Alep et les enjeux de la lutte anti-impérialiste
L’issue de la bataille d’Alep ne fait guère de doute. L’importance de cette ville industrielle et commerçante, non loin de la frontière turque, explique que son contrôle est vital. La Syrie est conservée par là, plus que par Damas. C’est sa faiblesse et sa force. Bachar El Assad n’ignore pas, en outre, qu’il n’est guère de possibilités pour lui et les troupes loyalistes, contrairement aux mercenaires islamiques, de se retirer et se réfugier dans un arrière pays, un espace où reprendre un second souffle. Le fait d’être cerné par des pays hostiles, dont certains, comme Israël et la Turquie, sont des ennemis déclarés, ne donne guère le choix : vaincre ou mourir est le seul dilemme qui se pose à de nombreux syriens, alaouites, chrétiens, chiites etc., tous ceux enfin qui ont tout à perdre, liberté, dignité et même la vie si les fanatiques djihadistes, salafistes et terroristes d’Al Kaïda, l’emportent. Ce ne serait même pas la valise ou le cercueil, mais une tuerie sans mesure, et un étouffement brutal de toutes les libertés de mœurs, de la coexistence pacifique entre les communautés, que l’Etat républicain baasiste syrien avait réussi à maintenir, malgré la montée de l’islamisme fondamentaliste.
La comparaison avec le sort tragique de la Libye s’impose. D’un côté, les forces nationales d’un pays récalcitrant ont été défaites par une armada disproportionnées. La maîtrise du ciel a été déterminante. L’adoption par les Nations Unies de la résolution 1973, qui permettait la constitution d’une « zone d’exclusion aérienne », a donné le prétexte machiavélique aux alliés de l’Amérique, France et Grande Bretagne, qui, en même temps que l’honneur, on abdiqué leur indépendance, de détruire les défenses aériennes et terrestres des forces du colonel Kadhafi. Qui contrôle le ciel contrôle la terre.
Or, c’est bien l’armée républicaine syrienne qui est maîtresse de son propre espace aérien. Ce facteur déterminant est, bien sûr, la conséquence des vetos russes et chinois, qui ont bloqué toutes les velléités d’intervention des américano-sionistes et de leurs alliés. Les chancelleries, relayées par le chœur des pleureuses journalistiques, ont eu beau déclamé leur indignation dans le style bouffon qui est désormais le leur, mélange de rhétorique mélodramatique et de cris hystériques qu’on ne trouve guère que dans les zoos, personne n’a eu la présence d’esprit, et pour cause, d’effectuer une comparaison avec les dizaines de résolutions relatives à la situation humanitaire catastrophique condamnant l’Etat d’Israël, accusé de spoliation de terres, d’apartheid, de crimes de guerre, etc. A notre souvenir, l’opération « Plomb fondu », au début 2008, n’avait pas non plus soulevé ces jérémiades hyperboliques, bien que des centaines d’enfants eussent été liquidés par les forces héroïques de Tsahal. Vérité en-deçà du Jourdain, mensonge au-delà ? L’on est bien obligé de constater que la plupart des « acteurs » et des « commentateurs », du moins ceux qu’on entend, ont choisi leur camp. Peut-être serait-il intéressant d’en chercher les raisons profondes…
Car un autre point de comparaison avec la situation libyenne est à souligner : c’est la sidérante et écrasante présence d’une propagande bétonnée dans le même ciment, qui saisit les cerveaux, quand bien même on voudrait garder quelque distance. Comme dans un concert où les décibels sont montés jusqu’à faire éclater les oreilles, on a lâché les bondes, ouvert grand les écluses, submergé les consciences et les cœurs. Ajoutées à cela les références aux mêmes sources grotesques et peu fiables, et cette répétition incessante et stéréophonique, stéréotypée et balisée, digne de 1984, qui fait passer la propagande des années 30 pour du travail d’amateur. Difficile, pour les citoyens peu soucieux de s’informer vraiment de se faire une idée adéquate de ce qui se passe vraiment. C’est là, à vrai dire, un phénomène, certes attendu, mais inquiétant, que de constater que nos sociétés prétendument instruites et éduquées, s’avèrent si crédules et perméables au bon gros mensonge étatique, peut-être davantage qu’il y a quelques dizaines d’années, où coexistaient des visions du monde différentes. La contestation contre la Guerre du Vietnam ne serait plus guère possible maintenant. Il faut se demander pourquoi si l’on envisage une lutte efficace contre le système, et élargir le champ de l’action en ne le cantonnant pas aux frontières nationales.
Quoi qu’il en soit, l’élément déterminant des évènements de l’année écoulée est l’émergence de plus en plus efficace d’une force de résistance à l’hégémonie américaine et sioniste à l’échelle planétaire. La Syrie est la porte de l’Asie, les Russes l’ont bien compris. Ils ont sans doute fait passer dans les pertes et profits le destin malheureux de la Libye, parce que cette bataille-là ne semblait pas pouvoir être gagnée. En revanche, on se félicitera non seulement de leur fermeté, mais aussi de la manière astucieuse, « professionnelle », fine et efficace avec laquelle ils ont accompagné ce qui constitue l’essentiel, à savoir le coup d’arrêt à la logique impérialiste dans la région. La diplomatie russe n’a pas perdu, contrairement à la nôtre, qui est un désastre et a oublié complètement des siècles d’expérience internationale, toute la maîtrise qui faisait sa force. Jouant avec des adversaires, il est vrai singulièrement abêtis par leur obsession et un pathos d’amateur, ils ont rusé avec eux comme avec des enfants. Peut-être seront-ils plus sages à l’avenir.
Enfin, il faut dire un mot de ceux qui applaudissent la liquidation de Mérah, et vilipendent un « régime odieux et tyrannique » qui ne fait que se défendre contre une agression terroriste d’obédience islamiste. Comment par exemple une Christine Tasin, et tous ses émules, peuvent-ils soutenir l’entité sioniste, qui, elle-même appuie des fondamentalistes islamistes, lesquels s’en prennent à la société française ? Il faudrait expliquer par quelle acrobatie on arrive à justifier une telle gymnastique, sachant au passage que des Français musulmans combattent au milieu des mercenaires djihadistes en Syrie.