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Samedi, 23 Décembre 2006
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La nation du mythe et de la réalité
Daniel Dionne
Histoire :: Autres
La nation du mythe et de la réalité
Dans ce texte, je propose une analyse du drame et du traumatisme vécus par les peuples colonisés, dont le peuple québécois est un exemple. Comme le disait Marcel Chaput en rapport avec l’anglicisation du peuple québécois: «D’ailleurs, de toute façon, l’anglicisation des canadiens français est inévitable; ce n’est qu’une question de temps. D’autres, sans écrire de lettres aux journaux, sans le crier sur les toits et sans attendre d’invitations, se sont tout simplement laissés angliciser. » Donc pour Marcel Chaput, il n’y a qu’une seule solution pour éviter l’assimilation à long terme, cette solution c’est l’indépendance nationale du peuple du Québec.-1.

Les petits peuples ont une grande soif de vivre en s’accomplissant à travers leur culture. Le colonisé porte donc en lui un traumatisme et une frustration, car il a perdu une partie de lui-même pour hériter d’une autre, en devenant « le bon petit nègre blanc », « le singe » et « l’épave » du colonisateur.

L’Afrique, terre de colonialisme

À propos des missionnaires, Idi Amin Dada disait : « Des blancs d’Europe et d’Amérique viennent dans notre pays sous des prétextes religieux. En réalité, ce sont des mercenaires qui ne connaissent rien à la Bible. » Les paroles d’Idi Amin Dada, célèbre dictateur ougandais, en disent long sur la hargne du colonisé face de son colonisateur. Même si certains pays d’Afrique du Nord, comme la Libye, la Tunisie et l’Algérie, ont réussi à passer à travers bien des épreuves, il ne faut pas oublier que la grande majorité des pays d’Afrique, après 40 ans de décolonisation, se portent mal.

En Afrique, l’héritage colonial a contribué au développement d’une situation qui, d’un point de vue politique, est tragique. Deux figures politiques ont incarné une volonté d’affirmation nationale en face des anciens colonisateurs. Ces deux figures populistes, qui ont fait preuve d’une brutalité féroce, sont les produits d’une décolonisation mal digérée : Mobutu Sese Seko, qui a dirigé le Zaïre (aujourd’hui la République démocratique du Congo) de 1965 à 1995, et Idi Amin Dada, qui a dirigé l’Ouganda de 1971 à sa chute, lors du coup d’État survenu en 1979. Tous deux sont de parfaits exemples de difficultés du relèvement national dans la période décolonisatrice, entre 1950 et 1980.

En matière d’économie, Mobotu Sese Seko et Idi Amin Dada avaient développé leur pays dans la voie d’un socialisme et d’un nationalisme africains. Le concept de la négritude et les théories nationalistes-révolutionnaires du théoricien antillais Franz Fanon, auteur des Damnés de la terre, grand classique de la décolonisation, les ont fortement influencés.

L’expérience de ces pays a été tragique parce que le nationalisme africain, pour s’affirmer, a dû faire face à la complexité des cultures et des traditions tribales, qui font partie intégrante de l’Afrique depuis plusieurs siècles. En effet, sur ce continent, les frontières nationales sont le produit du colonialisme, les colonisateurs anglais, français, allemands, belges et portugais ayant établi les frontières à leur propre avantage. Au moment de la décolonisation, les conséquences furent donc dramatiques pour les peuples qui habitaient ces pays. Mobutu Sese Seko, qui était de la tribu des Batetelas, favorisa sa tribu au dépend des autres tribus établies sur le sol zaïrois. Pour sa part, Idi Amin Dada, qui était de la tribu des Kakwa, a favorisé cette dernière, au dépend des Lengi, qui, même si ses membres avaient la même couleur de peau que ceux de sa tribu, furent en grande partie massacrés sous son règne. L’ancien président de l’Ouganda, Obote, qui fut renversé par Idi Amin en 1971, était un Lengi, et il appliquait déjà une politique des privilèges au profit de la tribu dont il était issu.

Les crises culturelles et xénophobes qui secouent plus que jamais le continent africain, sont la conséquence du colonialisme et du néo-colonialisme mis en œuvre par les pays occidentaux depuis la fin des années 60. Le décret que Mobutu avait appliqué pour la « zaïrisation » de la liturgie catholique, la confiscation des biens des Indiens de l’Ouganda et leur expulsion du pays (dans le cadre de la guerre économique mise en pratique par Idi Amin), sont des exemples de révolte contre l’étranger et de rejet de ce que le colonisateur a laissé socialement et culturellement dans les mentalités. Nous assistons là à un phénomène tragique lié à une crise psychique dont le colonisé est atteint après des années de colonisation, qui l’ont coupé de son passé et de sa culture d’origine.

Il ne faut pas oublier que les Indiens se sont établi en Ouganda à la fin du XIXe siècle avec le colonisateur anglais et qu’ils ont contrôlé une bonne partie de l’économie du pays. Pour l’Anglais, les Indiens appartenaient à une classe supérieure à celle dont faisaient partie les Noirs et, par leur facilité à faire des affaires, ils évoquaient l’image du juif aux yeux de l’Ougandais. Si Idi Amin Dada détestait les juifs, les Anglais et les Indiens, il admirait les Écossais; il avait un faible pour l’uniforme de ce peuple et il avait même un « bataillon d’Écossais » personnel. Il voyait dans l’Écosse un pays conquis par les Anglais et un peuple victime de l’emprise des colonisateurs britanniques, tout comme l’était le jeune peuple ougandais.

Pour en savoir plus sur cette question, le lecteur pourra consulter l’ouvrage de Éric Wiedemann, Amin Dada, inquiétante énigme de l’Afrique, paru aux Éditions Select en 1977, et celui de Denis Ropa, Qui est Idi Amin Dada?, paru aux Éditions L’Harmattan en 2000.

Évidemment, l’histoire est un long chemin semé de calamités et de grandeurs. Le colonialisme a été un élément majeur du développement du capitalisme et des technologies aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Aujourd’hui, depuis le début du XXe siècle et de la Grande guerre de 14-18, nous sommes passés du stade du colonialisme à celui de l’impérialisme. Voir le livre de V. Lénine « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme » paru en 1917. V. Lénine dit dans la préface de son livre aux éditions françaises et allemandes : « Ce livre montre que la guerre de 1914-1918 a été de part et d’autre une guerre impérialiste (c’est-à-dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage), une guerre pour le partage du monde, pour la distribution et la redistribution des colonies, des « zones d’influence » du capital financier, etc. »-2.

Il est naturel qu’un peuple puissant veule dominer un autre peuple parce qu’il est le plus fort. Il est tout aussi naturel, que le peuple dominé tende à se libérer de son dominateur. L’existence est basée sur la survie et sur la volonté de puissance. La paix est le repos du guerrier, la guerre, la longue confrontation de l’espèce humaine dans ses diversités les plus absolues. La vie et la lutte ne forment rien d’autre qu’un élément unis, inséparable.

Pour bien comprendre les révolutions zaïroise et ougandaise, il faut les analyser dans l’optique d’une régénération de la nation par le mythe du retour à la terre purifiée pré-colonisatrice. On pourrait dire d’un point de vu psychanalytique, que le retour aux sources ethniques, culturelles et aux origines linguistiques est un pur fantasme érotique vivant dans l’inconscient du colonisé, qui veut renouer avec « la mère terre », « la mère patrie ». Il existe un rapport charnel, spirituel et sensuel des vivants avec les morts. Ces rapports se vivent par le sang et par la conscience d’une culture perdue à cause de la colonisation.

Le traumatisme de la colonisation ou la recherche de l’utopie dans la réalité

Selon Jacques Berque (auteur, qui fut professeur au Collège de France et directeur de l’École des Hautes études, qui séjourna au Québec au début des années 60) et Albert Memmi (écrivain et sociologue d’origine tunisienne et juive), tous les peuples décolonisés se rapprochent par un aspect de la décolonisation : ils ne veulent faire aucun compromis dans le processus de reconstruction nationale. En effet, le départ des colonisateurs ouvre les portes à un retour à la famille nationale ou au désordre total. Celui qui n’est pas comme le colonisé devient étranger et, pendant quelque temps, il n’est pas le bienvenu.

L’imaginaire national doit contribuer à redonner au peuple colonisé ce qu’il a perdu à cause du colonisateur. Qu’est-ce que l’imaginaire national? L’imaginaire national c’est ce qui habite dans les profondeurs des abîmes de l’histoire, de l’inconscient collectif et national du peuple. Ce dernier incarne la nation et il porte en lui un élan spirituel et moral sans pareil. Chaque peuple a un esprit distinct, même si cette idée ne plaît pas aux sans-patrie et aux cosmopolites, qui ne peuvent concevoir comme modèle qu’une humanité universellement abstraite. Chez tous les peuples, il y a une volonté nationale d’exister, malgré les risques de confrontation que cela engendre. L’instinct ethnique et le mythe d’un passé héroïque font tous les deux bonne équipe.

Il est intéressant de voir que le colonisé, même s’il est responsable de certains de ses problèmes, en attribue entièrement la responsabilité aux colonisateurs. Certes, cet état d’esprit doit être discuté, mais, d’une certaine façon, il est sain, car le colonisé doit chasser les démons du colonialisme et de l’impérialisme. Albert Memmi, dans sont livre Portrait du colonisé précédé de Portrait du colonisateur, nous explique la raison pour laquelle des réflexes de xénophobie, comme ceux dont j’ai fait mention plus haut, se manifestent après la décolonisation. Il écrit : « Considéré en bloc comme eux, ils ou les autres, à tous les points de vue différents, homogénéisé dans une radicale hétérogénéité, le colonisé réagit en refusant en bloc tous les colonisateurs. Et même, quelquefois, tous ceux qui leur ressemblent, tout ce qui n’est pas, comme lui, opprimé » (Albert Memmi, Portrait du colonisé précédé de Portrait du colonisateur, Éditions Petite bibliothèque Payot, 1973, p. 158).

Le colonisé a donc besoin de se retrouver spirituellement et physiquement avec lui-même. Parfois, la religion et ses traditions peuvent reprendre de l’importance, même si le mouvement national revêt un aspect anticlérical ou même antireligieux. Que cela plaise ou non à certains intellectuels, le peuple est profondément religieux et la religion est profondément ancrée en lui. Il ne peut y avoir de mouvement national sans la religion. Même Franz Fanon dans son livre Les Damnées de la terre le prouve en démontrant que le mouvement de libération national algérien exaltait la religion musulmane même si ce mouvement était laïc et socialiste.

Un peuple qui redécouvre ses origines est un peuple qui renaît. Le folklore porte en lui l’inconscient populaire avec ses mythes et ses réalités de génération en génération. Dans la religion, on trouve souvent des fondements que beaucoup d’ethnologues qualifient de « mythiques ». Le nationalisme, c’est beaucoup plus qu’un état d’âme, c’est une doctrine mystique. Le colonisé, après la décolonisation, a beaucoup à faire pour se retrouver. Son esprit national est comme un casse-tête éparpillé sur une table, il a le devoir de reconstituer ce dernier pour comprendre. Il faut passer par le développement d’un passé mythique pour unir ce passé au présent et à la réalité. Le paradis perdu doit être retrouvé comme une « Jérusalem céleste ». L’aspect mythique et l’aspect réel doivent tendre à se fondre dans une dialectique sociale, et le mythe national doit se fusionner avec les réalités sociales. La naissance d’un socialisme national et d’un pouvoir jacobin moderne est inévitable.

L’utopie doit donc côtoyer la réalité et la première, se fondre en l’autre. Comme l’explique Jacques Berque : « Bien des nations viennent au monde d’aujourd’hui la tête en avant. On dirait qu’elles procèdent d’une descente de l’idéal, plus que de mûrissements du concret. Or, très tôt, elles vont avoir, sous peine de mort, sous peine de rêve, à fonder leur liberté sur des déterminations matérielles. » (Jacques Berque, Dépossession du monde, Éditions du Seuil, Paris, Chapitre IX : « Valeurs de la décolonisation », 1964, p. 153).

L’imaginaire national au Québec, de l’agriculture et de la colonisation des terres comme volonté de préservation au nationalisme urbain et prolétarisé

Il y a deux types de nationalisme au Québec. Le premier est fondé sur le passé canadien-français, le second (qui a cours depuis les années 60), sur le présent québécois. Or, les Québécois peuvent développer le deuxième nationalisme de deux manières distinctes : faire table rase du passé ou réaliser l’unité du passé avec le présent.

Ces deux courants sont liés au mythe, à l’imaginaire national qui sommeille en nous, dans notre inconscient collectif. Le goût de l’aisance, de la facilité et de la diversité, exalté par l’industrialisation, le développement des technologies et la société de consommation, nous attirent. Mais lorsque nous prenons conscience de nos racines culturelles, nous sentons un vide en nous, parce que nous sommes des déracinés. Alors, nous plongeons dans le mythe de la terre et dans la réalité de nos ancêtres. L’appel des racines et des traditions, comme l’atteste la popularité des recherches généalogiques chez les Québécois, est plus fort que la négation du passé au nom d’un individualisme ronflant et de l’humanisme idéaliste qui, depuis la Renaissance, exalte l’image d’un homme abstrait et cosmopolite. Même lorsque nous sommes éloignés de notre pays d’origine, les racines et les traditions nationales nous suivent!



La modernité déracine et transforme les peuples

Claude-Henri Grignon (1894-1976) fut un de ceux qui optaient pour le retour à la terre. Pamphlétaire, écrivain traditionaliste, auteur du célèbre roman de la terre Un homme et son péché (1933), d’un roman histrorique sur le célèbre aviateur Charles Lindbergh Le Secret de Lindbergh (1927), et de pamphlets écrits sous le pseudonyme de Valdombre, il a contribué, dans les années 30 et 40, au développement du concept de retour à la terre et à la conception de la pureté de la campagne. Religion, terre, tradition, famille et patrie faisaient partie de sa vision du Canada français. Les personnages de son roman et de son roman feuilleton Les belles histoires des Pays d’en haut (diffusé pour la première fois à Radio-Canada en direct à partir de 1956 jusqu’en 1970 en sont des archétypes parfaits. Dur, fade, triste, ingrat et avaricieux comme la terre des colons, Séraphin Poudrier est celui qui représente le mieux la vision de Grignon. De son côté, Alexis Labranche incarne l’exilé revenu au pays de ses pères, le bon vivant généreux et le bon père de famille honnête. Bidou Laloge, quant à lui, est l’incarnation du déserteur préférant les plaisirs mondains de la ville au dur travail de la terre et à la simplicité de la campagne. Pour Claude-Henri Grignon, il incarne le parfait déraciné.

Pour Grignon, le retour à la terre par la colonisation, c’est la volonté de préserver la vieille culture canadienne-française du déracinement, de l’urbanisation et du cosmopolitisme. L’opposition à l’urbanisation et à l’industrialisation est un phénomène idéologique réactionnaire par lequel Grignon s’inscrit alors en faux contre le libéralisme anglo-saxon, le protestantisme et la modernité. Dans son esprit, la ville est l’endroit où l’on peut perdre sa foi, la souvenance de ses pères et une certaine « innocence » morale. Il était partisan d’un parti vert non dans le sens écologique, mais agraire.
Il reprochait à Maurice Duplessis d’avoir à son premier mandat (1936-1939) développé le crédit agricole et d’avoir créé la pension de vieillesse. Pour lui, cela se rapprochait du communisme.-3.

Lors de l’émission Le sel de la semaine diffusée à Radio-Canada en 1968, Fernand Séguin s’est entretenu avec Claude-Henri Grignon. Il était stupéfiant de voir que cet homme, en bon disciple de Charles Maurras et de Léon Bloy, n’avait rien changé à sa vision du monde dans une société en plein bouleversement. Malgré la défaite du traditionalisme canadien-français et du catholicisme traditionnel, il a continué à faire l’apologie de la femme au foyer et de la famille traditionnelle comme valeurs fondamentales. Comme tout bon réactionnaire, il a perdu son combat. Comme son maître à penser l’écrivain catholique Léon Bloy, il a toujours su accepter les défis et les défaites. Seul pour lui, le gros bon sens paysan comptait.

Un point très important est mentionné dans le livre de Georges Vincenthier Une idéologie québécoise où il nous démontre que Claude-Henri Grignon fait parti de la vieille garde patriotique. Il dit : « Claude-Henri Grignon, fort de son prestige populaire et de sa renommée de pamphlétaire agressif, sera le représentant le plus lourd et le plus buté de cette nouvelle vague réactionnaire. Toute l’industrialisation, toute l’ouverture au monde- elle n’est encore que porte entrouverte- tous les changements ne seront pour lui qu’une façon de trahir les ancêtres, de renier les siens. »-4.

Pierre Vallières ou le nationalisme urbain et les autres…

Nous te ferons, Terre du Québec, lit des résurrections
Et des mille fulgurances de nos métamorphoses
De nos levains ou se lève le futur
De nos volontés sans concessions
Les hommes entendront battre ton pouls dans l’histoire
C’est nous ondulant dans l’automne d’octobre
C’est le bruit roux des chevreuils dans la lumière
L’avenir dégage
L’avenir engage
Gaston Miron. L’homme rapaillé.

La position de Pierre Vallières est à l’opposée de celle de Claude-Henri Grignon. Révolutionnaire, patriote et socialiste, il est l’auteur d’un livre célèbre publié pour la première fois par les Éditions Parti pris dont le titre est Nègres blancs d’Amérique, un livre qui a fait couler beaucoup d’encre à la fin des années 60. Né à Montréal dans une famille ouvrière, il a fait partie de la mouvance du nationalisme urbain et déraciné. Socialiste « marxisant », pionnier du FLQ, il s’est opposé brutalement au nationalisme canadien-français. La position de Vallières était celle de l’indépendance du Québec, et il voulait faire table rase d’un « passé honteux » de colonisé. On peut dire que Pierre Vallières était indépendantiste sans le nationalisme. Pour lui, la cause nationale n’était que territoriale et non ethnique et territoriale.

Grignon et Vallières, malgré leurs idées contradictoires, sont les reflets d’une culture de castrés et de désespérés. L’un voulait vivre purement dans le passé, l’autre, dans le présent et le futur. Le premier rejetait la modernité en tant que réactionnaire, l’autre rejetait le passé et les traditions de nos pères en tant que révolutionnaire; cela n’empêche pas que tous deux étaient nationalistes à leur manière. Ils avaient une conscience de leur état de colonisés et ils développaient, chacun de leur côté, un imaginaire national et social propre à leur réalité. L’un était fédéraliste et nationaliste canadien-français, l’autre, indépendantiste. Il faut également mentionner Raoul Roy (1906-1996), fondateur de la Revue socialiste et de L’Action socialiste pour l’indépendance du Québec, qui aurait été, d’après certains, le père spirituel du FLQ (Front de libération du Québec).

Contrairement au gauchiste Pierre Vallières, Roy était le parfait exemple d’un socialiste national. En effet, ce dernier était partisan d’une révolution nationale et sociale au Québec. Ses modèles étaient Cuba, l’Algérie du FLN et l’Argentine de Juan et Evita Peron. Pour lui, il fallait atteindre l’idéal d’une nation prolétarienne et syndicale, qui se concrétiserait par une forme de corporatisme d’État appuyé par des comités ouvriers. La classe ouvrière québécoise était sa seule préoccupation. Pour lui, il était important de développer un socialisme spécifiquement québécois. En outre, Raoul Roy était partisan d’une immigration francophone et restreinte.

Dans une optique un peut différente, il ne faut pas oublier Raymond Barbeau (1930-1992), qui a été le fondateur de la ligue nationaliste l’Alliance Laurentienne, un militant indépendantiste et l’introducteur de la naturopathie au Québec dans les années 60. Son livre majeur sur la question nationale est J’ai choisi l’indépendance parue aux Éditions de l’Homme en 1961. Raymond Barbeau était de l’école du chanoine Lionel Groulx et de l’abbé Wilfrid Morin. Il était donc de la mouvance nationaliste conservatrice et corporatiste. Ses positions sociales-économiques étaient influencées par le corporatisme et la doctrine sociale de l’Église. Malgré son catholicisme, il a joué un rôle majeur dans les débats qui ont marqué la fondation d’un parti indépendantiste moderne avec Marcel Chaput (1918-1991), André D’Allemagne (1929-2001), président et fondateur du RIN, et Pierre Bourgeault (1934-2003), qui jouera un rôle majeur au sein du RIN ( Rassemblement pour l’indépendance nationale).

Aujourd’hui, le seul mouvement qui prône la décolonisation aiguë du Québec est le MLNQ (Mouvement de libération nationale du Québec) fondé par l’ex-felquiste Raymond Villeneuve après l’échec du référendum de 1995. Ce mouvement radical est le seul, aujourd’hui, à défendre la langue française sans compromis contre le bilinguisme menaçant dans l’affichage commercial et à entretenir un discours sur le racisme anti-Québécois. Cette formation révolutionnaire est aussi la seule à prôner un véritable socialisme spécifiquement québécois.

Si Pierre Vallières et Claude-Henri Grignon ont eu tort, l’un de vouloir se couper du présent, l’autre de rejeter le passé de notre histoire, Raoul Roy, Raymond Barbeau, Marcel Chaput, André D’Allemagne, Pierre Bourgeault et Raymond Villeneuve ont incarné et continuent d’incarner la synthèse du passé avec le présent. Pour préparer l’avenir, rappelons-nous que le passé est inséparable du présent! Il faut donc faire le lien entre le passé canadien-français et le présent québécois. En politique, il faut unir le mythe à la réalité, car le mythe sans la réalité peut conduire à des dérapages. À l’autre extrême, la réalité sans le mythe peut conduire à l’abandon de nos racines au nom d’un pragmatisme vulgaire. Il faut faire la synthèse du mythe national et de la réalité sociale par l’analyse d’une dialectique sociale des classes, des peuples et des cultures.

Conclusion

Mondialisme contre petites nations : la crise du XXIe siècle

Au XXIe siècle, le peuple québécois aura de grands défis à relever dans ce monde en continuel bouleversement. Nous avons beaucoup de chemin à faire pour parvenir à une pleine maturité et à un plein épanouissement national et social. Nous n’avons pas fait la paix avec notre passé et nous sommes encore des colonisés. Nous devrons apprendre à vivre avec nous-mêmes et à grandir en ne laissant personne décider à notre place. Protégeons-nous des superpuissances et optons pour une politique non-aligné avec les impérialismes. Développons notre imaginaire national et notre propre modèle politique. Soyons maîtres chez nous, comme le disait le chanoine Lionel Groulx, en empruntant le moins possible les méthodes des autres. Adoptons une politique socialiste sur le plan économique et nataliste pour n’être les esclaves de quiconque, pour éviter de disparaître et d’être la cible de communautés étrangères qui peuvent nous imposer leurs valeurs pour éliminer nos traditions nationales. L’idéal serait d’appliquer l’autarcie comme point de détermination sur le plan de la politique internationale. À partir de cela, nous pourrions choisir nos alliés avec qui nous voulons faire des affaires. Soyons le moins possible dépendant des autres!

Le XXIe siècle ne sera pas seulement le siècle du socialisme, mais aussi celui des nations!

notes

1. Marcel Chaput, Pourquoi je suis séparatiste, « Section II, Les cinq solutions de notre problème, pages 60-61, Éditions du jours, 1961.

2. V. Lénine, l’impérialisme, stade suprême du capitalisme, préface aux éditions française et allemande, page 5, Éditions du Progrès, Moscou 1969.

3. Références sur Claude Henri Grignon. Luc Bertrand, Gens de chez nous : Claude-Henri Grignon, Éditions FM, 1989.

4. Georges Vincenthier, Une idéologie québécoise, Chapitre XI, La vieille garde à l’affût : Claude-Henri Grignon, F.-A. Savard, page 75, Éditions HMH, Collection Cahiers du Québec, 1979.
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