Le 28 mai dernier, à Midnapore, au Bengale occidental, l’explosion d’une bombe occasionne le déraillement d'un train et cause cent quarante-huit victimes. L’émotion est grande dans les médias et les responsables sont rapidement identifiés, il s’agit de naxalites.
En Inde, c’est sous cet étrange nom qu’on désigne habituellement les mouvements maoïstes insurrectionnels. Cela depuis qu’en mars 1967, dans le village de Naxalbari, un groupe d’activiste du Communist Party of India Marxist fit scission pour constituer le Communist Party of India Marxist-Leninist et engager la lutte armée contre l’État et contre les classes dominantes locales.
Plus de quarante ans, et quelques dizaines de milliers de morts, plus tard, les naxalites n’ont jamais cessé le combat et, tout au contraire, depuis 2004, grâce à une aide conséquente des maoïstes népalais, ont fortement accru leur pression militaire sur l’État indien.
Dans un premier temps, sous la direction de Charu Mazumdar, parti naxalite tenta d’« organiser les paysans pour provoquer une réforme agraire par des moyens radicaux. » Après la mort de son chef charismatique, en juillet 1972, le mouvement éclata en une vingtaine de groupuscules, entraînant un journaliste de The Hindu à faire cette remarque : « Les scissions ne reposent que sur de vagues interprétations idéologiques - voire syntaxiques - des textes maoïstes et sur des conflits de personnes. Les scissions sont quasiment permanentes, ce qui est la faiblesse de ce mouvement. ». Divisés, privés en grande partie de l’aide chinoise après le décès de Mao Tsé Toung et la normalisation politique de la République populaire de Chine, les naxalites connurent alors un recul tel qu’on pu les croire disparus à jamais.
Or, il n’en était rien. Dans la clandestinités des cadres sans état d’âme s’efforcèrent de réunir les groupes dispersés et de réunifier la famille naxalite, ce qui fut en grande partie fait en 2004. Il fut alors possible pour les maoïstes d’aller de nouveau au peuple et de mener des campagnes de propagande armées auprès des plus pauvres travailleurs ruraux sans terre, des tribus aborigènes opprimées et des membres des castes inférieures. Dans le même temps, la « violence de classe » s’attaqua aux dirigeants politiques organisant des attentats terroristes contre les premiers ministres des États de l'Andhra Pradesh, du Jharkhand, du Bengale-Occidental, du Bihar, du Madhya Pradesh et du Chhattisgarh ; assassinant des officiers de police et des fonctionnaires, ainsi que les paysans qui résistaient à leur propagande, et, pour faire bonne mesure, détruisant les écoles et faisant dérailler les trains, sans oublier d’imposer à tous l’impôt révolutionnaire…
Depuis, les naxalites ont étendu leurs activités à quatorze, puis à seize des vingt-huit États indiens. La guérilla, forte d’une vingtaine de milliers de combattants, auxquels s’ajoutent quarante mille militants assurant la logistique, agit dans un véritable « corridor rouge » de quatre-vingt-douze mille kilomètres carrés allant de la frontière népalaise aux côtes du golfe du Bengale. Et New Delhi redoute le pire : une extension possible de la guérilla au Gujarat, au Rajasthan, dans l’Himachal Pradesh et au Jammu-et-Cachemire, tout en notant la volonté des insurgés d’agir dans les grands centres urbains tels Calcutta, Bombay ou Ahmedabad.
Tant et si bien que le premier ministre Manmohan Singh n’a pu s’empêcher de déclarer « Le naxalisme est le plus grand défi pour la sécurité intérieure qu’a jamais dû relever notre pays », insistant sur le fait, qu’à la différence des séparatismes du Cachemire ou des États du Nord-Est, le naxalisme veut conquérir l’ensemble du territoire indien, et qu’une solution négociée est impossible puisque les insurgés ont pour seul objectif de mener à bien une révolution.
D’où la stratégie adoptée dans les zones où agissent les guérilleros qui consiste à mener une vaste politique similaire à celle suivie par Washington lors de la guerre du Vietnam. C’est-à-dire regrouper les civils dans des « hameaux stratégiques ». De l’aveu même d’un haut gradé de la police, il s’agit, pour détruire les maquis, d’« assécher le bassin pour étouffer le poisson ». Dans le même temps, une assistance est apportée au développement de milices antiguérilla, dont la plus connue est la Salwa Judum (la « chasse purificatrice »), liée au Parti national populaire (droite hindoue). Très active dans les campagnes, idéologiquement plus facilement acceptable par les paysans et les tribus du fait de son hindouisme, elle a privé les rebelles de l’assistance, volontaire ou forcée, de la population, et ceux-ci se sont alors révélés plus aisés à combattre. Tant et si bien que Le Courrier international, dans son édition du 1 juin dernier, peut titrer « Les naxalites en mauvaise posture » et relater que « les maoïstes semblent être aujourd’hui en Inde dans une situation particulièrement inconfortable. »
On est cependant en droit de se demander combien de temps ce recul va durer, car même si les villes indiennes se couvrent de centres commerciaux ; si le parc automobile se développe rapidement et si partout sonnent les téléphones mobiles, l’Inde est toujours au 126e rang sur 186 en termes d’indice de développement humain, tandis que quatre cents millions de ses citoyens survivent avec un dollar par jour, et qu’un enfant sur deux n’y mange pas à sa faim. Ce qui fait, qu’en toute logique, il reste aux naxalites un infini potentiel de recrutement et de futurs militants.