Nul ne peut être indifférent à l’éducation des jeunes générations. Elles nous sont le bien le plus cher, et l’avenir de notre être en tant que Nation. L’individu ne se réalise pleinement que dans ce qui le transcende, dans l’espace et dans le temps. Nous n’avons plus d’Histoire car le ressassement des signes de l’Histoire l’a remplacé. Nous n’avons plus d’avenir, car le cours de bourse s’est substitué au destin. Partant, nous n’avons plus de présent, sinon l’injonction de le remplir de discours, comme un vide happant l’air qui s’y engouffre.
Les réformes qui se sont succédées depuis que Jospin a décrété que l’élève devait être au centre du système éducatif se sont caractérisées, nonobstant quelques accidents de parcours et des reports opportunistes, par un traitement fait de petites touches qui ont paru des ajustement destinés à améliorer le rendement de la machine. Or, il en va tout autrement. Nous assistons à la révolution la plus radicale, la plus brutale aussi, que l’enseignement en France ait eu à subir depuis son initiation par les Romains. Tout à coup, la balance a basculé franchement d’un côté. Il ne s’agit plus d’élever par le savoir, la culture, la réflexion théorique, la prise de distance, mais d’intégrer par des mises en situation pragmatiques, des acquisitions de réflexes conditionnés portant à se conduire de façon adéquate dans la société utilitariste, économique, qui est désormais la nôtre.
Le temps des meilleurs de la classe est désormais révolu, car il n’existera aucune mesure pour seulement en évaluer l’existence. Nous serons dans une sorte de nuit où tous les chats seront gris, où l’instrument de sélection sera tordu de telle façon que la hiérarchie aura été remplacée par un étalage de compétences conformes aux contraintes de la vie en entreprise. A ce jeu, les plus conformistes, ceux qui savent se faufiler au sein d’un groupe pour occuper la meilleure place, les démerdards assez astucieux pour saisir les codes de cette vaste escroquerie, seront les mieux placés.
Déjà, le manque de remplaçants d’enseignants absents dans un nombre considérable d’établissements laisse durant des semaines, des mois, les élèves sans enseignement. A moins qu’on ne fasse appel à des contractuels sans formation. Le niveau, qui est très bas, ne risque pas de s’en relever. C’est une preuve parmi d’autres du désintérêt flagrant pour les cours « normaux » transmettant les disciplines générales. En collège, on s’est mis à organiser des stages de découverte du monde du travail. Une semaine y est consacrée. Au lycée, il est question de deux ou trois semaines. Pendant ce temps, pas de cours… On a vu d’ailleurs l’importance de ces derniers se réduire au profit d’activités dites « autonomes », en mettant ainsi la charrue avant les bœufs, les élèves reconduisant leur propre incurie de manière … autonome… quand ce ne sont pas ceux qui se débrouillent le mieux qui assurent le travail, laissant aux autres le soin de se cacher derrière leur activité. On voit à quel type d’individus nous aurons affaire plus tard… Rien à voir avec le courage et la persévérance personnels que demandent l’étude d’un texte difficile ou la résolution d’une équation, lesquelles risquent de devenir… secondaires.
On s’est gaussé il y a quelque temps de l’introduction outre Manche de l’apprentissage de la carte bleue. Encore nos médias n’y ont-ils pas tous vu matière à plaisanterie. Il faut bien préparer les futurs consommateurs. Qu’à cela ne tienne ! Nous avons nos « tournois de gestion » et « clubs de boursicoteurs » !
Visiblement, nous tendons à préparer l’avènement d’une Nation d’épiciers !
Du reste, qu’est devenue notre société ? Nos économistes bien en plateaux télé nous disent que la France s’est désindustrialisée, que l’économie des Trente glorieuses est finie, et qu’il faut appréhender sa carrière sous un tout autre angle que celui de nos parents, à savoir se former sans arrêt, se déplacer aux quatre coins de l’hexagone (comme on dit plaisamment), et se contenter de salaires fluctuant comme la bourse. Si possible, d’ailleurs, jouer à celle-ci, ou placer les quelques économies qu’un tel genre de vie interdit, pour assurer une petite retraite. Ils nous disent aussi, nos bons docteurs, que l’offre ne concerne plus que le commerce et les services. Donc, il ne restera plus que des emplois d’agents commerciaux (jetables) et de laveurs de petits vieux.
Si l’on pouvait instiller, en sus, quelque esprit bas d’avaricieux, près des sous et jaugeant son voisin comme un concurrent sur la voie dorée des dividendes, ce serait toujours cela de moins à craindre pour la paix publique. De toute façon, avec la télé…
Pour un peu, l’Ecole des années soixante semble un El dorado, avec ses hussards et leurs troupes, tendus vers une réussite qui n’était pas seulement scolaire. Il restait quelque effluve de grandeur. Ce n’est certes pas les épanchements humanitaristes actuels ou les ronds de manches anti tout ce que vous voulez en « iste » (fasciste, raciste, sexiste etc.) qui serviront à voir clair, les enseignants, pour la plupart étant aussi incultes que leurs élèves et d’ailleurs lorgnant vers le paradis consumériste.
La grandeur d’âme est ce qui permet à un individu, nécessairement porté à s’aimer soi-même, à se vouer à ce qui le rend plus généreux, au sens cornélien. Le sacrifice de son confort (matériel et intellectuel), la compréhension, ou du moins l’appréhension qu’il existe un autre monde que celui, étriqué et bas, de la satisfaction des besoins, un monde plus beau, plus noble, plus exigeant, tout cela s’est perdu dans les brumes de l’oubli. Le pire oubli est celui de l’oubli. L’Ecole de mes parents nous ouvrait, par Michelet, par les classiques, par l’apprentissage des dates importantes de notre Histoire, l’épopée de nos ancêtres.
Il est inutile de rappeler combien les pédagogues de gauche et les libéraux de droites se sont adossés les uns aux autres pour provoquer cette catastrophe. Y compris de leur point de vue, qui est déjà assez méprisable, il n’est pas sûr qu’un peuple conditionné, asservi, abêti, puisse donner sa pleine mesure en matière économique. Car même ce domaine demande des êtres imaginatifs, des caractères, des initiatives osées, originales, et une vision large, que seule la culture, à défaut d’une expérience vraie, peut apporter.
Il est donc inévitable que ce que l’on présente démagogiquement comme la solution enfin trouvée à la crise de l’Ecole, la clé qui permet de l’arrimer à la société, soit le début de la fin pour une Nation qui a connu tant d’heures de gloires (oubliées).
A moins que ce soit le but de la manœuvre…