Alain de Benoist et Jean Madiran sont deux des plus grands intellectuels français contemporains. À l’inverse d’un Thomas Molnar ou d’un René Girard, ils ne se sont pas délocalisés et, même si leur audience est parfois plus large à l’étranger qu’ici, c’est ici, justement, qu’ils persistent à faire entendre leur voix. De droite tous les deux, même s’il ne s’agit pas exactement de la même droite, ils livrent des analyses parfois concordantes. Étonnant ? Pas tant que ça…
Le 17 mai dernier, Alain de Benoist, fondateur du GRECE et patron de ce qui est plus ou moins bien connu – et défini – sous le sobriquet de “Nouvelle droite”, a fait circuler sur Internet, un long article dont l’intégralité est disponible, entre autres sites, sur celui d’Alain Soral, www.egaliteetreconciliation.fr. Tout d’abord, le constat : « Avec 3,8 millions de voix et à peine plus de 10 % des suffrages, contre 4,8 millions et près de 17 % des voix le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen, que les sondages avaient crédité de 14 % durant la campagne, est sans conteste le grand perdant du premier tour. » Abrupt, mais franc. Puis, à propos de ce qui peut éventuellement en découler à l’intérieur du Front national : « Cette défaite a immédiatement relancé les critiques qu’une coalition de nostalgiques, de rétrogrades et d’aigris multipliait depuis déjà quelque temps contre la nouvelle ligne politique du mouvement. En adressant des signes répétés aux Français issus de l’immigration, en considérant la jeunesse des banlieues comme le “révélateur de tous les mensonges de notre sociale-démocratie” (Alain Soral), en adoptant un langage de type “ouvriériste”, Le Pen aurait “déstabilisé” son électorat naturel. La critique s’est concentrée contre Marine Le Pen, directrice stratégique de la campagne de son père, accusée de vouloir surtout plaire “à ceux qui ne votent pas Front national”, de privilégier la séduction des médias, de rendre le discours de son père “acceptable” au risque de le “banaliser”. L’écrivain Alain Soral, ancien communiste rallié au FN, aurait de son côté dangereusement“ gauchi” le langage du Front. C’est cette nouvelle stratégie qui se serait révélée “fatale”. »
En fait, à en croire Alain de Benoist, c’est précisément cette stratégie qui aurait, en quelque sorte, permis au président du Front national de sauver les meubles : « La défaite de Le Pen ne s’explique nullement par l’adoption d’une ligne nouvelle, “antixénophobe” et résolument “ouvriériste”, qui aurait désarçonné ou démobilisé le cœur de son électorat. Elle s’explique par une seule raison : la bourgeoisie a quitté le Front. Ayant trouvé en Sarkozy un représentant plus jeune et plus crédible d’une “droite décomplexée”, la petite et moyenne bourgeoisie a tout naturellement changé de monture. (…) Comme l’a écrit le défunt philosophe Jean Baudrillard, les copies ont aujourd’hui un pouvoir de séduction beaucoup plus grand que les originaux. (…) Le FN s’est bâti en attirant à lui des déçus de droite et des déçus de gauche. Révélateur est le fait que ce sont les déçus de gauche qui lui sont restés le plus fidèles. »
De son côté, Jean Madiran, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, note dans le quotidien Présent, dont il est l’un des éminents fondateurs : « Dimanche soir, nous avons vu et entendu Marine défendre, avec beaucoup de vaillance et de pertinence, le point de vue selon lequel les électeurs ont approuvé les idées nationales dans la bouche de candidats que rien ne désigne pour les appliquer. Mais objectivement, la succession n’est pas ouverte. Le Front national est, de loin, la plus forte composante du mouvement national, aujourd’hui comme hier. Jean-Marie Le Pen en est le chef naturel. Au mouvement national il a donné une représentativité, une consistance, une carrure qu’il n’avait pas eues politiquement depuis plus de soixante ans, – et qu’il n’avait pas eues électoralement depuis plus de quatre-vingts ans. La véritable influence et le commandement doivent aller aux états de service. Ceux de Jean-Marie Le Pen sont incomparables. C’est pourquoi nous avons voté pour lui et nous le ferons, sauf imprévu, aussi longtemps qu’il nous le demandera. Rien n’y peut rien, pas même le “combat de trop”. C’est Le Pen seul qui, soit par sa décision, soit par sa mort, pourra ouvrir sa succession. » Et toujours à propos de cette dernière, qui semble agiter tant d’esprits, Jean Madiran : « Éviter de recommencer 1998. Il est normal que les uns et les autres pensent à cette succession. Il ne serait pas bon qu’elle se prépare et se présente d’une manière subversive. Si l’on veut conquérir le Front national contre ou sans la volonté de Le Pen, on risquera de le détruire. » On a déjà lu plus sot…
Évidemment, la hauteur de vue dont font preuve Madiran et de Benoist ne pouvait qu’échapper à certains. Pierre Vial, par exemple, chef de la très scoutiste association Terre et peuple, venu du GRECE pour aller au FN, parti du FN pour rejoindre au MNR, revenu du MNR pour rallier le FN et qui, depuis, ne sait plus très bien où il est lorsqu’il appelle de ses vœux un mouvement unitaire, « sans chef auto-proclamé, un organisme de coordination très souple (qu’on peut appeler Front Charles Martel, ou de tout autre nom annonçant clairement l’objectif) peut et doit regrouper, pour des actions ponctuelles et ciblées de propagande, les diverses sensibilités de notre mouvance (nationalistes et identitaires, régionalistes, catholiques traditionalistes et païens, monarchistes et républicains, membres du FN, du MNR, du Parti Populiste, du Bloc identitaire, de Réfléchir et Agir, de Terre et Peuple, etc.). (…) Avec une seule signature fédératrice (Front Charles Martel ou toute autre, peu importe), qui n’a pour but que d’indiquer clairement quel est pour nous tous l’objectif prioritaire. Et qui nous redonne du souffle, l’envie de nous battre. Est-ce trop demander ? » Là n’est pas la question. Ou bien inversons-là : serait-ce trop demander à Pierre Vial de faire enfin de la politique ; car enfin, un front Charles Martel en 2007 ? Pourquoi pas une amicale Paul Déroulède ?
Dominique Venner, lui aussi proche du GRECE, ancien d’Europe-Action et directeur de la remarquable Nouvelle revue d’histoire, se pose lui aussi la question dans une tribune intitulée « Pour une chronique positive », citée par Christian Bouchet, sur l’excellent site Internet
voxnr.com : « Zéro plus zéro, cela fait toujours zéro. L’addition des mythomanes, des comploteurs, des nostalgiques, des arrivistes et des nationaux, ne donnera jamais une force cohérente. Conserver l’espoir d’unir les incapables, c’est persévérer dans l’erreur. Les quelques éléments de valeur sont paralysés par les farfelus qui les entourent. Le jugement populaire ne s’y trompe pas. » On pourra s’étonner de cette convergence de vues entre personnes que tant de choses séparent – une fois de plus, la droite de Jean Madiran n’est pas celle d’Alain de Benoist, ni de Dominique Venner –, ce serait néanmoins négliger ce fait majeur que tous, à leur manière, chérissent la France, l’Europe, ne célèbrent leur passé que pour mieux en préparer l’avenir, militent pour une société de transcendance et non point pour le magma de consumérisme mondialisé qu’on entend de plus en plus nous imposer à marches forcées. Et comme, de plus, le sens politique ne manque ni à l’un ni aux autres, le seul étonnement qui vaille consiste à s’étonner qu’ils puissent, là, se trouver d’accord. Sur l’essentiel. On n’en attendait pas moins d’eux.