Notre ami Jean Robin, que l’on avait connu mieux inspiré (on lui dois par exemple le remarquable La Judéomanie), à récemment publié un roman politique La Mosquée Notre-Dame de Paris (1). Œuvre de la moscovite Elena Tchoudinova, il se déroule en 2048. A cette date, la France et l’Union européenne sont soumis à la charia, et la cathédrale Notre-Dame de Paris est devenue la Mosquée Al-Franconi. Les chrétiens, réduits à la clandestinité, célèbrent la messe dans les catacombes. Ils y côtoient leurs ennemis « d'avant », les athées. Tous veulent s’emparer de l'ancienne cathédrale, les uns pour y célébrer une dernière messe, les autres pour détruire cette nouvelle mosquée. L'occasion d’agir leur en sera donnée quand ils découvriront l'intention du pouvoir islamique d'exterminer la population non-musulmane du ghetto de Paris, une information qui leur sera transmise par un espion travaillant pour la Russie, demeurée orthodoxe et libre.

Avec un tel thème, il ne faut pas s’étonner que le livre ait fait un tabac dans la blogosphère islamophobe, y recevant des louanges de mouvements, de journalistes et de personnalités en apparence antagonistes, allant de l’Association générale contre le racisme anti-français à Riposte laïque et du secrétaire-général du Parti de la France Michel Hubault au dirigeant de L’École émancipée et du Parti de gauche Jean-François Chalot. On pourrait s’en étonner si de telles convergences n’étaient pas devenues habituelles depuis quelques années (on se souviendra, entre autre, de coalitions identiques lors des affaires Chagnon et Truchelut) motivées par un commune croyance dans la thèse huntingtonienne du « choc des civilisations » .

A ce titre, le roman d’Elena Tchoudinova n’est pas innocent, il participe d’une guerre culturelle menée par les partisans de l’Occident américanocentré contre ceux d’un monde multipolaire.

Conçu et écrit pour le public russe, La Mosquée Notre-Dame de Paris est, sans ambiguïté, un ouvrage anti-Poutine. En faisant de la Russie le seul ennemi conséquent du monde musulman dans le futur, le livre joue un double rôle. Tout d’abord, il s’oppose de front à la politique étrangère de la Fédération de Russie qui est devenue, en 2003, membre de l’Organisation de la conférence islamique et qui revendique une relation privilégiée avec le monde arabe et musulman dans son ensemble. Ensuite, au niveau de la politique intérieure de la Fédération, il vise à contribuer au développement d’un nationalisme ethnique et religieux s’opposant au nationalisme d’État non-racial et laïque défendu par Poutine. On retrouve là les thèses de divers groupuscules d’extrême droite russes, grassement subventionnés par des oligarques comme Boris Berezovsky, qui considèrent les ressortissants musulmans des républiques du Caucase comme des « immigrés ». Une analyse qui a l’avantage, pour les partisans du Nouvel ordre mondial, de susciter des divisions et des affrontements potentiels au sein de la Grande Russie et donc de l’affaiblir.

Devenu objet d’exportation, le livre d’Elena Tchoudinova reste une arme idéologique. Dans un entretien au Choc du mois, l’écrivain russe précise la pensée qui l’a guidée en l’écrivant : « Un autre danger prend la relève du communisme : l’islam ». On retrouve là, presque mot pour mot, les thèses de Lake et de Lewis, développées aux États-Unis au tout début des années 1990, quand le délitement du bloc soviétique priva les USA de leur rôle de défenseurs du monde libre. Le danger était grand de voir un monde multipolaire succéder au monde bipolaire, il fallait donc inventer un adversaire de remplacement permettant à l’Amérique de garder sa place de gendarme du monde. Lake et Lewis, puis Huntington, désignèrent alors l’islam et le Département d’État passa de la thèse du « péril rouge » à celle du « péril vert »… Il est d’ailleurs symptomatique que l’édition française soit préfacée par Anne-Marie Delcambre, connue par ailleurs par son ardeur a faire connaître en France les thèses de Daniel Pipes, un néo-conservateur à la généalogie particulièrement intéressante pour ce qui nous concerne. Si son père, Richard Pipes, se fit connaître comme un soviétologue affilié au Parti républicain et soutenant des positions radicales vis-à-vis du communisme durant la Guerre froide, lui se caractérisa –alors qu’il occupait des postes de responsabilité dans la première administration (2000-2004) George Bush - par son activisme médiatique anti-musulman, anti-palestinien et anti-iranien, son appui à la guerre d’agression contre l’Irak et son soutien sans faille à l’État israélien. Le père et le fils incarnant presque de manière caricaturale le passage du « péril rouge » au « péril vert » chez les idéologues du courant néo-conservateur…

Si on peut apprécier La Mosquée Notre-Dame de Paris comme un roman d’anticipation – qui ne fait cependant que reprendre un thème déjà traité par Le Camps des saint de Jean Raspail, La Toussaint blanche de Philippe Gauthier et Poitiers demain de Philippe Randa, leurs qualités littéraires et d’intrigue en moins – on doit cependant le lire comme un texte politique et l’analyser comme une œuvre de propagande en définitive hostile à la Grande Russie et à sa renaissance impériale. Ce qui nous oblige à considérer son auteur comme un agent d’influence du Grand Occident.