Une problématique contemporaine fondamentale : la dissociation esthétique ; éthique ; politique ; rhétorique
L'une des problématiques les plus prégnantes du monde contemporain a été repérée, identifiée par quelques auteurs. Elle n'est pas constituée en question politique diffusée et discutée publiquement.
L'esthétisation générale de la vie quotidienne dans les pays capitalistes avancés est un fait massif. Le plus important aujourd'hui n'est peut être pas d'en faire l'histoire (la plus courte et la plus fulgurante des histoires !) ou d'en rechercher la causalité lointaine (recherche de surprofits induisant une surconsommation névrotique définitive, diraient par exemple certains).
L'esthétisation généralisée constitue une problématique transversale ayant pu être étudiée par les différentes sciences constituées : l'économie politique, la psychiatrie, la philosophie, notamment. Le drame de l'esthétisation a été aussi repéré de manière plus discrète, plus incisive et plus lapidaire par quelques très rares écrivains et poètes ayant nommé "la phénolisation de la vie par l'art moderne" ou "les fausses fleurs de l'art".
Plus généralement dans la société française contemporaine :
-les petites gens résistent implicitement à l'esthétisation généralisée : ils perçoivent implicitement que l'entrée en esthétisme constitue un changement complet de régime mental et affectif : entrée dans l'individualisme définitif, dans la concurrence dérisoire des objets et des modes, perte du bon sens, hystérisation et bavardage définitifs ;
-la nouvelle bourgeoisie et la nouvelle petite bourgeoisie sont les producteurs et les diffuseurs de cette esthétique généralisée ; c'est dans ce groupe devenu hégémonique que s'élabore le bavardage artistique et culturel dont le flux harassant recouvre désormais toute parole proprement humaine, toute parole ayant une épaisseur éthique et politique ;
-l'ancienne bourgeoisie française est restée hors de ces débats plus par égoïsme et incapacité à appréhender les nouveaux enjeux du monde que par neutralité, dépassée par une mondialisation qui va l'exclure très vite et définitivement des éléments politiques vivants.
A ma connaissance, le drame de l'esthétisation générale du monde civilisé n'est appréhendé et compris sérieusement par aucun parti politique, par aucun groupe de réflexion.
Il a donc été traité comme il convenait de le faire, avec force et cohérence, par de très rares univertaires ou intellectuels. mais leurs travaux dispersés, prenant des formes très diverses, de l'ouvrage d'élaboration conceptuelle au pamphlet, n'a pas permis de constituer une force pratique d'opposition et de résistance à l'harassement artistique.
Enfin, la problématique de l'esthétisation est sous jacente dans l'esprit de ceux, trop rares, qui ont compris la perte d'humanité définitive que constitue la généralisation galopante de la mentalité dite "bourgeoise bohème" et qu'il faudrait dire "schizoïde glacée".
On pose que l'esthétisme est producteur d"une immense souffrance mentale indicible et peu identifiée. Ii y a là un gigantesque champ d'étude et d'action pour des personnes cultivées n'ayant pas totalement désespéré de l'esprit humain.
Plus généralement, l'esthétisme et la perte de la parole vraie constituent les deux faces d"un même processus historique promis à un bel avenir s'il n'est pas constitué publiquement en place des problématiques politiques anachroniques et anecdotiques qui captent encore l'attention des meilleurs esprits de ce temps.
Mais il y a ceci : on ne combat pas avec efficience l'esthétisation généralisée, l'art glacé et cynique de cette époque et son bavardage harassant avec un discours logique, rationnel de type éthique ou même politique. L'esthétique glacée joue en gros sur la fascination et la provocation, et ce n'est que par un surcroit d'esthétique maïtrisé et conscient que l'on peut faire une brèche dans l'unanimité hallucinée qui se fait autour des oeuvres glacées et mortifères.
On combat l'esthétisation généralisée par un langage "poétique", un haut langage ayant compris logiquement la problématique de l'art glacé et de la perte de parole qui en résulte mais intégrant, surplombant et dépassant cette compréhension, c'est à dire la stylisant dans un ordre supérieur de parole. Restituant ainsi la parole perdue. Un langage poétique n'est pas un langage naîf et on soulignera que la figure de pensée la plus générale qui permet de dissoudre les situations mentales indurées, vitrifiées est classiquement l'ironie.
On la combat, finalement par le haut langage de ceux qui ayant compris la perte d'humanité, le tarissement mental que constitue la voie unilatérale de l'esthétisme se sont aussi rendus capables de styliser ce drame inattendu : le conflit de l'objet glacé et de la parole humaine.