Des fortunes toujours aussi anonymes que vagabondes
Qui veut gagner des milliards ? – animé par Jérôme Kerviel et produit par la Société générale – est un spectacle où l’on trouve tous les ingrédients d’un solide thriller financier comme les scénaristes américains savent habituellement si bien faire, mieux en tout cas que leurs confrères français, à l’exception notoire des best-sellers d’antan signés Paul-Loup Sulitzer.
Une semaine qu’il tient l’affiche, occultant complètement la campagne pour les élections municipales et les marivaudages élyséens et faisant oublier les frustrations tabagiques… C’est à peine si la révolte des taxis en passe d’être ruinés nous en a distrait quelques heures hier : qu’est-ce, en effet, qu’une licence achetée jusqu’à 180 000 euros par des besogneux voulant échapper au chômage et qui ne vaudra bientôt plus rien grâce à monsieur Attali, alors que dans le même temps on parle d’opérations financières de 50 milliards et une perte de 5 et même 7 milliards si on ajoute les dégâts dans la crise des « subprime » aux États-Unis ?
Et quel suspense ! La Société générale est-elle menacée de faillite, d’OPA, bien « qu’elle dégagerait un bénéfice net entre 600 et 800 millions d’euros en 2007, malgré des pertes de près de 7 milliards d’euros » ? On en frémit, même si on ne voit pas très bien le dépôt de bilan à l’ordre du jour depuis que son Pdg Daniel Bouton a affirmé que la banque pouvait rester indépendante, « puisque les capitaux sont là » et qu’elle est toujours « bénéficiaire », malgré la « perte considérable » subie.
Perte d’ailleurs qui ne touche en fait que les actionnaires de cette société ; ceux-ci devront se serrer la ceinture. Certes, c’est bien du malheur, mais c’est le lot de tous les actionnaires… Que de simples clients d’agence de la Société Générale puissent se demander « s’ils ne sont pas ruinés » et que Daniel Bouton assure avec sérieux qu’il est « extrêmement déterminé (...) à ce que cette affaire n’ait pas de conséquences pour (ses) clients et (ses) personnels » est parler pour ne rien dire, mais ses conseillers en communication ont dû le convaincre avec raison que ça ferait toujours bien dans le décor.
Aujourd’hui, le trader Jérôme Kerviel, décrit par les uns comme un « génie », par d’autres comme un « crétin irresponsable » – l’un n’empêchant pas l’autre –, est mis en examen, c’est la moindre des choses, mais se défend en indiquant que ses agissements étaient parfaitement connus de sa direction, qu’il lui avait fait gagner beaucoup d’argent dans le passé avec de telles pratiques.
« Pas vu, pas pris : pris, pendu ! » aurait été, à le croire, la philosophie de la banque, mais cette philosophie, somme toute, se pratique depuis la nuit des temps…
C’est à la Justice désormais de démêler le vrai du faux dans les déclarations des uns et des autres et les responsabilités et complicités de chacun… si tant est qu’on connaisse désormais tous les protagonistes de l’affaire. Tous ? Il en manque au moins un : si la société générale a perdu 5 milliards, quelqu’un les a forcément gagnés ?
On a beau chercher dans tous les rebondissements quotidiens de ce show bancaire depuis qu’il a éclaté le 24 janvier dernier, personne ne semble s’être encore inquiété du ou des bénéficiaire(s) des pertes de la Société générale.
Le plus scandaleux de cette affaire serait sans doute qu’on ne le sache jamais. Scandaleux et plus encore inquiétant. Bien davantage que le sort à venir des Kerviel et autre Bouton et de leurs sordides règlements de comptes entre requins de fortunes toujours aussi anonymes que vagabonde…