Dans le Var, nouvelle journée de rencontre pour les anti-FN
Les comités de vigilance contre le Front national se sont retrouvés pour la deuxième fois, dimanche, dans le but d'organiser la défense et l'attaque contre l'extrême droite.
Les plus lointains débarquent d’Hayange (Moselle) ou de Béziers (Hérault), mais la plupart des militants sont venus en voisins sudistes. Ce dimanche, la commune de Grimaud, près de Cogolin, accueillait la deuxième journée de Rassemblement national des comités de vigilance contre le Front national. Initié en 2014 par l’Union des étudiants juifs de France, SOS Racisme et Place publique après les élections municipales, ce collectif entend mettre en réseau les différentes associations citoyennes mises en place dans les villes FN afin de partager les expériences et trouver des armes communes.
La lutte n’a pourtant mobilisé qu’une centaine de personnes ce dimanche matin, dans la salle municipale prêtée par la ville. La concurrence du soleil et du samedi soir a aussi emporté les plus jeunes, peu nombreux dans l’assemblée… Mais chaque collectif local a tout de même envoyé des soldats à la tribune où, durant une matinée, ils ont raconté leur quotidien militant.
Outrances idéologiques à Béziers, opacité des décisions au Luc (Var), clientélisme à Fréjus et, partout, coupes de subventions, politique sécuritaire, stigmatisation des plus pauvres… Certains élus agissent plus bruyamment que d’autres, comme Robert Ménard à Béziers. «Il a fait de la ville un labo, il teste l’esprit et les instances républicaines, assure Christophe Coquemont, président de l’Union citoyenne humaniste Jean-Moulin. Il installe une crèche dans la mairie, fait la promotion des armes et du vin sur des affiches… Faites attention, ce qui se passe à Béziers va arriver chez vous !» Ailleurs, après un an de gestion, c’est surtout la prudence des édiles qui est soulignée. «La politique discriminatoire se trame de façon subtile, note Francis José-Maria, de Place publique-Cogolin. Mais dans la peau du renard, le loup est bien présent. Et, parfois, il ressort.» Comme lorsque le maire recrute un activiste identitaire pour sa communication, avant de revenir sur sa décision. Pour Elsa Di Méo, candidate PS à Fréjus lors des dernières municipales – l’une des rares politiques à s’être invités au débat –, c’est sur ce front qu’il faut se concentrer : «Le marqueur le plus important, c’est de montrer en quoi ces villes ont une gestion municipale idéologisée.»
C’est là tout l’objet des discussions de l’après-midi : combattre, mais avec quelles armes ? Taper sur le fond ou sur la forme ? Le politologue Jean-Yves Camus, invité de la journée, a tranché : «Les élus frontistes ont l’expérience de la manière désastreuse dont ont été gérées les municipalités dans les années 90. Les décisions locales sont plus terre à terre et offrent moins de prise à la critique. Le socle idéologique est le même, mais la façon de le présenter a profondément évolué. Nous devons adapter le langage à ce qu’est le FN aujourd’hui, réévaluer la manière dont nous l’assimilons au fascisme. Car on n’est plus audible là-dessus.» Sa méthode : s’attacher plutôt à passer au crible l’ensemble des décisions municipales, s’intéresser aux finances, attaquer en justice : «A défaut d’inverser la tendance, cela permettra de la ralentir.»
Un document commun recensant le contenu de ces débats sera d’ailleurs prochainement mis en ligne sur un site des comités de vigilance (actuellement en construction) afin de partager ces idées. D’ici là, passage en revue des armes les plus efficaces testées et éprouvées par les militants.
Multiplier les offensives sur les documents administratifs
C’est l’arme la plus partagée dans les différentes municipalités FN. Les associations de citoyens et les partis politiques ont multiplié les recours depuis un an sur différents fronts, attaquant à la fois les propos discriminatoires tenus par les élus FN que les décisions prises par les municipalités. A Hayange, par exemple, l’association Plus belle ma ville a recensé entre 30 et 40 procédures en cours, depuis celles menées par l’ancienne première adjointe en passant par celle des syndicats municipaux. A Béziers, plusieurs actions ont été entreprises par la Ligue des droits de l’homme et d’autres associations citoyennes sur différents dossiers : l’exclusion des enfants de chômeurs du temps d’accueil périscolaire, couvre-feu décrété par la municipalité pour les mineurs, installation d’une crèche dans la mairie… Des recours devant le tribunal administratif qui ne devraient pas aboutir avant plusieurs mois. «L’une de nos préoccupations, c’est de multiplier les actions judiciaires en ayant des relais nationaux qui nous procurent des experts», note Cyril Hennion, vice-président de l’Union citoyenne humaniste Jean-Moulin.
Pour Jean-Yves Camus, la victoire passe par un examen systématique de tous les documents émis par la mairie, notamment ceux votés en conseil municipal : «C’est une arme de guérilla politique extrêmement usante pour l’adversaire. Et à défaut d’inverser la tendance, cela permettra de la ralentir.» A Cogolin, c’est la stratégie que suit Place publique. «On participe à tous les conseils municipaux, explique Francis José-Maria, le président de l’association citoyenne. On analyse toutes les décisions et, ainsi, on a permis de faire reculer le maire sur une dizaine de dossiers. Récemment, on a constaté que la municipalité avait passé un contrat avec une société d’audit fiscal sans passer par un appel d’offres. On a écrit au préfet pour le signaler et comme le maire est très prudent, il a fait marche arrière.» Nouveau dossier sur lequel planche l’équipe : une affaire de modification du plan local d’urbanisme qui serait non conforme. L’association a annoncé qu’elle allait saisir le tribunal administratif sur ce sujet. «Tout cela nécessite des compétences juridiques ou techniques, souligne Francis José-Maria. Il faut parfois aller les chercher à l’extérieur, on essaie de trouver dans notre réseau.» D’autres, à Béziers, tentent de constituer des réseaux nationaux pour, justement, mutualiser les expertises.
Se repositionner sur le front des mots
N’est pas Robert Ménard qui veut, les autres élus d’extrême droite essaient d’éviter les sorties médiatiques trop hasardeuses. Ce qui rend le travail des associations plus complexes. Comment dénoncer une gestion municipale qui se veut raisonnable, comment mobiliser des citoyens déçus par les promesses des autres partis ? «Il faut adapter les termes face à des habitants qui ne verront jamais en la municipalité qui refait les espaces verts les représentants du fascisme», explique Jean-Yves Camus. Pour lui, il ne faut pas porter le débat sur les grandes questions nationales qui n’intéressent pas les gens, mais plutôt s’attacher à décrypter les actions au quotidien : «Le FN a été élu sur des questions locales, il doit être combattu sur des questions locales. Il faut d’abord parler du déséquilibre de leur budget, de la bétonisation du littoral qu’il envisage, des compétences discutables des prestataires embauchés… C’est une façon de montrer aux habitants que le professionnalisme qu’ils attendent n’est pas là.» Les partis politiques, aussi, doivent revoir leur copie. «Ils doivent prendre à bras-le-corps la formation de leurs militants, insiste Jean-Yves Camus. On n’est plus dans les années 90, on ne peut plus mobiliser des milliers de personnes lors d’une manifestation. Il faut plutôt être dans un travail de précision sur le fond.»
Planifier la contre-offensive
Face aux discours parfois difficilement audibles des militants, Pierre-Yves Bulteau prône la mise en œuvre de solutions concrètes pour contrecarrer l’idéologie frontiste. «Il ne suffit pas de déconstruire ce qu’il y a en face, il faut porter un projet», plaide ce journaliste auteur du livre En finir avec les idées fausses propagées par l’extrême droite, qui animait ce dimanche un atelier de réflexions. Exemple à Norrent-Fontes, une ville du Pas-de-Calais, où des habitants ont mis en place le «réseau des élus hospitaliers» pour répondre aux discours très crispés sur les migrants en partance pour l’Angleterre qui transitent par la région. «Les douches municipales ont été ouvertes, le boulanger a donné son pain, le médecin est allé consulter les malades… C’est une démarche humaniste, mais pour convaincre ailleurs, il faut surtout souligner le caractère très pragmatique de cette décision. Cela permet aussi à la situation de ne pas dégénérer, les habitants y gagnent aussi.»
Au-delà des actions ponctuelles, la victoire finale passe forcément par la mobilisation des abstentionnistes. Sur ce point, les militants semblent un peu démunis. Pierre-Yves Bulteau manque aussi d’arguments, mais rappelle tout de même le cas du cordon sanitaire belge : «Pour lutter contre une extrême droite qui était très forte, les autorités ont mis en place le vote obligatoire. De plus, les éditorialistes et les responsables des principaux partis politiques ont pris la responsabilité de ne plus donner la parole au FN ou de ne plus débattre avec ses dirigeants. Conséquence, quand on assèche la propagande, on asphyxie le mouvement.» Plus largement, il invite les militants à s’emparer des réseaux sociaux pour «rattraper leur retard sur la fachosphère» qui, elle, inonde les articles de presse de commentaires.