Irlande du Nord, le feu couve sous la cendre
La secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, était à Belfast, le 12 octobre dernier, afin « d'aider à relancer le processus de paix entre catholiques et protestants en Irlande du Nord ». « La première fois que Bill et moi sommes venus ici, c'était en 1995. Vous avez parcouru un long chemin depuis, mais vous savez que votre voyage n'est pas terminé. Sachez que l'administration Obama et les États-Unis s'engagent à vous aider à achever votre voyage » a-t-elle déclaré. Manière habile de rappeler que l 'accord du Vendredi-Saint, qui mit fin, le 10 avril 1998, à trente ans de d’affrontements sanglants en Irlande du Nord et qui permit la mise en place d'un gouvernement biconfessionnel, fut négocié sous une forte pression américaine.
Une pression qui n’a d’ailleurs jamais cessée et Hillary Clinton a ainsi pu se féliciter que trois nouveaux mouvements armés, la trotskisante Irish National Liberation Army dans le camp catholique ainsi que l’Ulster Volonteer Force et l’Ulster Defense Association dans le camp protestant, aient, ces derniers mois, avec plus de quatre années de retard sur l’IRA signé à leur tour une trêve et déposé leurs armes.
Tout va-t-il donc pour le mieux en Irlande du Nord ? On pourrait le croire et les problèmes politique qui se posent encore entre les establishments catholiques et protestants ne concernent plus que la date de la dévolution à la région des pouvoirs de police et de justice, actuellement du ressort de Londres. Il s’agit de points de détail de politique politicienne qui ne passionnent pas les foules et les débats qu’ils suscitent au Stormont – le Parlement de l’Irlande du Nord – se déroulent dans l’indifférence générale de la population.
Cependant, on sait, tant à Londres qu’à Washington, qu’il suffirait de peu de choses pour que la population catholique d’Ulster se lève de nouveau et reprenne les armes. On a pu le constater ces dernier mois : en mars dernier, deux soldats britanniques sont décédés des suites d’un attentat de l’IRA et un policier a été victime d’un tireur solitaire, tandis qu’en juillet de violentes émeutes ont opposées de jeunes catholiques indépendantistes à la police nord-irlandaise. Le Sinn Fein de Gerry Adams, le parti nationaliste pan-irlandais historique devenu depuis social-démocrate modéré, a dénoncé ces violences et rappelé que sa branche armée, l’IRA, ayant déposé les armes et s’étant dissoute durant l’été 2005, ne pouvait en aucun cas être tenue pour responsable de quoique ce soit. Personne n’avait d’ailleurs songé à la mettre en cause car chacun sait en Ulster que les membres du Sinn Fein devenu des politiciens parmi d’autres n’ont plus ni la fibre militante ni la fibre militaire.
De surcroît, les attentats récents ne portent plus trois lettres comme signature, mais quatre : CIRA ou RIRA, selon que leurs auteurs se rattachent à la Continuity Irish Republican Army ou à la Real Irish Republican Army, deux structures para-militaires qui rejettent l’accord du Vendredi-Saint et qui refusent de déposer les armes.
La Continuity Irish Republican Army est la branche armée du Republican Sinn Fein. Ce petit parti nationaliste issu, en 1986, d’une scission du Sinn Fein peut être considéré comme traditionaliste et « de droite ». Il prétend être le seul successeur du Sinn Fein original et refuse tout accord avec les anglais tant que la totalité de l’Irlande n’aura pas été libérée… L’activité de la CIRA qui dure depuis vingt-trois ans est faible (une petite dizaine d’attentats sans grande gravité chaque année) mais elle semble depuis quelques temps se radicaliser et elle mène, depuis le début de l’année 2009, une campagne d’attentats et d’assassinats contre les membres de la police d’Irlande du Nord.
Avec la Real Irish Republican Army on passe au niveau supérieur du terrorisme. Créée en 1997, par des dissidents de l’IRA Provisoire refusant les négociations qui avaient alors lieu entre le Sinn Fein et le gouvernement britannique, la Real Irish Republican Army se fit connaître par l’attentat d’Omagh qui, le 15 août 1998 fit 29 morts et 220 blessés. Ce massacre, du plus à une erreur des démineurs britanniques qu’à la volonté de l’organisation indépendantiste, eut comme conséquence que la RIRA connut une longue traversé du désert . La volonté et la persistance de ses dirigeants, parmi lesquels Bernadette Sands-McKevitt – la sœur du célèbre Bobby Sand décédé d’une grève de la faim en 1981 – permis cependant sa survie et un renouveau de l’organisation ces dernières années. Doublée d’une branche légale, le 32 County Sovereignty Movement, la Real Irish Republican Army est incontestablement la cheville ouvrière des actuels troubles en Ulster et de la résistance nationaliste irlandaise actuelle.
On est cependant en droit de se demander si l’embellie que connaît celle-ci sera autre chose qu’un feu de paille. L’intégration de plus en plus profonde de la République d’Irlande dans l’Union Européenne a en effet des résultats dévastateurs sur l’irrédentisme nord-irlandais : la coordination des politiques anti-terroristes entre l’Eire et la Grande Bretagne met en péril ses réseaux logistiques et de soutien opérant traditionnellement à partir de l’État libre irlandais, tandis que la population catholique d’Irlande, tant au Sud qu’au Nord, considère de plus en plus le nationalisme gaélique comme un anachronisme, ce qui rend le recrutement de nouveaux combattants de plus en plus aléatoire.
Il se pourrait donc bien que l’IRA, au même titre d’ailleurs que l’ETA ou le FLNC, connaisse à terme la même fin que le Front de libération de la Bretagne : une disparition progressive dans l’indifférence générale de la population.