Le duo franco-allemand à travers le prisme croate
Que dire des nations périphériques en Europe? Quel est leur rôle vis-à-vis de deux grands pays européens? L'une de ces petites nations limitrophes est la Croatie, un nouvel Etat dont la population entière de 4,5 millions d'habitants peut facilement rentrer dans Paris, ou pire encore dans les banlieues de Los Angeles.
Soyons honnêtes: la France et l'Allemagne dans leur effort de construction d’une grande Europe peuvent se passer facilement des petites nations périphériques comme la Croatie, la Serbie, l'Estonie, et j'en passe... A la rigueur, ils peuvent même faire table rase d'une Pologne ou d'un Portugal. A l'inverse, les nations périphériques ne peuvent jamais fonctionner sans l'Allemagne et la France - ni sur le plan économique, ni sur le plan socio- culturel.
Le sentiment d'être en trop donne lieu à une fausse conscience, au refoulement d'une différence vécue comme une stigmate, au mépris et à la haine de soi, bref à un complexe d'infériorité qui est très prononcé chez les Croates. Il en va de même chez tous les autres peuples minoritaires en Europe orientale. Force est de constater que ces peuples qui sont en train de construire leur minuscule Etat n'ont jamais véhiculé des idées dominantes; ils n'ont jamais donné naissance à de grandes personnalités politiques. Par contre ils sont souvent connus comme des trouble-fêtes semant la pagaille dans tous les coins de l'Europe.
En l'occurrence, les Croates croient qu’ils sont mal compris par le monde extérieur; ils s'imaginent comme les victimes de complots étrangers: hier c'étaient des Français qui par le biais des Serbes s'accrochaient à la préservation de deux Yougoslavie jacobines; aujourd'hui ce sont les mystérieux francs-maçons de Bruxelles et la côte Est américaine qui planent au-dessus du pays.
A l'instar des classiques nationalistes, le trait caractéristique des nationalistes croates est la recherche de la légitimité négative, à savoir la justification de soi-même par le rejet de l’Autre. Impossible d'être un bon Croate, sans au préalable être un bon anti-Serbe ! Tout cela nous rappelle les avatars des nationalismes européens qui ont apporté tant de maux et tant de guerres civiles en Europe, à partir du Traité de Westphalie et surtout à partir de la Révolution française. Ceux qui en profitent sont les puissances non européennes: jadis les Turcs, aujourd'hui l'Amérique ploutocratique et ses vassaux européens.
Ce genre de nationalisme jacobin, qu'on appelle faussement, et par euphémisme en France le souverainisme, ne peut nous faire avancer nul part, sauf vers davantage de haine et de guerres civiles
Il va de soi que les Allemands sont vus par les Croates comme des frères, comme un peuple indispensable pour toute l'Europe, non seulement parce que géographiquement ils sont reliés par le bassin du Danube mais aussi parce qu'ils sont imprégnés de la même culture: c'est surtout l'idée du Reich et du fédéralisme allemand qui mena à la désintégration de la Yougoslavie jacobine et à la naissance de Croatie. Le fait que les Croates aient coexisté pendent quatre siècles avec une douzaine de peuples différents d’Europe centrale au sein du vaste empire austro-hongrois dont les structures étaient quasi-fédérales, témoigne d'une légalité mais surtout d'une légitimité des idées impériales.
L'héritage politico culturel de la France, quoique bien connu par la classe intellectuelle serbe, est presque ignoré en Croatie. L'idée d'un duo franco-allemand est peu concevable pour un Croate moyen. L'Allemagne n'est pas seulement perçu comme un grand pays, elle représente l'Europe à part entière. Dans la conscience populaire croate, la France, par contre, laisse un lugubre souvenir historique; elle est associée à Clemenceau, à Mitterrand, aux apôtres des états artificiels d’Europe centrale, aux politiciens français qui ne cachaient pas leur ressentiment de l'Allemagne et par extension de son glacis est européen. On peut aller plus loin: au XVIème siècle, ce fut François Ier, qui dans son effort d'affaiblir le Saint Empire aida les Turcs à s'emparer de l'Europe centrale. Les peuples périphériques croates, hongrois, serbes ont du payer un terrible prix. La haine interethnique qui s'ensuit dans la période après la fin de la Première guerre mondiale entre Hongrois et Slovaques, entre Serbes et Croates, entre Polonais et Allemands, doit être mise dans un contexte plus large, et observée comme une retombée logique des interminables guerres entre l'empire français et le Reich allemand et leurs alliés respectifs. Il est dommage que les Serbes ont oublié que la politique anti-allemande de François Ier et de Louis XIV leur a fait perdre Belgrade au profit des Turcs, et que ce fut grâce aux soldats allemands du Sainte Empire et grâce à leur chef militaire le Prince Eugène de Savoie que leur ville fut libérée au début du XVIIIème siècle. Même le pedigree du Prince Eugène nous démontre l'esprit tourmenté et névrotique tellement typique des Européens. Par ses origines savoyardes et italo-françaises, le Prince Eugène portait en lui les germes à la fois d'une guerre civile et d'une réconciliation européennes. Mais il a fait son choix; il s'est voulu un bon Européen au service du Saint Empire allemand.
Il nous incombe de mettre ces détails en perspective, tout en nous mettant nous-mêemes en perspective. Il est important de ne pas tomber dans le piège d’un nouveau romantisme politique - qui risque d'aboutir à de nouvelles guerres civiles. On a beau vanter les avantages du nationalisme - il reste à être défini par rapport au peuple voisin. Le récent drame entre Serbes et Croates, les drames antérieurs entre Français et Allemands restent un scandale pour tout bon Européen. On peut s'imaginer avec quelle joie les ennemis de l'Europe, à savoir les mondialistes, ont savouré la guerre dans les Balkans. On n'a pas besoin de bouc émissaire, disaient-ils. Voilà deux peuples semblables qui s'égorgent comme les pires sauvages au nom de leurs mythes farfelus. Donc vive le mondialisme! - disent ils. Oui, ils ont raison, d'autant plus qu'ils dénoncent les conséquences néfastes du nationalisme, comme xénophobie, tout en savamment évitant d'examiner les causes du délire multiculturel et multiethnique qu'ils ont eux-mêmes mis en place. Comment expliquer que la monarchie multiculturelle austro-hongroise et le Saint Empire germanique hébergeaient Tchèques, Slovaques, Serbes, Allemands et Croates ainsi qu’une douzaine d'autres peuples qui pouvaient plus ou moins coexister?
Comme chaque noble sentiment, tel l’amour ou l’amitié, notre sol et notre sang nécessitent également une approche discriminatoire. On ne peut être l’ami de tous; on ne peut pas coucher avec n'importe qui. Tout homme fait le choix, en tout temps, parce que c'est la biologie qui le dicte. Donc dans nos démarches les plus intimes, nous sommes génétiquement prédisposés à graviter vers nos semblables. La petite Estonie, la Croatie et la Slovaquie vont bientôt réaliser que dans l'Europe transparente d'aujourd'hui, on ne peut pas se référer aux nationalismes du XXème siècle. En ayant refusé le jacobinisme des grands, ils se voient paradoxalement obligés de pratiquer leur propre forme de jacobinisme qui se heurte souvent aux particularismes de leurs propre pays. La phase stato-nationale qui est en train de s'achever dans toute l'Europe doit être suivie par un régime supranational. Peu importe si ce régime s'appelle l’Union européenne, ou le IVème Reich. Ne nous perdons pas dans de longs débats sur les signifiants et les signifiés tels que l'autodétermination ou le droit à la différence. Ce qui importe est que ce nouveau régime supranational européen repose sur les valeurs européennes et qu’il dénonce les valeurs marchandes et évite le métissage non européen.