1 – Julius Evola est une des figures centrales de ce phénomène idéologique nommé la révolution conservatrice. Il était très proche des représentants de ce courant idéologico-politique allemand, tels Heinrich von Gleichen et le prince Karl Anton Rohan, du Club des Seigneurs, une filiale du Club de Juin créé par Arthur Moeller van den Bruck, la grande figure fondatrice de la RC allemande.

2 – La participation d’Evola à la politique italienne peut de même être qualifiée de révolutionnaire conservatrice. Le terme même de révolution conservatrice définit d’une manière parfaite la vision du monde évolienne, au-delà des aspects plus contingents de son œuvre.

3 – Précisons que la révolution conservatrice n’a jamais été un phénomène réactionnaire. Les deux termes de l’expression révolution conservatrice, expression à première vue paradoxale, sont particulièrement signifiants et reflètent la profonde originalité de ce phénomène qui dépasse considérablement le cadre du mouvement allemand habituellement désigné par ce nom.

4 – La révolution conservatrice est une vision conservatrice de la révolution, c’est-à-dire la révolution vue de droite. Mais la révolution conservatrice, c’est aussi une vision révolutionnaire du conservatisme, c’est-à-dire le conservatisme vu de gauche.

5 – Politiquement, Evola se positionne sur l’aile droite de la révolution conservatrice et se qualifie lui-même de réactionnaire. Mais l’ensemble de son œuvre (et principalement ses premiers et ses derniers livres) montre clairement et incontestablement la présence en lui d’une sensibilité authentiquement révolutionnaire. Cette sensibilité ne peut être comprise que comme étant de gauche dans la terminologie contemporaine.

6 – A ce propos, on parle souvent d’un anarchisme de droite, ce qui revient au même puisque l’anarchisme est un concept incontestablement de gauche.

7 – Le paradoxe de la révolution conservatrice chez Evola est beaucoup plus marqué au niveau métaphysique qu’au niveau politique. Si, dans ce dernier champ d’action, Evola semble attiré par la droite ou l’extrême-droite conservatrice (ce qui a occasionné, par exemple, sa collaboration à la revue Contre révolution des conspirationnistes Emmanuel Malynski et Léon de Poncins), au niveau métaphysique, il est indéniable que ses sympathies vont à des courants moins orthodoxes. Contrairement à des conservateurs politiques ou religieux comme Léon de Poncins ou Heinrich von Gleichen, Evola reste fidèle à la voie de la spiritualité, voie profondément non-conformiste, que l’on pourrait qualifier de gauche métaphysique. L’expression indienne vâmâcâra (voie de la main gauche) est très significative à cet égard, surtout lorsqu’Evola se définit explicitement comme un adepte de cette voie.

8 – La célèbre équation personnelle d’Evola, qui se définit lui-même comme un brahman-kshatriya, entre elle aussi dans le cadre métaphysique.

9 – S’il est à droite sur le plan politique, au niveau métaphysique il est du côté de la révolution. Et quand je parle de révolution métaphysique chez Evola, je pense non seulement à Chevaucher le tigre, mais aussi et surtout à des œuvres comme Le Yoga de la puissance et La Doctrine de l’éveil, voire à d’autres textes sur le tantrisme, la magie ou le zen.

10 – Evola voit dans le tantrisme la forme traditionnelle qui reflète sa propre nature spirituelle. Le vira tantrique est son propre archétype. Mais la figure du vira tantrique qui nie les liens traditionnels védiques, qui s’occupe de pratiques obscures et terrifiantes dans les cimetières est-elle vraiment orthodoxe ? Parler ici d’orthodoxie stricte est impossible. Il s’agit plutôt d’une certain orthodoxie hétérodoxe et donc de révolution conservatrice. On peut également rappeler l’attitude plutôt positive qu’Evola eut à l’égard de personnages tels Aleister Crowley, Giuliano Kremmerz , Gustav Meyrinck, habituellement suspects aux yeux des traditionalistes.

11 – La voie de la main gauche consiste essentiellement en une négation totale de la sacralité extérieure (c’est là une attitude foncièrement révolutionnaire) dans le but d’atteindre et de réaliser une sacralité intérieure (c’est là une affirmation conservatrice). Pour cette raison, le vira tantrique nie les castes, les normes, les règles. La voie tantrique est la voie par excellence.

12 – Pour moi, l’essence du message évolien consiste précisément en une troisième voie spirituelle, en une orthodoxie hétérodoxe, en une révolution conservatrice métaphysique.

13 – Qualifier Evola d’homme de droite (c’est-à-dire affirmer qu’il est implicitement orthodoxe) est une erreur. Le qualifier d’homme de gauche (c’est-à-dire un vecteur de la subversion de l’orthodoxie) en est une autre.

14 – Pour comprendre Evola, il faut rejeter la dichotomie entre politique et spirituel. L’essence de son message est avant toute chose paradoxale. D’après le conseil que nous ont donné les maîtres antiques de l’alchimie occidentale, il faut expliquer le paradoxe par le paradoxe, l’obscur par l’obscur.

15 – La lecture d’Evola qu’a faite la droite est désormais épuisée. Considérer Evola comme un penseur de droite est banal, et c’est en raison même de cette banalité que ce raisonnement n’est pas vrai. Il faut redécouvrir la dimension de gauche d’Evola, surtout la gauche métaphysique qu’il véhicula, pour comprendre la vraie nature de la révolution conservatrice chez l’un des plus grands hommes de notre siècle.