Le philosophe pour bobos Onfray, pourvoyeur d’idéesquidécoiffent à l’usage des consommateurs de prêt-à-penser « dissident », un peu comme ces marques « rebelles » qui recyclent les contestations du système, entrepreneur dûment estampillé nietzschéen (de gauche, pour ne pas effaroucher), agitateur de conférences (les salons étant surannés), agité du bocal médiatique, Egérie à la gueule de cadre dynamique pour profs de philo en mal d’inspiration et journalistes pressés, remueur laborieux d’antiques diablotins, comme l’anticléricalisme, l’épicurisme athée, l’hédonisme subversif (à la manière de la Marie-Antoinette de la publicité, sans doute), cynique carnavalesque et déconstructeur, arasant les concepts douteux pour laisser place à l’égalité enfin trouvée dans la jouissance universelle, hérétique labellisé, eh oui ! Onfray la coqueluche des classes moyennes éclairées, le nouveau Sartre d’une gauche qui se cherche, s’est laissé aller, sur les plateaux de Canal+, à quelque vérité sur les écolos-bobos.
Quelle mouche l’a donc piqué, lui qui réclame un capitalisme sans libéralisme, qui manie en général les poncifs les plus éculés de la « gauche de la gauche » ? Onfray soutient en effet le Front de gauche, qui n’est pas forcément tendre avec les Verts. Concurrence électorale oblige. Notre philosophe pour classes terminales se commettrait-il avec la rhétorique tordue de la politicaillerie vulgaire ? Les Régionales prochaines lui auraient-elles fait pousser des ailes à géométrie variable, comme tout professionnel de la chose publique doit en avoir pour se faire une place au soleil et bouter le reste de l’essaim dans la ténèbre ?
Devant un Edwige Plenel médusé, le voilà qui sort la grosse artillerie : les écolos, donc, qui oeuvrent pour la bobosphère mondiale, ne pouvaient, d’une façon ou d’une autre, encourager une solution fiable à Copenhague ? Et pourquoi ? Parce que les Verts de tous pays, même se donnant la main, sont incapables de mettre en cause les racines du système productiviste globalisé. Ils ne veulent que le rendre, contre toute évidence, pacifique, inoffensif, débonnaire, comme un géant édenté. En voulant traiter les conséquences plutôt que les causes, en mettant l’accent sur la réduction des émissions de carbone, en prônant une économie alternative, qui n’est qu’une conversion de surface, en luttant contre le nucléaire, les O.G.M., les nano-technologies, les écologistes ne font qu’appliquer un remède cosmétique à une société qui ne peut changer. Que l’on repeigne le libéralisme en vert, qu’on tente de le corriger, ou qu’on veuille, in fine, le rendre bénéfique pour la planète, c’est une gageure désespérée.
Autant dire qu’il existe plusieurs écologies, et que celle qui est conviée sur les medias, et qui déteint sur les politiques de tous poils, offrant un consensus qui n’engage souvent que les paroles, n’est qu’une tentative de sauver une logique multiséculaire, qui plonge ses racines dans l’entreprise prométhéenne de transformation délirante de la nature, de volonté de s’en rendre maître et seigneur, et de conduire cette dérive anthropocentrique jusqu’à l’exténuation de la planète, jusqu’à la destruction de notre environnement et de la vie universelle. Telle est la finalité d’une idéologie qui est née du désenchantement chrétien du monde, de l’arraisonnement techno-scientifique initié avec Galilée et Descartes, du mythe du progrès, bêtement sacralisé au 18ème siècle, du scientisme, de la révolution industrielle du 19ème siècle, de l’artificialisation intégrale de la vie, sous toutes ses déclinaisons, aux 20ème et 21ème siècles.
Les écologistes mondains et intégrés veulent garder ce qui est le fondement des dérives actuelles : l’idée de progrès, l’universalisme humaniste, l’égalitarisme (le « peuple » est loin de partager les soucis écologiques, sachant pertinemment que c’est lui qui paiera cher les « solutions », et, d’ailleurs, ayant d’autres chats à fouetter), la démocratie formelle. Il faudrait faire encore un effort pour être vraiment républicain, comme dirait Sade ! Egalitarisme, démocratie, universalisme sont autant de vecteurs sociétaux pour installer une consommation effrénée dans les faits. L’illusion que le bonheur est un produit collectif inévitable, pour peu qu’on accroisse la production, afin d’aboutir à la parousie finale, consiste à communier dans un fraternalisme grégaire et totalitaire, ce qu’un gouvernement mondial, cher aux libéraux et aux écolos, instaurerait à coup sûr. Il est nécessaire de rompre avec ces lubies, qui ont fait tant de mal, en finir avec le culte de l’objet, la régression infantile du bonheur matérialiste, le narcissisme plébéien, l’individualisme vide, la vanité contemporaine, si bête.
Il n’est donc pas surprenant que 31 heures de négociation aient abouti à une bulle de gaz inodore.
Notre Onfray est loin évidemment de partager cette thèse, lui si matérialiste, si narcissique, si individualiste, si égalitaire, si démocrate : on ne peut être pour le capitalisme, soi-disant fondé sur la propriété (Marx a relativisé cette pseudo-vérité en présentant ce mode de production comme un rapport) et pourvoyeur de richesses ( lesquelles ? ne s’agit-il pas d’ailleurs là de l’essentiel ?) et un libéralisme, qui est désormais, le capitalisme d’Etat ayant fait faillite, le seul véritable visage du capitalisme, sa variante « libertaire » ne changeant rien à son identité. Un seul détour par ses déclarations assez ineptes, conformistes et publicitaires pour valoir l’adoubement du clergé mediacrate qui fait l’opinion, suffit à se faire une idée définitive du personnage, qui tient plus du Tartuffe que de Diogène.
Mais retenons cette vérité : il faudrait autre chose pour être véritablement écolo. Au lieu de miser sur une réforme illusoire, il s’agit de regarder vers le Cosmos. La Révolution écologique doit être fondamentale et relever d’un changement profond de vision. Si l’humanité n’en finit pas avec l’anthropocentrisme, si elle ne replace pas, ne recentre pas son destin dans un vaste cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part, si elle ne pense pas selon la logique des dieux, si elle n’insère pas son existence dans une sacralité universelle, si elle ne s’appuie pas sur un questionnement ontologique radical, elle ira vers une destruction inéluctable, cette dégradation du monde dût-elle persister un (très) long moment.
Parfois les dieux parlent par la bouche des innocents.
Onfray Chrysostome !