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Samedi, 5 Avril 2003
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Généalogie de l’antiaméricanisme français
François Ryssen
Impérialisme :: Antiaméricanisme
L’antiaméricanisme en France paraît réconcilier tous les ennemis politiques. On le voit aujourd’hui, alors que les Etats-Unis font la guerre en Irak. Ce sentiment, profondément ancré dans notre peuple, ne date ni de la guerre du Vietnam, ni de la guerre froide, ni des années Trente, où il atteint des sommets. En fait, dès la fin du XIXe siècle, tout est déjà en place, comme on va le voir. Nous nous sommes principalement référés ici au livre de Philippe Roger, L’Ennemi américain (2002). Sa lecture, ne le cachons pas, est franchement fastidieuse. L’ouvrage est mal construit, le style est empâté, il y a de nombreuses redites. La littérature « d’extrême-droite » a évidemment été largement oublié par un auteur qui connaît ses maîtres et qui leur obéit bien sagement. Son livre représente néanmoins un travail considérable, que nous avons dépouillé, et dont nous présentons ici la substantifique moelle. Comment les Français voient-ils l’Amérique ? En guise d’introduction, on peut laisser la parole à Régis Debray, qui s’insère dans la longue lignée des auteurs antiaméricains : « Le consumérisme sans fin ni répit, le tout-marchandise et la croyance dans la neutralité de la technique, la disparition du citoyen sous le consommateur, l’insensibilité au tragique, la confusion du public et du privé, le culte de la réussite, etc. » (Régis Debray, Contretemps, 1992). Telles sont les grandes lignes de l’antiaméricanisme français. Voyons maintenant d’où nous vient cette tenace animosité.

Un peuple « dégénéré »

« Un terrain fétide et marécageux », une « terre couverte de forêts et de marécages ». Voilà comment les naturalistes des Lumières, tels Buffon ou De Paw (1), voyaient l’Amérique. Sous un tel climat, les hommes, comme les animaux n’ont pu que « dégénérer ». C’est le climat en effet qui rendrait au Nègre ou au Lapon, sous d’autres latitudes, « sa taille primitive et sa couleur naturelle » (Buffon, Dégénération des animaux, 1766).

Contre toute attente, il piétine le discours philosauvage du temps. Pour lui, les Indiens sont paresseux, poltrons, sans noblesse. Ils « végètent plutôt qu’ils ne vivent » (Défense des Recherches philosophiques sur les Américains, 1770). Ils sont sans virilité ni pilosité, ont des prédispositions « antiphysiques ». Diderot en parle abondamment. La chose est notoire : « Ils ont peu d’enfants parce qu’ils n’aiment point les femmes. C’est un vice national, que les vieillards ne cessent de reprocher aux jeunes gens » (abbé Raynal, 1770). Quant à leurs femmes, elles se sont furieusement données aux envahisseurs.

Cette dégénérescence s’applique aussi à l’Européen né en Amérique. Raynal souligne l’absence de tout homme de génie : « Sous ce ciel étranger, l’esprit s’est énervé avec le corps ». La loi climatique de dégénération des animaux s’applique aussi aux humains. « On doit être étonné que l’Amérique n’ait pas encore produit un bon poète, un habile mathématicien, un homme de génie dans un seul art, ou une seule science. » (Histoire des Deux Indes, 1770). Les Anglo-Saxons, on l’a compris, sont faibles d’esprit comme de corps.

Au moment de la guerre d’indépendance, le prestige de Buffon et le succès de l’ouvrage de De Paw ont puissamment contribué à forger une image négative chez le public lettré. Ce qui n’empêchera pas celui-ci de s’enthousiasmer pour les Insurgents, ni la France de conclure avec eux une alliance contre l’Angleterre.

1794, une première trahison

La Terreur révolutionnaire nous aliène la sympathie du gouvernement américain, et la chute de Robespierre ne favorise aucune accalmie. Les Etats-Unis ont négocié et conclu un traité secret avec la Grande-Bretagne (Jay’s Treaty). Ce traité de trahison consterne les autorités du Directoire et provoque une violente campagne de presse contre les Etats-Unis. Les corsaires français attaquent désormais les navires américains.

Les émigrés français sous la Révolution

« Si je reste un an ici, j’y meurs », écrit Talleyrand à Mme de Staël. « Quelle odeur de magasin » constate Joseph de Maistre. De fait, l’Amérique paraît étouffante pour le génie.

« Tout ce que j’ai vu de Français jusqu’ici aime peu l’Amérique et moins encore les Américains, qu’ils peignent vains, avares, avides et occupés à tromper dans tous les marchés qu’ils font », note La Rochefoucauld-Liancourt dans son Journal de voyage (1794). L’absence de manières, l’inanité de la conversation, le peu d’intérêt de leurs hôtes pour la spéculation intellectuelle, l’indifférence aux choses de l’esprit, sont notés par tous.

L’Amérique ? « Trente-deux religions et un seul plat » résume Talleyrand, qui s’y ennuie à périr. Il est allé jusqu’à leurs lointains établissements, dans ce wilderness où les plaisantins rousseauistes font camper toutes les vertus et toutes les énergies. Imposture totale, leur répond Talleyrand. Il n’y a au fond des bois que des cabanes mal bâties peuplées de rustaud apathiques, aussi dépourvus de moralité que d’intelligence. « On a l’impression de voyager à rebours du progrès de l’esprit humain ».

« [Et] ne me parlez pas d’un pays où je n’ai trouvé personne qui ne fût prêt à vendre son chien » (cf biographie de Talleyrand, de Jean Orieux).

Volney a fui la Terreur lui aussi : « Mes recherches ne m’ont pas conduit à trouver dans les Anglo-Américains ces dispositions fraternelles et bienveillantes dont nous ont flatté quelques écrivains ». (Tableau des Etats-Unis, 1803). Il trouve lui aussi que les Américains sont restés éminemment britanniques, et hostiles aux Français.

Les Classiques ne manquent pas d’air

Chez Balzac, ce sont les vauriens qui partent en Amérique. Celle-ci paraît à Vautrin pire que le suicide (Splendeurs et misères des courtisanes). Stendhal, l’opposant à l’ancien monde des prêtres et des rois ne parle pas autrement que Balzac le légitimiste. Le comte Mosca de la Chartreuse de Parme songe bien à y aller, mais se ravise : il faudrait devenir « aussi bête qu’eux ; et là, pas d’Opéra » ; « Je m’ennuierais en Amérique, au milieu d’hommes parfaitement justes et raisonnables, si l’on veut, mais grossiers, mais ne songeant qu’aux dollars. » (Stendhal, Lucien Leuwen). « La moralité américaine me semble d’une abominable vulgarité. […] Ce pays modèle me semble le triomphe de la médiocrité sotte et égoïste. »

Tocqueville, le grand défenseur de l’Amérique, admettra pourtant : « Je ne connais pas de pays où il règne, en général, moins d’indépendance d’esprit et de véritable liberté de discussion qu’en Amérique. […] En Amérique, la majorité trace un cercle formidable autour de la pensée. Au-dedans de ces limites, l’écrivain est libre ; mais malheur à lui s’il ose en sortir. » Ces lignes et tout le chapitre où elles figurent, « De l’omnipotence de la majorité », seront en France, pendant plus d’un siècle, les pages les plus volontiers citées de La Démocratie en Amérique (1835).

Baudelaire prend la défense du seul romantique de l’autre côté de l’Océan (Edgar Poe, sa vie et ses œuvres, 1856): « Les Etats-Unis furent pour Poe une vaste cage, un grand établissement de comptabilité. » ; « Il y a, depuis longtemps déjà, aux Etats-Unis, un mouvement utilitaire qui veut enchaîner la poésie comme le reste ». Poe a été « étouffé par l’atmosphère américaine », par ce « monde goulu, assoiffé de matérialisme » qui est en même temps le monde du « débordement démocratique ». C’est Baudelaire qui crée le mot « américaniser » pour stigmatiser l’idée du progrès, « cette idée grotesque qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne » ; « La mécanique nous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle, que rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilèges, ou anti-naturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats positifs ».

Guerre de Sécession : Napoléon III préfère le Sud

L’empereur Napoléon III et la grande majorité de l’opinion française ont dès le départ pris fait et cause pour le Sud. Et chose curieuse, cette sympathie fait bon ménage avec une condamnation massive de l’esclavage. Mais on répète volontiers en France à ce moment-là que la moitié des habitants du Sud ont du sang français. Et on sait bien aussi que dans cette guerre, il s’agit surtout d’intérêts économiques : Le Nord manufacturier est protectionniste, tandis que le Sud agricole est libre-échangiste. A terme, en tout cas, un affrontement entre Anglo-Saxons et Latins paraît inéluctable sur le continent, car après le Sud, l’Amérique latine sera menacée à son tour par ces féroces Puritains de la Nouvelle-Angleterre. N’ont-ils pas déjà exterminé la race rouge ?

Le Sud finira par être défait. Il n’aura guère reçu de la France que de bonnes paroles. Quant au Nord, il gardera un durable ressentiment de l’attitude adoptée par Paris dont la diplomatie avait souhaité la partition depuis le début, de manière à peine secrète. L’un des premiers gestes des vainqueurs de 1865 sera de refuser de reconnaître Maximilien de Habsbourg, placé par la France sur le trône du Mexique.

1870 : les Américains préfèrent Bismarck

En 1870, la France est battue militairement, occupée, humiliée par les armées prussiennes. Immédiatement, le président américain Ulysses Grant envoie un message de félicitation à Guillaume II qui fonde le deuxième Empire allemand dans la Galeries des Glaces de Versailles. Les Français ne pardonneront pas de sitôt cette insensibilité à leurs malheurs.

Victorien Sardou est à l’époque l’auteur le plus en vue sur les Boulevards. En 1873 se joue une de ses comédies, l’Oncle Sam, qui fait rire le bon peuple parisien au détriment des Américains. « Quand je pense qu’il s’est trouvé un animal pour la découvrir ! ». La pièce est une violente satire des Etats-Unis. Sardou dénonce pêle-mêle la corruption de la presse, démasque l’imposture démocratique et la comédie des « religions » lancées par des escrocs. Inculture, âpreté, cynisme vulgaire : voilà l’Amérique. La charge est si rude que Thiers décide dans un premier temps de l’interdire pour ne pas « blesser une nation amie ».

En 1875, Gambetta et les républicains vont rejeter le projet constitutionnel calqué sur le présidentialisme à l’américaine. Le leader de la gauche, grand américanophile sous l’Empire, se taille alors un joli succès à la Chambre en persiflant l’ex-modèle américain.

Un encombrant cadeau : la statue de la liberté

En 1884, l’idée est lancée d’installer une réplique de la statue de la Liberté de Bartholdi aux Amériques. On pense d’abord à la placer à l’entrée du futur canal de Panama. Ce sera finalement à l’entrée du port de New-York.

L’équivoque continue et s’aggrave avec la réception réservée par l’Amérique au plus encombrant cadeau jamais fait par une nation à une autre. Son érection sera rendue très laborieuse par le refus du Congrès, puis des autorités new-yorkaises, d’assumer le coût de la construction du piédestal. Une souscription nationale lancée par Pulitzer permettra cependant au projet d’aboutir mais l’imbroglio autour du financement du piédestal n’est toujours pas démêlé lorsque Bartholdi et le Comité français décident d’emballer la statue, vaille que vaille, direction New-York. Rien de plus funeste à l’amour qu’un cadeau mal reçu ; et en l’occurrence, c’est bien le cas. La statue deviendra un objet de récrimination française contre l’Amérique. Le Figaro dénonce l’insultante pingrerie du Congrès, « l’injure faite à la France par des représentants ingrats envers une nation qui avait si puissamment contribué à l’indépendance américaine. » Un autre publiciste raille la statue, ironise sur la subtile pensée qui a guidée la France, « devinant le goût américain », dans le choix de ce monstrueux gadget.

Inaugurée le 28 octobre 1886, elle ne s’inscrit dans aucun calendrier commémoratif. Hugo, l’indéfectible ami de l’Amérique, s’était rendu dans l’atelier Gaget Gauthier en 1884. Mais il meurt quelques mois plus tard. Jamais ne seront gravées au bas de la statue les paroles qu’elle lui avaient inspirées, à « l’union des deux grandes terres ». Une autre aura les honneurs de l’épigraphe : Emma Lazarus. « Give me your poor, your Wretched… » Laissez venir à moi vos pauvres, vos misérables.

« De l’aristocratie en Amérique »

En 1883 paraît un livre de Frédéric Gaillardet, L’Aristocratie en Amérique, qui est le premier exposé synthétique d’un antiaméricanisme global. Dès 1794, rappelle Gaillardet, l’Amérique nous trahit secrètement, pactise avec sa marâtre coloniale, signe un traité occulte avec l’Angleterre qui autorise celle-ci à confisquer les navires français. En 1835, c’est le président Andrew Jackson qui menace la France de lui déclarer la guerre pour une simple affaire d’indemnités maritimes et qui contraint Louis-Philippe à acheter la paix 25 millions de francs. En 1838, pression au Mexique et incident de Veracruz. Vient ensuite la guerre de Crimée : les Américains, loin de nous soutenir, favorisent les Russes. En 1862, de nouveau au Mexique, avec, bien sûr l’hostilité déclarée à l’installation de Maximilien. En 1870, dans les grands malheurs de la France défaite par la Prusse, « les Américains applaudirent partout aux victoires des Allemands ». Sans compter les fruits amers de la Guerre de Sécession.

Le ciment de l’Amérique, ce n’est pas la démocratie, ni le pacte fédéral bafoué par le Nord en 1860. C’est la doctrine Monroe, désormais érigée en dogme national, en 1824 : « L’Amérique aux Américains ». La victoire du Nord est analysée comme un échec pour la France. On aurait dû reconnaître la Confédération et contracter avec elle une alliance militaire. Après l’Indien et le Noir, le Sudiste humilié devient une nouvelle victime exemplaire dont les Français vont se sentir solidaires.

La tradition de sympathie pour les Indiens est forte en France, de Montaigne à Diderot. Dans l’Amérique septentrionale, elle remonte aux alliances anti-anglaises avec les Iroquois autant qu’aux enchantements de la prose de Chateaubriand (Atala). Mais dès la fin du XVIIIe siècle, on a vu baisser la cote du Sauvage. L’indien dégénéré que rencontrent les voyageurs ne leur inspire plus qu’une commisération souvent dégoûtée. Gaillardet ravive la flamme d’un mythe un peu fatigué. Face à l’Anglais méprisant, le Français est l’homme de la cohabitation pacifique.

Les Noirs non plus n’ont rien gagné à la défaite du Sud. L’abolition de l’esclavage fut une imposture politique. La vérité est sortie des ruines de Charleston et du charnier de Gettysburg et les Noirs libérés, précise Gaillardet, avaient usé de leur droit de vote en faveur de leurs anciens maîtres.

« L’esprit d’accaparement et de domination » est caractéristique de la nouvelle Amérique yankee. Innocents plaisirs prohibés, inquisition sur les actes de la vie privée et sur la pratique religieuse, conformisme des comportements, religion du travail, autant de formes d’oppression quotidiennes auxquelles s’ajoutent les dysfonctionnements d’un système social inefficace : insécurité publique, infériorité du système judiciaire, incertitude sur la valeur des diplômes. Les Beer Riots de Chicago, en mars et avril 1855, dressent toute une population d’origine surtout allemande contre le despotisme d’édiles anglo-saxons qui prétendaient prohiber la bière le dimanche. La liberté réelle commence devant son bock.

Son réquisitoire est plus sociologique et moins esthétisant que les répugnances stendhaliennes et baudelairiennes : horreur d’une vie asservie au labeur et « dont le travail est toute la poésie » ; horreur d’une société niveleuse où « il n’y a que des ouvriers, ouvriers sans le sou et ouvriers millionnaires, mais travaillant toujours » ; horreur de la « ruche uniforme », de « l’essaim d’hommes », de la « fourmilière ».

En visite chez l’Oncle Sam

A l’opposé de Gaillardet, le baron de Mandat-Grancey est un conservateur, antidémocrate convaincu. Il fait paraître En visite chez l’Oncle Sam, en 1885. Il s’indigne de « l’incommensurable ignorance culinaire », autant que de la politique d’extermination des Indiens. Ce qui ne fait pas pour autant de lui un humaniste larmoyant : « Les yankees qui se sont données tant de peines pour délivrer les nègres seront conquis par eux, comme les Tartares l’ont été par les Chinois, ou il leur faudra supprimer le suffrage universel. »

« J’ai rarement rencontré une hostilité pour la France aussi caractérisée que celle qui ressort du ton général de la presse de Chicago » (Je me souviens pour ma part, dans un des ascenseur de l’Empire State building, d’un gros bourrin vindicatif qui disait à son collègue que les seules personnes qu’il haïssait vraiment étaient les Français [NDLA] ).

Si Gaillardet accusait les USA d’avoir trahi la jeune république dès 1792, Mandat-Grancey lui, reproche à la guerre d’Indépendance américaine d’avoir déstabilisé la monarchie et frayé les voies funestes de la Révolution. En tout cas, tous deux prônent la même vigilance défensive.

Sur la guerre de Sécession, le légitimiste n’arrive pas à se montrer plus pro-Sudiste que le républicain. « Il fallait », « il suffisait » de soutenir les Confédérés. La pusillanimité française a laissé se créer ce monstre dévorateur qui a mené à bien la conquête économique du Mexique et qui s’emparera de l’isthme de Panama. La confiscation du canal aura bien lieu. Une guerre préventive avec les USA lui semble inévitable. « Le seul parti à prendre est donc de s’armer ». C’est à cette époque, de surcroît, que les vignes de France sont ravagées par le phylloxéra venu d’Amérique.

L’Amérique devient un véritable agent infectieux, le cauchemar de la France rurale, vinicole et œnophile. A travers cet imaginaire de la contagion, l’Europe, pour la première fois, se découvre fragile, affaiblie, sans défense immunitaire. « Le vieux continent est devenu leur proie », écrit un voyageur français de 1893.

Le choc de 1898

S’il y avait un sens à doter l’antiaméricanisme français d’un acte de baptême, il faudrait le dater de 1898. Les USA déclarent la guerre à l’Espagne, détruisent sa flotte, débarquent à Cuba et bientôt aux Philippines. Ce choc imprévu est, dans l’opinion française, le traumatisme fondateur. Pour la première fois, en effet, les USA ont pris l’initiative d’une guerre contre un pays européen. La grande république pacifique de Victor Hugo s’est muée en nation de proie.

Le 15 février 1898, un puissant navire de guerre américain, le Maine, explose dans le port de La Havane. Il y a 268 morts. Est-ce une provocation américaine, un prétexte pour justifier une agression ? L’explosion laisse sceptiques les journalistes et les diplomates européens. Tandis que l’Espagne proteste de son innocence, la presse américaine se déchaîne. Le World de Joseph Pulitzer appelle à la guerre dès le 18 février. Le conflit sera désastreux et humiliant pour l’Espagne. Et là encore, la solidarité des Français avec les victimes de l’impérialisme yankee va jouer à plein. Quand les Etats-Unis s’empareront de La Havane, le journal Le Temps – Le Monde de l’époque – ne mâchera pas ses mots : c’est bien de la « haute flibusterie » (11 avril 1898). E n pleine affaire Dreyfus, l’étonnante unanimité de l’opinion française frappe un observateur cubain: « On dirait vraiment que la haine de l’Américain est le sentiment qui divise le moins les Français. »

De fait, l’antiaméricanisme est la seule passion française qui calme les autres passions et réconcilie les adversaires les plus acharnés. La littérature et les essais antiaméricains se multiplient à ce moment-là. Pierre Loti est indigné. Les Etats-Unis ont fait de la guerre une hideuse industrie de mort. Ils l’ont rendue « laide, empuentie de houille, chimiquement barbare ». « Leurs captures avant la déclaration de guerre, leurs bombardements sans prévenir, leurs obus enveloppés de toiles pétrolées qui mettent le feu aux villes » ne sont pas dignes d’un pays civilisé (Reflets sur la sombre route, 1899). Pierre Loti est le premier Français à rêver d’une grande croisade antiaméricaine qui serait menée par la vieille Europe.

Avec La Conspiration des milliardaires, haletant récit de géo-politique-fiction qui commence à paraître en 1899, Gustave Le Rouge s’affirme comme un maître du feuilleton populaire. Un comité de magnats yankees entreprend d’asservir l’Europe au moyen d’une armée d’automates. Octave Noël publie Le Péril américain, en 1899, pour mettre en garde contre la mondialisation de leurs ambitions. « Sur tous les points du globe, les Etats-Unis sont appelés à entrer prochainement en conflit avec l’Europe. » ; « La lutte pour la vie, pour la suprématie économique va prendre, entre l’Europe et l’Amérique, un caractère de brutalité et d’âpreté inconnu jusqu’ici. »

Paul Valéry découvre une Europe amoindrie.

A terme, l’Allemand paraît infiniment moins redoutable que le Yankee (Edmond Demolins, A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons, 1897). « Le grand péril, le grand danger, le grand adversaire ne sont pas, comme nous le croyons, de l’autre côté du Rhin mais de l’autre côté de la Manche, de l’autre côté de l’Atlantique ». Avertissement lancé en 1897, qui prendra l’année suivante une allure prophétique. La « théorie du big stick » de Teddy Roosevelt sera la prolongation et l’aggravation de la doctrine de Monroe de 1823.

Une inquiétante puissance économique

Dans un article pionnier de 1888, Henri de Beaumont ne voyait que l’Europe pour faire face à la nouvelle puissance économique américaine. Il n’y a pour lui de solution qu’européenne (Journal des Economistes). On s’inquiète moins alors des armements navals américains que des perfectionnements de leurs machines-outils. « L’Amérique envahit la vieille Europe, elle l’inonde, elle va la submerger », écrit Emile Barbier en 1893 (Voyage au pays des dollars). Mais il veut parler du déluge des marchandises. Cette décennie décisive voit la production américaine passer au premier rang mondial. « Sur tous les points du globe, les Etats-Unis sont appelés à entrer prochainement en conflit avec l’Europe » (Octave Noël, 1899). « L’Amérique se prépare à la grande lutte économique qui doit un jour ou l’autre éclater entre l’ancien et le nouveau continent » (Jules Huret, En Amérique, 1905).

Le modèle social américain

Dès 1900, l’Amérique des Français est devenue l’Empire des trusts et de la production de masse. Certains s’imaginent néanmoins que la condition ouvrière y est nettement plus avantageuse qu’en Europe. Les explosions sociales de 1877 et 1886 viennent y opposer un démenti. Le Mouvement pour la journée de huit heures, qui sera en 1886 à l’origine de l’instauration de la journée du 1er mai dans le monde entier, va être soumis à une rude répression policière. Quatre anarchistes seront pendus après un attentat, et ce, malgré l’absence de preuves. L’impact est énorme. Le monde ouvrier perd ses illusions vis-à-vis du modèle social américain. A trente ans d’intervalles, on aura plus tard les procès de Sacco et Vanzetti, puis celui des Rosenberg pour confirmer l’injustice prétendue de ce modèle social. L’antiaméricanisme de gauche en ressort renforcé.

Anglo-saxonnité et réticence au socialisme

En dépit des efforts de Marx, qui avait fait transférer chez eux le siège de l’Internationale, les Américains restent rétifs au socialisme. De fait, ce sont les Américains d’origine allemande qui fournissent l’essentiel des cadres et même des troupes du socialisme américain [mais Philippe Roger ne distingue peut-être pas les Juifs allemands, qui composent la quasi-totalité des bataillons des penseurs marxistes, NDLA]. Le Socialist Labor party parle bel et bien allemand, au propre comme au figuré, puisque sa presse est majoritairement rédigée dans cette langue. « La formation de la race anglo-saxonne est aussi profondément particulariste que celle de la race allemande est profondément communautaire ». (Edmond Demolins, 1897). En clair, l’Allemand est grégaire et potentiellement collectiviste, alors que l’Anglo-Saxon a pour trait principal l’énergie individuelle.

La femme américaine et le puritanisme

« La femme américaine « paraît ignorante et prétentieuse, incapable de tenir une conversation, froide à nous geler […] muette, revêche et bégueule. » (cf Barbier, Crosnier de Varigny). Elle a le regard glacé et les lèvres minces, la figure impassible. Urbain Gohier (que nos amis nationalistes connaissent bien) se gausse des étudiants et étudiantes d’Evanston qui « ont fondé une anti-Kissing League pour proscrire le baiser qui « provoque le dégoût et propage les maladies » (Le Peuple du XXe siècle aux Etats-Unis, 1903). « Les lois contre la séduction protègent avec une telle efficacité la femme réputée honnête qu’elle constitue un danger dont s’écarte l’homme égaré en Amérique » (Paul de Rousiers, La Vie américaine, 1892). Un jeune Français fut contraint d’épouser le revolver sur la gorge une fille de Saint-Louis qui l’avait attiré dans un piège. La terreur que fait régner l’ordre sexuel américain interdit sous peine de lynchage de poser une main sur le genou d’une inconnue. Les épouses, à côté de cela, font régner dans le foyer une tyrannie domestique. Mais passé le seuil de son foyer, l’homme devient un redoutable prédateur (Jean Huret, En Amérique, 1928).

Une dentition merveilleuse

Le chwing-gum, véritable passion nationale, intrigue tous les voyageurs. « c’est pour se faire les mâchoires », affirme Huret. Cela satisfait sa haine de l’oisiveté et son souci constant d’améliorer se performances dévoratrices ! Les mâchoires sont le lieu des décisions énergiques. C’est en serrant les dents que l’on veut mieux. « La gomme est pour beaucoup dans la supériorité que nous avons acquise sur les autres peuples. » fait dire Maurice Bedel à un guide américain (Voyage de Jérôme aux Etats-Unis, 1953).

« Dans l’œil dur, le menton, les maxillaires volontaires, se condensaient l’expression foncière, les signes caractéristiques de la race » (Jean Huret, parcourant l’Amérique en 1904).

On savait que les Anglais savaient faire preuve de ténacité, qualité britannique par excellence. Ils savent serrer les dents comme pas un peuple. Mais le Yankee n’est pas seulement tenace, il est vorace. Duhamel avait remarqué, dans les rues de Chicago, « ces mâchoires de fauves de chasse » (Scènes de la vie future, 1930). « A défaut d’identité, dit Jean Baudrillard, les Américains ont une dentition merveilleuse » (Amérique, 1986).

Conformisme, philistinisme, provincialisme étaient les tares de l’Amérique jusqu’aux années 1860. Puis s’ajoutent d’autres traits : avidité, brutalité, chauvinisme et volonté de puissance se sont superposés aux anciens. Le Yankee de Lanson (Trois mois d’enseignement aux Etat-Unis, 1912) est « le milliardaire qui n’est pas encore décrassé, le business-man qui, dans la lutte pour l’argent, ne voit plus que l’argent comme but de la vie. » Mauvaises manières et âpreté aux gains pouvaient passer au début pour les conséquences d’un état social provisoire : celui d’un pays ma dégrossi, aux mœurs rudes. Chez le Yankee, ce sont désormais des déficiences innées, des tares héréditaires.

Les minorités et la nouvelle immigration

Urbain Gohier, qui a voyagé au début du siècle aux USA, a encore des idées « avancées » à ce moment-là. Ce qui ne l’empêche pas de s’exprimer comme il l’entend au sujet de ces minorités ethniques tant choyées par les démocrates et les gauchistes de tout poil : « Ils sont laids avec un air doux et serviles. Ils acceptent l’esclavage sur le sol où leurs pères vivaient librement : ils ne méritent nul intérêt. » (Le Peuple du XXe siècle) Quant aux Noirs, il sont « communément fripons, menteurs et paresseux… conduits fréquemment aux plus lâches crimes. » Pas de doute : Gohier n’était pas fait pour finir anarchiste bêlant. En 1875 déjà, Louis Simonin avait remarqué la paresse des Noirs et le risque d’anarchie que couraient les Etats-Unis (A travers les Etats-Unis). Emile Boutmy, le fondateur de l’Ecole de Sciences politiques concluait aussi à « l’erreur commise par les Républicains en faisant des Noirs des citoyens » (Eléménts d’une psychologie politique du peuple américain).

Noirs et Indiens, qui comptaient tant d’amis et d’avocats dans la France jusqu’aux années 1860, sont alors en disgrâce. Devenus citoyens à cette date, les Noirs américains n’en sont pas moins étrangers aux yeux des observateurs.

Au fur et à mesure de l’arrivée des nouveaux immigrants, L’Amérique semble disparaître sous « l’écume rejetée par la société européenne » (Emile Boutmy). Elle est, de plus en plus « faite de la boue de toutes les races » ; « Chaque génération d’arrivants s’est trouvée inférieure moralement et intellectuellement à la précédente. » Paul Bourget affirme que l’américanisation [dans le sens de l’intégration] des nouveaux venus ne fonctionne plus, et prédit des conflits ethniques (Outre-Mer, 1897). En 1927, André Siegfried, dans un livre qui fera référence pendant deux générations (Les Etats-Unis d’aujourd’hui), confirmera le délitement de la nation américaine par cet afflux d’immigration : « Des milliers d’étrangers , qu’on se flattait de croire américanisés, ne l’étaient pas. »

Wilson le névropathe

L’Amérique avait été accueillie avec beaucoup de ferveur en 1917. Pourtant, la camaraderie de 1917-1918 restera sans lendemain et le président Wilson quittera Paris au milieu de l’hostilité générale.

La gauche socialiste dénonce sa volonté de relancer le conflit mondial en préconisant une intervention contre l’Armée rouge. A droite, Maurras lance l’anathème contre celui qui s’oppose aux volontés françaises. En 1919, Wilson était arrivé en triomphe à la conférence de la paix. « Il se croit un second Jésus-Christ venu sur la terre pour convertir les hommes », ironisera plus tard Clémenceau. Maurras le juge névropathe, Freud l’estime paranoïaque. La Maison-Blanche ? « Beau nom d’asile ! » (Aron et Dandieu, Le Cancer américain).

Clémenceau exprimera clairement les récriminations françaises de ce temps : « Votre intervention fut clémente, puisqu’elle ne vous prit que 56 000 vies humaines au lieu de nos 1 364 000 tués. » (Grandeurs et Misères d’une victoire, 1930). Le livre est une réponse acerbe aux attaques posthumes de Foch, sur l’emploi du renfort américain. « L’organisation tardive de la grande armée américaine [par opposition à l’incorporation immédiate des Américains dans les divisions françaises et anglaises] nous coûtaient beaucoup de sang. […] C’était grand’pitié de voir faucher nos hommes sans relâche, tandis que, sous le commandement de leurs bons chefs, d’importantes troupes américaines restaient inactives, à portée de canons. »

André Tardieu, l’homme politique français le plus compréhensif à l’égard des Etats-Unis, dresse en 1927 ce bilan impitoyable des relations franco-américaines : « Ces deux pays n’ont jamais collaboré sans connaître d’immédiates ruptures et , en toutes autres circonstances, l’absence seule de contact explique entre eux l’absence de troubles. J’ajouterai, continue Tardieu, que ces courtes périodes de collaboration politique – moins de dix ans sur cent quarante – ont obéi non aux lois du sentiment, mais à celles de l’intérêt et que, l’intérêt épuisé, le sentiment n’a pas suffi à maintenir la coopération. » Avec des américanophiles de cette trempe, il reste peu de grain à moudre aux américanophobes.

Le mouvement ne concerne pas seulement les intellectuels, même s’ils sont au premier plan. Le public parisien suit gaillardement cette voie. Aux Jeux olympiques de 1924, l’équipe française de rugby, qui est alors la meilleure en Europe, est battue par sa rivale américaine. La foule déchaînée envahit le stade et la police doit charger plusieurs fois à la matraque pour empêcher le lynchage des joueurs yankees qui sont poursuivis jusque dans la rue !

Le livre le plus violent de la période des années 30 est Le Cancer américain, d’Aron et Dandieu (1931), de la mouvance « non-conformiste », proche d’Emmanuel Mounier. La date fatale pour l’Europe n’est pas août 1914 ni Sarajevo. C’est « 1913, date fatale de l’organisation des banques américaines d’où est issue l’hégémonie dont nous souffrons. » Autre date fatale : 1929. Les Poilus ne sont pas morts pour la France, ni pour les marchands de canon, mais pour le Federal Reserve System.

L’Europe contre l’Amérique

Duhamel consacre son énergie, dans les années trente, à pourfendre la civilisation « d’ilotes » qui menace la culture européenne. Valéry ne cesse plus de prophétiser l’anéantissement d’une Europe née selon lui du choc de 1898. « Avant cette époque, je n’avais jamais songé qu’il existât véritablement une Europe » (Regard sur le monde actuel, 1931). Mais sa résignation mélancolique n’a rien pour exalter les passions.

Pour André Siegfried, « la vieille civilisation de l’Europe n’a pas traversé l’Atlantique » (Les Etats-Unis d’aujourd’hui, 1927). Le peuple américain n’a pas rompu les attaches. Il « est en train de créer une société complètement originale, dont la ressemblance avec la nôtre tend à n’être plus que superficielle. »

André Suarès revient lui aussi au choc de Cuba. La résistance aux Yankees est au cœur du principe européen (Vues d’Europe, Revue des vivants, 1928) : « Misérables Yankees… Jusqu’à leur accent nasal et leur timbre de rire qui les prédestine à s’unir avec les Chinois pour s’emparer du monde… Avec les Chinois ils feront la race grise. […] à coups de fouet, hors d’ici !… ». Ce dont l’Europe est menacée, c’est d’une collusion des Barbares : « Le principe européen consiste à défendre l’Europe […] contre les Barbares, contre l’Asie, contre les Noirs et les Jaunes sans doute, mais d’abord contre le Nord de l’Amérique. » Voilà qui est net.

Pour Duhamel, « Un Occidental adulte, normal et cultivé, se trouve moins dépaysé chez les troglodytes de Matmata que dans certaines rues de Chicago. » (Scènes de la vie future, 1930).

Victor Hugo, à sa manière, voyait lui aussi cette bipolarité, sans noter l’antagonisme : « Nous aurons les Etats-Unis d’Europe qui couronneront le Vieux Monde comme les Etats-Unis d’Amérique couronnent le nouveau » ( Aux membres du Congrès de la Paix, à Lugano, 1872).

On assiste bien, jusqu’à la fin des années 20 à un développement parallèle de l’antiaméricanisme et du mouvement pour l’unité européenne.

A la conférence pan-européenne de Vienne, en 1926, on remarque au premier rang le maître à penser du déclin européen, Paul Valéry. Mais aussi Paul Claudel, Georges Duhamel, Jules Romains, Luc Durtain, Lucien Romier. Cette liste est pratiquement superposable à celle des écrivains français qui s’inquiètent ou s’alarment de l’Amérique.

Jean-Pierre Maxence défend l’âme de l’Europe contre « le matérialisme de Moscou et l’affairisme de New-York (L’Europe en danger, La Revue française, mars 1931).

Le stalinisme paraît « aussi vain et aussi malfaisant à la fois que le fordisme américain » (Daniel-Rops, Revue française, avril 1933).Ordre Nouveau dénonce « la masse, qu’elle soit fasciste, américaine ou soviétique » (juillet 1933).

L’âpreté yankee

Lamartine, déjà, avait été choqué par la ténacité que mettaient les Yankees à vouloir se faire rembourser. « J’ai toujours été profondément étonné du peu de sympathie et de reconnaissance que l’Amérique a montré à notre pays. » (Lamartine, débat du 1er avril 1834). Depuis le Premier Empire, en effet, les Etats-Unis réclamaient des indemnités pour les dommages subis par leur flotte commerciale.

En 1919, la France et l’Europe humiliées doivent de surcroît s’accoutumer aux brutalités prévisibles d’une Amérique chez qui « se dessinent des préoccupations d’huissier. » (Siegfried).

Les Français entendent lier le remboursement de leurs dettes à la bonne exécution, par l’Allemagne, de ses obligations au titre des réparations pour dommages de guerre, mais les Américains ne l’entendent pas ainsi. Comparativement, l’Allemagne paraît choyée. A elle les largesses des grandes banques américaines ; à elle encore quand elle se dit insolvable, la sympathie et l’appui diplomatique des Etats-Unis. Contre l’âpreté américaine, l’hostilité française est aussi vive à droite qu’à gauche.En 1932, l’Allemagne aura payé 11 milliards de francs-or, soit moins du dixième de la somme fixée en 1921. S’estimant victime de ses anciens alliés (Tardieu, L’Heure de la décision), la France déclare unilatéralement les paiements suspendus le 15 décembre 1932. Aux Etats-Unis, tous les journaux titrent sur ce manquement aux engagements. A la déception française, répond pour le reste de la décennie, l’indignation de l’Amérique. La France fait alors bloc dans une unanimité impressionnante. L’antiaméricanisme a cet effet magique sur les divisions françaises. On ne parle plus à ce moment là de l’Oncle Sam, mais de « l’Oncle Shylock » (J-L Chastanet, 1927), du nom de cet usurier juif mis en scène par Shakespeare.

Maurras dénonce avec justesse le philogermanisme de Wilson et ses liens avec la finance juive, « la domination mondiale croissante d’une race agioteuse et révolutionnaire sur les peuples producteurs, conservateurs, civilisateurs. » (Les Trois aspects du président Wilson, 1920).

« Tout ce que l’Europe a perdu, l’Amérique l’a gagné, dit Tardieu en 1927. Par la guerre, elle a plus que doublé sa puissance […] La moitié de l’or du monde est venue s’entasser dans ses caisses. »

« D’emprunteur plein de promesses, l’oncle était devenu [après 1918] un créancier plein d’exigences. » ( L. Romier). N’ayant pas encore d’hommes à offrir, l’Amérique a offert son argent, tandis que la France payait l’impôt du sang. Les balances sont donc équilibrées. Voilà en substance ce que contenait le discours à la Chambre de Louis Marin le 21 janvier 1925. Discours unanimement applaudi par les députés français.

Le plan Marshall : un bon placement pour l’Amérique

Dans l’entre-deux guerre, la droite et les nationalistes étaient en flèche contre les Etats-Unis, et c’est Maurras qui portait les premiers coups à la statue de Wilson. En 1945, c’est le Parti communiste qui est à la pointe de ce combat contre « l’occupant » américain et les cadeaux empoisonnés de M. Marshall. Le général de Gaulle capitalisera en sa faveur ces rancœurs dans les années 1960.

Le crédit que les Français avaient rêvé sans l’obtenir en 1920, ils vont le recevoir en 1948 sans l’avoir quémandé. A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la France est une nation assistée et qui se sent humiliée par les largesses de ses trop généreux bienfaiteurs. Plus de treize cents millions de dollars sont alloués à la France. Mais un tiers seulement des Français se déclarent favorables au plan Marshall. Les antiaméricains de 1930 refusaient de s’acquitter. Ceux de 1948 refusent de recevoir. Les communistes, qui sont en première ligne, dénoncent la servitude économique et l’engrenage vers la guerre contre l’URSS. On considère aussi que les Américains font un bon placement, plutôt qu’œuvre bienfaitrice. En 1946 avec les accords Blum-Byrnes, la France doit renoncer à son protectionnisme indispensable à ses industries. Etienne Gilson, dans Le Monde du 12 juin 1946, dénonce le « puissant moyen d’abrutissement » que constitue le cinéma hollywoodien massivement injecté dans le circuit français. Les Américains sont accusés par la presse communiste d’avoir favorisé le relèvement allemand après 1918 : « Les plans Dawes et Young de relèvement ont précédé les plans de guerre de Schacht et des Goering » (Ch. Tillon). En 1944, à la question posée « Quel pays a le plus contribué à la défaite allemande ? », les Français répondent massivement : l’URSS (61 %), l’Amérique n’obtenant que 29 %.

« Notre destin ne s’est joué ni en Normandie, ni en Belgique, déclare Sartre, mais en URSS, au bord de la Volga » (France-URSS Magazine, avril 1955). La P… respectueuse, de cet auteur, en aurait gêné Thierry Maulnier, par sa charge antiamériacaine. Marcel Aymé, dans la Gazette des Lettres, fait paraître en 1951 une nouvelle, La fille du Shériff, où la France est rayée de la carte par les Américains réjouis et hilares. Les Français, manifestement, ne semblent pas éprouver une gratitude débordante à l’égard de cet envahissant allié.

Les Juifs et les francs-maçons

« De 1789 à 1932, sur les vingt-neuf présidents des Etats-Unis, vingt ont été francs-maçons » (Henri Nevers, Pourquoi l’Amérique est-elle en guerre ?, 1942).

« C’est la plus grande ville juive du monde », écrit Siegfried de New-York. « A la sortie des bureaux, downtown, quand la basse ville s’emplit d’innombrables dactylographes au regard sombre, au nez busqué, quand les rues étroites de l’east side déversent des flots pressés de Levantins brunis ou d’Hébreux hirsutes, l’impression est orientale et la fluidité de ces foules, sans cesse renouvelées, passant comme un courant sans fin, évoque les marées humaines des métropoles asiatiques. » Non, cette desciption n’est pas celle d’un pamphlétaire de la Collaboration ; elle est bien d’André Siegfried. Il confirme : les Juifs « restent à l’état de ferment hétérogène ; on les distingue, non mêlés, au fond du creuset américain. » (Les Etats-Unis d’aujourd’hui). Des centaines d’autres livres existent sur le sujet, d’auteurs célèbres, parfois, mais Philippe Roger, engoncé dans sa démarche politiquement correcte n’a pas jugé utile d’en parler. Nos lecteurs nationalistes sauront bien compléter eux-mêmes ce chapitre.

Sur la religion

Urbain Gohier, robuste mangeur de curés, a bien été obligé de se l’avouer : « Ce dimanche-là, j’ai eu envie de me faire catholique. » Et de constater : « Les affaires sont la religion américaine, et la religion américaine est une affaire. »

Claudel, l’ambassadeur de France, ne cache pas, lui non plus ses sentiments, lors du jour de l’entrée en fonction de Franklin Delano Roosevelt. (Journal II 1933-1955) : « [J’ai été] obligé une fois de plus, à mon profond dégoût, d’assister à une mômerie épiscopalienne. »

C’est « une religion à peu près privée de tout caractère religieux et dont les assemblées ressemblent à des congrès politiques » confirme André Siegfried (Lettres de voyage, 1935).

Un système totalitaire

« L’Etat américain est libéral, mais la société est totalitaire : c’est peut-être la société la plus totalitaire du monde » (Jean-Marie Domenach, Le Diplodocus et les fourmis, Esprit, mars 1959).

Robert Aron, en 1935, fait le même constat : « Toutes les forces de suggestion, telles que presse, publicité […] tout cela rend presque superflu l’emploi de la violence ouverte, de la dictature apparente. » (La Dictature de la liberté).

Simone de Beauvoir (L’Amérique au jour le jour, 1948), André Breton et Bernanos aussi : « cette société capitaliste est prédestinée dès sa naissance à devenir la civilisation totalitaire. » (Bernanos, La liberté pour quoi faire ?, 1953).

La colonisation culturelle

Bernanos : « Nous comprenons de plus en plus clairement que la contre-civilisation, cette civilisation de masse, ne saurait poursuivre son évolution vers la servitude universelle sans d’abord achever de liquider l’Europe. » (La Liberté pour quoi faire ? 1953).

Un violent pamphlet contre l’Amérique est publié à ce moment-là : Parlez-vous franglais ? Son auteur, Etiemble, ne cesse de répéter que la France s’achemine « de la décadence à la servitude […] Le Pacte atlantique contribue à nous coloniser, et ce quand nous sommes en proie aux soubresauts de la décolonisation ».

On critique vertement en France cette société d’opulence bassement matérielle. Rien à voir, bien sûr avec notre art de vivre, en harmonie avec des mœurs multiséculaires. La gastronomie, le vin, nos doux et jolis villages font contraste avec l’inhumanité, la monstruosité des grandes métropoles américaines (cf Luc Durtain, Quarantième étage, 1927). « La recherche du beau tient peu de place dans les monuments publics […] Ce qu’aiment les Américains, c’est l’immense, l’extraordinaire, la marque de puissance » (P. de Rousiers, La Vie américaine). Ni afés, ni bistrots, ni de vrais restaurants… l’enfer, quoi !

La publicité omniprésente, le machinisme, la standardisation des esprits et des biens, tout cela semblent s’opposer à la douceur d’une civilisation millénaire que la France représente le mieux. « L’artisanat, forme démodée de la production [est] associée dans notre pensée à l’idée de civilisation même » (Siegfried).

On sait bien aussi que les Américains sont souvent ignares. Ils ne connaissent pas leur géographie. Un quidam de la rue vous placerait la France au niveau du Congo sur une mappemonde. Dans son livre, Urbain Gohier intitule un chapitre : « La presse. La littérature. L’art. Le théâtre. Les tribunaux », avec ce sous-titre : « Ce chapitre sera nécessairement très court » !

Leur cinéma, encore aujourd’hui, est jugé particulièrement médiocre et envahissant.

« Les productions américaines viennent en Europe avilir, corrompre, abaisser l’âme populaire » (Kadmi-Cohen, l’Abomination américaine, 1930). « Hollywood est une cité ouvrière », écrit Joseph Kessel, qui « fabrique des images parlantes comme Ford des automobiles » (Hollywood, ville mirage, 1937). En 1924, 85 % des films de long métrage montrés en France son américains. 63 % en 1927. Une loi sur les quotas est appliquée en 1928, et nos dirigeants seraient bien inspirés aujourd’hui de faire de même pour contenir ces cataractes de déchets audio-visuels. [NDLA].

La France est submergée par « une littérature d’importation qui exalte ce qu’il y a de plus vil dans l’homme, et par certains magazines américains dont la bêtise est un outrage à l’esprit humain ». (G. Stora, La France deviendra-t-elle une colonie américaine ?, 1948). Mais les communistes ne sont pas toujours si bien inspirés : « Voter pour les listes des partis gouvernementaux et RPF, c’est voter pour Hollywood et le Ku Klux Klan » (La Nouvelle Critique, juin 1951). Cette dialectique subtile de cheminot cégétiste est imparable. En tout cas, une loi sur la protection de la jeunesse est votée le 16 juillet 1949. C’est un véritable outil de guerre contre la production américaine. Les Comics américains sont particulièrement visés : aucune publication pour la jeunesse ne peut montrer favorablement banditisme, vol, paresse, lâcheté, haine, débauche.

Les communistes alliés au lobby viticole tentent de faire interdire le Coca-Cola au nom de la santé publique (on sait que le Coca est un puissant détergent, et qu’il vous ronge une pièce de vingt centimes en quelques heures…). Plus récemment, on a vu de quelle manière ils s’en sont pris aux Mac Donalds. Mais ils ne sont pas seuls dans ce combat : les autonomistes bretons et les nationalistes français se sont signalés ici à plusieurs reprises.

Ni islam, ni Oncle Sam

Le succès du livre de Thierry Meyssan, L’Effroyable Imposture (2002) vient confirmer, s’il en était besoin, l’enracinement profond du sentiment antiaméricain en France. Reconnaissons qu’il est tout de même plus ancré parmi les intellectuels que dans le petit peuple. C’est néanmoins une longue passion française, la seule peut-être à rassembler la quasi-totalité de la population. Là-dessus, nous parvenons même à être d’accord avec nos immigrés. Ce qui ne signifie évidemment pas que nous allons, par antiaméricanisme, accepter l’installation définitive de ces millions d’immigrés afro-asiatiques sur notre terre ancestrale. Là-dessus, nous resterons toujours intransigeants. Nous ne nous convertirons pas à l’islam pour faire pièce à l’Oncle Sam.

Et inversement, nous ne croyons pas aux vertus de la démocratie que l’on essaye de nous présenter de manière manichéenne comme le Bien opposé à un « axe du Mal ». Nous avons trop bien compris que notre pire ennemi est niché à l’intérieur de nos nations, à l’intérieur même de ces « démocraties multiculturelles » créées de toute pièce et qui nous ont été imposées perfidement, en quelques décennies, par une petite clique de tarés messianiques qui ont pris le contrôle de nos médias. Quoiqu’en pensent les gauchistes et les ultra-démocrates, l’immigration n’est pas un phénomène naturel. Elle est planifiée, organisée, orchestrée par des oligarchies financières, par des groupes de pression bien identifiés, qui l’utilisent pour diluer les peuples ethniquement homogènes et affaiblir leur résistance. Leur objectif est de détruire les vieilles nations et d’instaurer à leur place une société « ouverte », sans frontière, adorablement métissée, qu’ils pourront alors dominer aisément. Cet ennemi a pris les leviers de commande chez nous et nous utilise pour parvenir à ses fins. Il sait merveilleusement utiliser les masses musulmanes contre nous, à l’intérieur de nos propres nations, où il facilite toujours leur installation, aussi bien que sur le plan international, comme on a pu le voir en Bosnie par exemple, ou comme on peut le constater quand il favorise l’entrée de la Turquie dans la Communauté européenne. Il s’agit bien de nous détruire, de détruire les peuples européens par métissage biologique et culturel. Le Système entretient la menace musulmane dans nos murs pour nous affaiblir, et la combat à l’extérieur pour s’en protéger. Il nous faut donc, au contraire, la combattre chez nous, en Europe, et l’encourager sur la scène internationale, où il s’oppose, pour le moment, à l’axe américano-sioniste.

Les Droits de l’Homme : un élixir de charlatan du Far West

L’antiaméricanisme, dans ces conditions, peut s’avérer être un puissant levier. D’abord parce qu’il nous permet d’intégrer notre discours dans la politique française où nous sommes toujours considérés comme des pestiférés.

On peut ainsi savourer le plaisir d’être enfin en phase avec l’immense majorité de nos compatriotes. Ensuite, parce que c’est là une bonne occasion d’avancer à bon compte une critique globale du système démocratique et de ses travers, alors même que la république française reste ce colosse de bronze devant lequel nos concitoyens sont en adoration, de manière, il faut le dire, de plus en plus incompréhensible.

Ainsi, l’antiaméricanisme nous permet de fustiger une société multiraciale, destructrice des identités millénaires. Et c’est bien cette même société multiraciale que des lobbys anonymes nous ont programmée dans nos pays européens. Les pays d’Europe centrale, encore préservés de cette plaie, ne tarderont vraisemblablement pas à en connaître tous les maux. L’antiaméricanisme nous permet de dénoncer avec force le pouvoir des banques, l’omnipotence de la haute finance, la corruption des élites ; toutes les tares que la démocratie trimballe derrière elle dans un gigantesque tintamarre, et par dessus tout, cet immonde matérialisme dans lequel se vautre l’Occident tout entier, cette frénésie de consommation qui est une véritable abjection au regard des civilisations antérieures, au regard de ce qu’ont pu faire nos ancêtres et de ce que nous serions encore capables de faire si nous n’avions pas les mains ligotées dans le dos par les gardiens de camp de l’idéologie des Droits de l’homme, cette chausse-trappe philosophique qui s’avère être une véritable machine de guerre contre l’identité des peuples libres, ethniquement homogènes. Pire encore : les peuples des autres continents, dans leur misérable dénuement, regardent avec avidité les richesses que nous produisons, n’aspirent plus qu’à suivre notre exemple, qu’à chuter avec nous, parmi nous, dans cette erreur historique que représente une civilisation centrée toute entière sur l’idée de bonheur individuel, au détriment de toute notion de destin collectif. « La terre appartient à tout le monde » répètent inlassablement nos cyborgs gauchistes, nos ultra-démocrates fanatiques, assaisonnés de conscience humanitaire par des théoriciens de ghetto, des producteurs d’Hollywood ou n’importe quel autre escroc gesticulant, qui vous vide votre portefeuille en vous faisant regretter de ne pas pouvoir donner davantage. « La terre appartient à tout le monde » : la belle affaire que d’être un « être humain ». Est-ce que cela vous apporte une satisfaction, un réconfort quelconque ? Autant se dire, à ce moment-là, membre du système solaire, car comme il n’est pas clairement prouvé qu’une autre vie n’existe pas hors de notre planète, nous ne pouvons pas nous permettre de risquer aucune discrimination en excluant d’éventuels extraterrestres, n’est-ce pas ? Au rythme où progresse la bactérie de la connerie en milieu démocratique, nos meilleurs chercheurs, nos meilleurs intellectuels patentés, estampillés « du Système », vont avoir le temps de se réunir et de causer sur les plateaux de télés avant de trouver une solution à ces problèmes. Ceci pour dire une évidence qui échappe manifestement à tous ces crétins que la démocratie nous fabrique en série, façon Ford et Stakhanov : le sentiment de sécurité se trouve sur une petite échelle, dans une communauté restreinte, et non pas dans l’univers galactique ou dans une utopie quelconque. En plaçant l’individu, « l’être humain » au centre de la conception du monde, l’idéologie des Droits de l’Homme favorise la dissolution des communautés organiques et des nations, qui constituaient jusqu’à présent le principal moteur de l’histoire, et le cadre idéal dans lequel pouvait s’exercer les talents et la créativité artistiques. En favorisant la disparition des peuples et des nations, cette philosophie est en train de tuer la diversité culturelle. C’est un véritable poison qui a été mis au point par des philosophes mal inspirés, et qui est colporté aujourd’hui par toute une bande d’aigrefins et d’agioteurs malveillants comme le faisaient autrefois, dans le Far West, des charlatans sans scrupules qui vantaient les mérites de leurs élixirs à de pauvres gens trop crédules.

Les rodomontades et les boniments du président américain, qui lance ses engins de morts contre la population irakienne, au nom du Bien, naturellement, des droits de l’Homme et de la démocratie, peuvent bien tromper les gogos du Kansas, habitués de longue date à pareils discours. Pour ce qui nous concerne, nous sommes déjà depuis quelques années vaccinés contre ce type de contorsions idéologiques. Et pour tout vous dire, cette hypocrisie nous paraît, allez, n’ayons pas peur du mot… très « américaine ».

mars 2003

notes

1 - De Paw est un philosophe hollandais à la cour du roi de Prusse Frédéric II.
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