Fracassi, et enfin Meyssan, l’auteur de « L’Effroyable Imposture I et II ». Notre homme assure avec l’aplomb des possédés : « Il faut avoir lu les thèses de Meyssan pour comprendre le monde. » De quoi retourner les sangs de n’importe quel exorciste ! Et comme si cela ne suffisait pas, il en rajoute : DSK ? Un complot yankee. Là, il ne prend pas énormément de risques, la parade ayant été peaufinée par les amis de l’obsédé. Cependant, il est vrai que la thèse de la création d’une nouvelle monnaie, en complicité avec Kadhafi, n’avait pas été colportée par les médias. Et pour cause. Mais là où cela se corse vraiment, c’est lorsque le groupe Bilderberg est évoqué. On sent le border line, comme disent nos amis américains. Surtout quand il critique les « lois mémorielles ». Et puis, il y a l’affaire du vaccin contre la grippe H1N1 , « acte de bioterrorisme pour réaliser un génocide de masse contre la population américaine. » Cela commence vraiment à faire beaucoup, un peu trop pour un seul homme. Et puis, Ben Laden… Mort ? Pas mort ? Et puis, excusez du peu, par ici, un éloge de Mouammar Khadafi, par là, un panégyrique de Mahmoud Ahmadinejad « un homme modeste, qui se dévoue corps et âme pour son peuple contre les serres impérialistes», et un discours de Nasrallah. On pourrait trouver aussi les interventions de Silvia Cattori, de Fausto Giudice, d’Israël Shamir, de Ginette Skandrani, engagés dans la lutte anti-sioniste, et de Paul Eisen, réputé « négationniste ».
Tous les chiffons rouges sont agités, on le voit, pour déclencher des poussées d’adrénaline chez les champions de la moraline politicienne et les commandeurs de la vertu. No pasaran !
Rappelons au passage qu’en février 2012, le Front de gauche avait retiré son investiture pour les législatives à Philippe Marx candidat dans la 3e circonscription de Meurthe-et-Moselle, qui avait eu l’audace de diffuser sur son blog des vidéos d’Alain Soral.
Que répond René Balme à ces accusations, qui sentent le fagot ?
Sûr de sa popularité, et connaissant apparemment parfaitement le terrain sur lequel il se meut, il se retranche derrière plusieurs lignes, dont l’une est un pare-feu.
La première défense est donc une dénégation : non, il n’est ni fasciste, ni antisémite : "La règle, c’est pas de propos racistes, antisémites ni d’injures." Certes, un tel argument ne vaut rien pour celui qui veut noyer son chien, et on peut conjecturer que notre aventurier le sait très bien, la simple critique sereine d’Israël valant maintenant les accusations les plus graves, à partir du précepte « Qui vole un œuf vole un bœuf ». Dans cet ordre de choses, tout se vaut, et une modeste réprobation des agissements de Tsahal est en mesure de catapulter l’imprudent dans les enfers dantesques.
De même, toujours dans l’idée de faire la part du feu, notamment dans un « droit de réponse à rue89 » diffusé le 31 mai, René Balme renouvelle cette profession de foi « antifasciste », avançant comme preuve, par exemple, et comme garantie, que l’article consacré à Dieudonné a été retiré du site, et que la parole n’a jamais été donnée à Marine Le Pen, rappelant au passage que celle-ci avait été invitée par ce même rue89.
Surtout, et c’est peut-être un argument un peu plus valable, en tout cas moins contradictoire que la démarche précédente, qui semble renier une liberté d’expression pourtant revendiquée, comme nous allons le voir, il démontre, par de multiples exemples bien étayés, que la journaliste du site de gauche a non seulement mal lu, ce qui n’est pas étonnant à une époque où cet art devient suranné, mais aussi a sorti les textes des circonstances de leur parution, de leur contexte, et a donc mêlé des époques dissemblables, sans aucune commune mesure. Il s’en prend d’ailleurs à elle en l’accusant d’employer « un pseudonyme pour faire amie-ami », et en rappelant [que] « plusieurs personnalités et médias -sa cible se limitant aux plus fervents critiques de la politique impérialiste des puissances alliées à l’OTAN ou de l’Etat israélien- ont reçu « ce baiser de Judas » ». Cet entrisme masqué est devenu de mode chez maints hommes et femmes de presse. Signe que la déontologie journalistique est plus que ruinée, et que le militantisme sournois l’emporte. Mais ces déficiences méthodologiques et morales surprennent-elles, quand nous avons chaque jour les témoignages, aussi bien dans la presse écrite que dans celle radiophonique ou télévisuelle, de ces arrangements avec la vérité des faits, et un éloignement constant avec la neutralité et la rigueur inhérente à ceux qui voudraient rendre compte fidèlement de l’actualité ?
Quant au fond, arguant qu’il veut affronter la « pensée unique », René Balme y arrive en défendant courageusement le droit pour chacun d’exprimer ses convictions, malgré ce qu’on peut en penser. « Ce sont des gens, dit-il, qui ont le droit de s’exprimer. Ils disent des choses qui me paraissent intéressantes »
Et de revendiquer ses convictions, non sans panache : « J’ai toujours affirmé mon combat pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et mon combat contre la désinformation ». Et « je suis antisioniste : je combats celles et ceux qui militent et œuvrent pour l’occupation de la Palestine et l’asservissement des Palestiniens. »
Au-delà du cas de cet adversaire talentueux et intelligent, courageux et lucide, il est utile de s’interroger sur ce lever de bouclier face à des usages, dont celui de la liberté, qui ne devraient poser aucun problème, tant on nous explique que nos ancêtres sont morts pour qu’elle existe, et que l’Occident, justement, s’ingère dans les affaires des autres Nations en son nom. Comment des gens de gauche, qui font de la lutte contre la censure un fonds de commerce, peuvent-ils s’oublier jusqu’à hurler, toujours sur ce ton déclamatoire et passablement ridicule d’un BHL qu’on écorche, et exiger que le bras séculier s’abatte sur les coupables, les hérétiques, les gibiers de potence ? Nous devinons-là quelque chose qui ressemble à une religion dogmatique, à l’inquisition, à Torquemada.
Il est vrai aussi que la critique venant cette fois-ci de la gauche, elle est d’autant plus gênante. En effet, quand ce sont des militants d’ « extrême droite » (terme peu opératoire) qui s’en prennent à l’Etat sioniste, il est aisé de les accuser d’antisémitisme. On perçoit la même réduction avec les adeptes de l’Islam, qui perd son caractère exotique et bon sauvage, si cher à la gauche bienpensante de toutes époques, pour se mouler dans les habits horrifiques de l’ « infâme ». Mais là, avec René Balme, nous avons un militant exemplaire, tiers-mondiste, on pourrait dire appartenant au « bon camp », un peu comme le George Orwell de la Catalogne libre.
Il est vrai que toute cette légende dorée issue des années soixante est passée de mode. Chez les écologistes, par exemple, nombreux sont ceux qui ont versé sans vergogne dans le libéralisme, à condition qu’il soit vert. Et on a vu l’ouverture de la chasse aux antisionistes. Mamère, le donneur de leçons, n’a-t-il pas prôné un temps la délation à l’encontre de ceux qui étaient trop virulents vis-à-vis de l’Etat juif ?
Deux phénomènes se déploient en ce moment sous nos yeux, depuis une quinzaine d’années : la sionisation d’une partie de l’extrême droite européenne, et la même contamination d’une frange de l’extrême gauche, de plus en plus intégrée au système, souvent stipendiée pour ce travail de dénonciation et de défense de l’Occident et d’Israël. Un bon exemple fut par exemple le soutien de Mélenchon à la guerre néocolonialiste de l’Otan en Libye. De même, les ennuis avec des nervis gauchistes, que connurent Michel Collon et Victor Dedaj, pourtant de gauche, en témoignent. Tous deux avaient le défaut rédhibitoire de dévoiler les aspects déplaisants de la politique israélienne.
En Allemagne aussi, de la mouvance maoïste est sortie, dans les années 90, une mouvance dite « anti-Deutsch ». Contrairement à leurs congénères des années soixante, ces « communistes » défendent l’Amérique, la France et Israël, ces trois Nations étant perçues comme des étapes avancées vers le communisme, contrairement à l’Allemagne, dont le péché originel fut de naître contre les Lumières, et les Etats arabes, pré-modernes, donc arriérés. Aussi les a-t-on vus soutenir la guerre en Irak et l’opération Plomb fondu en Palestine, et attaqué violemment les adversaires de l’impérialisme atlantiste et sioniste.
De telle façon que les lignes commencent à évoluer par-delà les distinctions traditionnelles. Comme les concepts de droite et de gauche, celles qui touchent leurs « extrêmes » sont désormais obsolètes. Il est ainsi temps de concrétiser la véritable opposition qui compte, entre, d’une part, la volonté hégémoniste d’un empire libéral et niveleur, et, de l’autre, toutes les forces résistantes qui veulent un monde pluriel, riche des traditions de chaque peuple.