La notice nécrologique du « Spiegel » sur le décès de Franz Schönhuber
Etonnante notice nécrologique du « Spiegel », à l’occasion du récent décès de Franz Schönhuber. Après une brève esquisse biographique, qui rappelle que Schönhuber était le fils d’un boucher membre de la NSDAP et qu’il avait servi, à l’âge de 19 ans, dans les rangs de la Waffen-SS. Après la seconde guerre mondiale, pourtant, le journaliste talentueux et polyglotte, que fut Franz Schönhuber, était connu pour ses opinions de gauche dans les années 50 et au début des années 60, avant d’entrer dans l’orbite de la CSU bavaroise au temps de Franz-Josef Strauss. En 1982, Schönhuber publie une partie de ses mémoires, qui traitent essentiellement de sa jeunesse pendant la seconde guerre mondiale. Le titre de ce livre est « Ich war dabei », soit « J’en étais », allusion directe, même pas cryptée, à son service militaire dans la Waffen-SS. Schönhuber ne tombe pas dans les lamentations habituelles, ne se bat pas la coulpe, ne larmoie pas, il décrit les faits, il explique les motivations, les craintes, les illusions d’une génération d’Allemands, la sienne : c’est donc un tollé. Parce qu’il n’utilise pas le langage conventionnel. Sous la pression des dévots du système et de leurs chiens de garde gauchistes, il perd son emploi de journaliste à la « Bayerischer Rundfunk », la radio bavaroise. Il fut ainsi une des premières victimes de la censure et de la chasse aux sorcières inaugurée par l’ère néo-libérale après l’élection de Reagan à la Présidence américaine en 1981. Furieux du sort qui lui a été ainsi fait, Schönhuber fonde un parti populiste, les « Republikaner », qui sera d’abord un succès, le plus gros succès électoral populiste en Allemagne fédérale après la promulgation de la nouvelle constitution de 1949. Secoué par des querelles internes, sans doute fomentées par des agents provocateurs, le parti des « Republikaner » se disloque et s’anémie pour tomber dans l’insignifiance. Schönhuber, personnalité forte et intègre, n’est guère éclaboussé par les scandales : il continue son combat dans les rangs de la DVU et de la NPD.
Mais où l’article nécrologique du « Spiegel » devient intéressant, c’est quand il ne se borne pas seulement à rappeler ce passé politique de Schönhuber depuis 1982. C’est quand il émet quelques commentaires après la partie purement biographique, relatant les faits et gestes du défunt. Le « Spiegel », dans son langage si particulier, lui rend un subtil hommage en disant, notamment, que « mentalement, l’égomane polyglotte est resté étranger à la clientèle d’extrême-droite ». Le rédacteur anonyme salue ainsi, à sa manière, l’originalité foncière de cet homme, souligne la vigueur de son irréductible personnalité, impossible à encadrer, qui avait le sens du divers grâce à son multilinguisme. Schönhuber parlait en effet français, russe et turc, connaissait à fond l’histoire des pays dont il maîtrisait les langues. Nous ajouterions, pour l’avoir lu, que son style littéraire était d’une fraîcheur, d’une vigueur et d’une clarté, devenue rares dans une Allemagne torturée par le doute existentiel, par une culpabilité imposée par la « rééducation » de l’occupant américain, par l'effroi face à toute parole forte et tranchée. Les textes les plus poignants de Schönhuber ne concernaient pas la politique ou les vicissitudes de l’aventure des « Republikaner », mais des faits de vie, des rencontres, des miniatures admirables quand à leur stylistique, des souvenirs d’événements ou de personnalités hors du commun. Le tout dans un allemand vraiment limpide. Schönhuber n’était donc pas seulement un vieux reître du journalisme bavarois et du populisme allemand, il était bel et bien un styliste, un maître de la langue tudesque. Osons espérer que la postérité le retiendra aussi sous cet aspect-là!
Mieux, le chroniqueur nécrologique du « Spiegel » rappelle la russophilie fondamentale de Schönhuber. Ses derniers voyages ont porté ses pas là-bas, vers les immensités de la terre russe, dans une volonté fraternelle d’apaiser les affreuses querelles qui ont saigné l’Allemagne et la Russie au 20ième siècle. Le « Spiegel » rappelle aussi qu’il admirait l’agent soviétique des temps héroïques de la fondation de la Russie des Soviets : Karl Radek. Envoyé en Allemagne pour y organiser la révolution et pour prendre tous contacts utiles, Radek lancera le mouvement national-bolchevique, appelant à la réconciliation des extrêmes pour abattre la république bourgeoise, prête à payer les réparations exigées par Paris. Le « Spiegel » rappelle aussi que Radek rendit un vibrant hommage au résistant allemand Albert Leo Schlageter, fusillé en 1923 par les occupants français, pour avoir saboté des lignes de chemin de fer. L’admiration de Schönhuber pour Radek interdit, sous-entend le « Spiegel », de classer cet homme dans l’extrême-droite au sens habituel du terme.
Franz Schönhuber s’est éteint à l’âge de 82 ans, le 27 novembre dernier, à Rottach-Egern en Bavière.
« Der Spiegel », n°49, 2005 |