Parag Khanna, l’homme qui pense la politique étrangère de l’Empire
Bien rares sont, en France, ceux qui connaissent ne serait-ce que le nom de Parag Khanna. Et pourtant ce trentenaire est sans doute actuellement le géopoliticien le plus écouté à Washington et son dernier livre, How to Run the World?, pourrait bien expliquer tant l’intervention occidentale en Libye que certaines décisions américaines récentes en Irak et les troubles qui agitent actuellement le Machrek.
Né en 1977 dans une petite ville du Nord de l’Inde, ayant acquis la citoyenneté américaine par naturalisation, Parag Khanna a fait un parcours sans faute de surdoué jusqu’à devenir un intellectuel organique de l’hyper-classe nomade et sans racines. Après des études de relations internationales à l’université de Georgetown et un doctorat à la London School of Economics effectués grâce à des bourses de plusieurs fondations yankees, notre homme est engagé, à seulement vingt-deux ans !, comme analyste par le Council on Foreign Relations. Cette première expérience décide de toute sa carrière et Parag Khanna n’a jamais cessé depuis d’être un analyste et un consultant pour des think tanks et des ONG mondialistes. Ainsi sera-il successivement employé par le Forum mondial économique de Genève et par la Brookings Institution où il aura en charge la prospective concernant la « gouvernance globale ». Il quittera ce poste pour devenir conseiller en géopolitique de l’United States Special Operations pour l’Irak et l’Afghanistan en 2007 avant d’intégrer l’équipe de campagne de Barack Obama comme conseiller pour les relations internationales.
En parallèle Parag Khanna, par ailleurs devenu membre de la direction du Council on Foreign Relations, sera aussi un des animateurs des Independent Diplomats, une ONG dont une des fonctions est de « fournir des diplomates free-lances à des États non-internationalement reconnus ». À ce titre, il jouera un rôle dans l’accession à l’indépendance du Kossovo, ainsi que dans l’évolution de la situation diplomatique du Somaliland, de la république turque de Chypre et du Sahara occidental. Dans le même temps, il publia The Second World: Empires and Influence in the New Global Order où il annonçait un monde dominé par trois grandes puissances – les USA, la Chine et l’Europe – rivalisant entre elles pour le contrôle des ressources de la planète.
Ces multiples activités et engagements firent que, toujours en 2008, le magazine Esquire le cita parmi les soixante-quinze personnalités les plus influentes au monde et que le mensuel libertarien Wired l’inclut, quant à lui, dans sa liste des quinze hommes de l’année. En 2009, c’est le Forum mondial économique de Genève qui le distingua en le nommant Young Global Leader…
En janvier 2011, l’éditeur Random House a publié son deuxième livre : How to Run the World? Parag Khanna y explique comment le nombre d’États représentés à l’ONU devrait croître à court terme de manière très importante (passant de 200 à 300) par la remise en cause des accords diplomatiques qui ont décidé de la partition du Proche-Orient (accords Sykes- Picot de 1916) et de l’Afrique (traité de Berlin de 1884). De la nouvelle carte du monde devraient disparaître les États artificiels au profits de territoires uniformes d’un point de vue ethnique ou religieux.
Si l’hypothèse n’est pas réellement nouvelle et recycle beaucoup d’idées déjà présentes dans les diverses stratégies suivies ces dernières décennies par le Département d’État, elle a cependant l’avantage de les formaliser clairement. Quant à sa mise en œuvre, elle a débuté au Soudan avec sa partition et en Irak avec les diverses tentatives de le « libaniser » (voir notre article sur l’Assyristan dans Flash n° 54). Rien ne dit qu’elle ne va pas continuer avec un éclatement de la Libye, et pourquoi pas du Machrek tout entier comme l’ont évoqué très récemment aussi bien Aluf Benn, le chroniqueur diplomatique du quotidien israélien Haaretz, que Thomas Friedman, du New York Times, qui tous les deux évoquent l’explosion de la Syrie, de la Jordanie, de Bahrein et de l’Arabie saoudite, tandis qu’aux États-Unis certains lobbies soutiennent l’idée d’une possible autonomie pour les coptes d’Égyptes.
Dans l’immédiat cependant les avis sont très partagés parmi les officiels et nombre de diplomates et politiques, tant yankees qu’israéliens, freinent des quatre fers craignant que du renversement des gouvernements forts actuellement existants naisse un chaos politique et religieux similaire à la situation irakienne et plus dangereux que positif au final, tant pour la survie d’Israël que pour les intérêts de l’Oncle Sam.
Cela étant, dans The Second World Parag Khanna se fait aussi l’apôtre de la mega-diplomacy situation où la fonction diplomatique n’est plus l’apanage des États mais est prise en charge aussi par les ONG, les célébrités mondiales, les groupes activistes internationaux, etc. dans une optique qui ressemble comme deux gouttes d’eaux à la gouvernance mondiale… Tout ceci permet de comprendre que Parag Khanna n’est pas qu’un brillant agent de l’impérialisme américain, mais qu’il est aussi, comme nous l’annoncions précédemment, un intellectuel organique de l’hyper-classe. Cela a une conséquence : il défend des thèses qui sont favorables à celle-ci, même si elles peuvent nuire aux États-Unis - pays dont il n’a, somme toute, que la nationalité… - qui ne sont pas, à terme et comme l’Europe, à l’abri d’un éclatement sur des bases ethniques et qui ont eux aussi beaucoup à perdre de la montée de la notion de gouvernance.