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Vendredi, 23 Octobre 2009 |
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Chaque jour, je me sens plus proche de l’islam
Édouard Limonov |
Histoire :: Autres
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Édouard Limonov est une personnalité complexe et déroutante. Alors qu’il est sans doute le plus grand écrivain russe contemporain, il a abandonné la littérature pour l’action politique. Fondateur, avec Alexandre Douguine, du Parti national bolchevique russe, il a été des nôtres avant de choisir de faire passer le social avant le national et, pour cette raison, de s’opposer de manière radicale au gouvernement de Vladimir Poutine et de son successeur. Ce choix respectable, par un phénomène d’hétérotélie l’a conduit à devenir l’allié des oligarques anti-Poutine et à passer dans le camps de nos ennemis… Malgré cela, il restera une figure qui a marqué notre camp et ses prises de position restent dignes d’être relatées et discutées, surtout quand, comme dans l’entretien publié ci-dessous, elles recoupent largement nos analyses.
Vous avez publié, il y a quelque temps, un article remarqué intitulé La carte de l’islam. Autant que je sache, votre appréciation positive des musulmans et de leur religion est en grande partie due à votre expérience de prisonnier à Lefortovo. Vous y avez, en effet, partagé votre cellule avec le chef tchétchène Aslanbek Alkhazurov. Y a-t-il eu d’autres facteurs qui vous ont poussé à considérer l’islam avec sympathie ?
Je me souviens qu’en 1996, je me suis rendu, avec Gaydar Jemal (1), à la Maison des journalistes pour assister à une conférence de presse organisée par les musulmans de Russie afin de faire part de leur protestation contre l’éventuelle publication en russe du livre de Salman Rushdie Les Versets sataniques. Je connaissais cet ouvrage pour l’avoir lu bien longtemps auparavant dans sa version anglaise. Je l’avais jugé inutilement scandaleux et insultant pour la foi de millions d’individus. De plus, c’est un mauvais livre, mal écrit et mal conçu, ce n’est absolument pas une œuvre littéraire. C’est pourquoi j’ai assuré les musulmans de Russie de ma solidarité et j’ai tenu à être présent à leur conférence de presse. Nous avons finalement obtenu que la maison d’édition Limbus Press renonce à son projet. Telle a été ma première expérience d’action conjointe avec des musulmans.
Je connaissais Gaydar depuis de nombreuses années. En 1998, nous sommes devenus plus proches, nous sommes allé ensemble à Kazan, nous avons tenu un meeting dans l’enceinte de la mosquée et nous avons parlé devant une surprenante assistance : une moitié était constituée de nationaux-bolcheviques et de sympathisants, l’autre de musulmans attirés par l’aura de Gaydar. Ce fus une expérience très impressionnante.
Par la suite, Jemal Gaydar m’a expliqué beaucoup de choses, des vérités très simples pour ceux qui connaissent déjà l’islam, mais de grandes découvertes pour moi. À partir de cette époque, je me suis senti chaque jour plus proche de cette religion.
Actuellement l’intérêt pour l’Islam est très sensible au sein de la jeunesse engagée. De nombreux européens et russes de souche sont en train de devenir musulmans, on dit même qu’un certain nombre de militant de votre Parti national-bolchevique se sont convertis. Qu’est-ce qui attire, à votre avis, les jeunes politiquement actifs vers l’islam ?
L’Orthodoxie russe est une religion traditionnellement très soumise à l’État. C’est un foi non revendicative et non protestataire. Dans l’islam, il y a beaucoup plus de force. C’est une religion de l’action qui n’accepte pas l’injustice.
Je pense que les nationaux-bolcheviques qui se convertissent recherchent dans l’islam à la fois la protestation et la discipline. L’islam dit clairement comment on doit se comporter dans la vie de chaque jour, ce qui n’est pas enseigné dans les autres religions, ou du moins pas dans celles qui sont pratiquées sur le territoire russe. Dans l’Islam, l’individu trouve des règles précises.
En prison, alors que les prisonniers normaux étaient solitaires comme des copeaux emportés par le vent, j’ai pu constater qu’en règle générale les musulmans étaient plus heureux - autant qu’il soit possible de l’être en prison -, plus vigoureux et plus forts. Je pense qu’ils devaient cela à leur religion, à leur appartenance à une communauté structurée.
Vous avez écrit que l’islam est une religion dans laquelle le combat pour la justice sociale occupe une place importante. De ce fait, concernant les événements qui ont secoué les banlieues françaises à l’automne 2005, pensez-vous qu’ils étaient dus au facteur ethnique ou était-ce, à vos yeux, une révolte sociale musulmane ?
Selon les informations auxquelles nous avons accès, le rôle du facteur ethnique fut important dans les évènements qui se sont déroulés dans les banlieues françaises. Il ne faut pas oublier qu’en France, la majorité des musulmans sont issus de l’immigration maghrébine.
D’un autre côté des raisons sociales ont aussi fortement jouées dans les évènements français. Ces dernières années, Paris est devenu une ville riche, les loyers des appartements ont grimpés. La ville est en reconstruction et les pauvres ont été délibérément poussés dehors. Naturellement, dans un pays riche comme la France, personne ne meurt de faim, mais il est clair qu’il y a des citoyens de second et de troisième rang oubliés de tous dans cet État. Personne ne leur accorde une réelle attention.
Tout cela fait que je ne crois pas que dans la révolte des banlieues française le facteur religieux musulman ait été à prendre en compte. Je pense que ce fut principalement une protestation sociale, due au chômage, au fait que les gens se sentent comme en exil dans les banlieues et qu’ils vivent parfois cela depuis des générations.
Vous avez vécu en Occident. Y avez-vous rencontré des musulmans ? Que pouvez-vous dire à leur sujet ?
J’ai connu de nombreux écrivains musulmans exilés, ainsi que des émigrés de toutes sortes, qui avaient trouvé refuge à Paris
Comme j’ai toujours eu une attitude positive envers la religion musulmane et que j’ai toujours été intéressé par elle, mes relations personnelles avec eux furent toujours très amicales..
Qu’elle est la position du Parti national-bolchevique vis-à-vis de l’islam et des musulmans ?
Je pense que tout homme et toute organisation politique russe devrait être obligés de prendre en compte qu’il y a environ trente millions de musulmans en Russie. Or, aujourd’hui, dans notre État leurs intérêts sont pratiquement ignorés.
Tout politicien responsable en Russie devrait simplement avoir une attitude amicale envers les musulmans. L’islam en Russie devrait être vu comme quelque chose de familier et d’organique à notre société.
Malheureusement, les hommes politiques de la Russie d’aujourd’hui ne réalisent pas pourquoi ils ont besoin des musulmans. Les communistes s’adressent principalement aux travailleurs. Les partis nationalistes spéculent sur la xénophobie et sur le chauvinisme, ils ne réalisent pas qu’en essayant de se gagner la sympathie d’alcooliques racistes, ils perdent beaucoup plus en audience. Ils perdent un immense cercle de gens disciplinés et très raisonnables : les musulmans russes.
Pour notre part, nous n’essayons pas « d’être amis » avec eux, nous considérons justes comme allant de soit que les musulmans sont des citoyens comme d’autres, et qu’ils ont donc les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Quand les premiers musulmans ont adhéré à notre parti, nous leur avons fait bon accueil mais nous les avons regardé comme quelque chose d’assez exotique. Maintenant nous essayons de renforcer nos relations avec ceux qui pratiquent l’islam.
1 Azéri laïc, Gaydar Jemal se convertit à l’islam sous l’influence de René Guénon. Il milita dans l’organisation antisioniste Pamiat avant d’être un des membres fondateurs du Parti de la renaissance islamique. En ayant été nommé le porte-parole, Heydar Jemal l’entraîna alors dans une alliance avec les forces « nationales-patriotiques » nostalgiques de l’URSS au nom d’une lutte de civilisation entre le bloc atlantique (les USA) et le bloc continental (l’Eurasie), et dans un esprit nationaliste eurasien. Ces idées n’étant pas acceptées par tous les dirigeants de l’organisation, et la direction moscovite du PRI étant hostile à l’indépendance des républiques de l’URSS, le Parti de la renaissance islamique éclata en 1996 et Gaydar Jemal fut mis sur la touche.
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