La première mosquée de Suisse fut construite à Zurich, en 1963. Comme elle est surmontée d’un minaret de 18 mètres qui fait concurrence au clocher de l’église réformée voisine, elle a été fortement médiatisée ces derniers mois dans le cadre du référendum visant à interdire la construction de nouveaux minarets dans la Confédération. Alors qu’elle a fait l’objet de nombreux reportages, aucun journaliste n’a cependant songé à nous informer qu’elle était boudée par la quasi-totalité des musulmans vivant en Suisse. Pourquoi ? Parce qu’elle a été construite par des ahmadites, un sous-courant de l’islam considéré comme hérétique par les musulmans orthodoxes.

Mirza Ghulam Ahmad, le fondateur de cette quasi-secte naquit en 1835, dans un village du Punjab. A l’âge de quarante ans, il déclara être à la fois le messie des chrétiens et le madhi des musulmans, et il rassembla autour de lui, jusqu'à son décès en 1908, un nombre non négligeables de partisans qui furent nommés selon son patronymes les ahmadites (ahmadîyas = ceux d’Ahmad).

Se positionnant comme un mouvement réformateur au sein la communauté musulmane, les ahmadîyas ont mené une importante activité missionnaire tant dans le sous-continent indien, qu’en Afrique noire et que dans les pays occidentaux, ce qui fait que leurs effectifs ont régulièrement augmentés jusqu’à atteindre actuellement le nombre de 30 millions de fidèles à travers le monde. Modérés, ayant pour devise «Amour pour tous, haine envers personne», prônant l’ouverture et la bonne entente dans la société, rejetant toute interprétation agressive du Coran, les ahmadites développèrent des communautés prospères et dynamiques, et donnèrent au Pakistan un nombre non négligeable d’intellectuels de premier plan dont Zafrulla Khan qui présida l’Assemblée générale des Nations unies à partir de 1962 et Abdus Sallam, le premier musulman honoré, en 1979, du Prix Nobel de physique.

Mais la montée de l’intégrisme dans l’islam et celle, parallèle, de l’islamophobie, ont depuis fait entrer les ahmadîyas dans la zone des tempêtes.

L’Université al-Azhar ayant émis une fatwa leur niant le statut de musulman et les désignant comme des kafir (incroyants) et des mulhid (hérétiques), ils furent déclarés «non-musulmans» en 1973 par l’Organisation de la conférence islamique. Cela leur interdit de participer au pèlerinage de La Mecque. Puis, en 1979, le mouvement ahmadite fut définitivement exclu de la communauté musulmane par la Ligue islamique mondiale. La conséquence de cela fut que les ahmadîyas furent,à partir de cette date, victimes de persécutions et de vexations dans les pays musulmans où ils étaient le plus représentés (Pakistan et Bengladesh. Ils n’eurent plus le droit de nommer leurs lieux de culte des mosquées, ni d’inscrire sur les murs de ceux-ci des versets du Coran et encore moins de se dire musulmans, faute sinon d’être condamnés durement pour balsphème. En Indonésie, où leur situation était restée privilégiée, le vent a récemment tourné et plusieurs de leurs mosquées ont été incendiées depuis que le Conseil des oulémas les a qualifiés d’«hérétiques», tandis que le gouvernement leur a interdit de diffuser leur enseignement sous prétexte de «préserver l’harmonie religieuse et l’ordre public»...

A Zurich, comme dans toute l’Europe, les ahmadites pouvaient au moins appeler leurs mosquées par leur nom et les orner d’un minaret… Or, il se pourrait bien qu’ils aient là pêché par excès de confiance. Leur politique récente d’édifier d’imposantes mosquées, comme celle de Londres qui peut accueillir 10.000 croyants, a eu comme effet que les ahmadistes se sont trouvé ces dernières années au cœur de plusieurs conflits majeurs avec les populations locales. Ainsi en a-t-il été à Bradford, Malmoë, Londres et Berlin, où de très fortes oppositions se sont manifestées pour s’opposer à la construction de leurs lieux de culte.

Les choses se sont, jusqu’à maintenant, terminées à leur avantage. Mais ce fut l’occasion pour eux de comprendre qu’il ne suffit pas, pour se faire accepter en terre d’Europe, de promouvoir un islam soft. Encore faut-il le faire avec un minimum de discrétion.