L'identité française à la moulinette parolière
Sarkozy, au chevet d’une agriculture française moribonde, a évoqué la place essentielle prise par la paysannerie dans la formation historique de la conscience nationale. Ces propos ont suscité l’ire de la Confédération paysanne, qui y a vu des remugles pétainistes.
Ces prises de positions relèvent de la grande opération électoraliste sur la notion d’identité nationale, programmée par le gouverneur du protectorat encore appelé « France » (pointe avancée de l’Eurasie, jadis vouée au jardinage à grande échelle, maintenant adonnée à la sous-traitance financière et militaire au profit de la puissance américain, et subsidiairement aux emplois d’aide à la personne et autres activités domestiques…), et pilotée par le renégat Eric Besson, lequel, comme tous les convertis récents, met toute la gomme pour cracher à la gueule de ses anciennes convictions et de ses petits ex.
Quand on connaît l’énergie mise par le pouvoir mondialisant qui s’est installé en France au moins depuis les années 70, et qui, de président en président, accélère le déracinement identitaire de la France, encourageant par la tartufferie, la propagande ou la force du fait accompli l’amnésie collective (au profit d’une hypermnésie sélective et orientée), quand on a en mémoire la destruction de l’enseignement patrimonial, culturel, historique de la nation, l’abandon cynique et jubilatoire à la sous-culture anglo-saxonne, à sa langue, à ses valeurs, à ses habitus, la valorisation de l’utopie globalisante, qui noie l’individu dans une soupe euphorisante, gluante de bons sentiments, et corrosive pour l’intelligence et le caractère, le détricotage systématique de tout le réseau de solidarités qui liait les membres de la communauté française, pour les livrer à la loi sans morale de l’argent, on a de quoi être sceptique devant les ronds de manches de l’acteur cabotin qu’est le mari de Carla.
Il n’y a guère que la gauche pour croire à ces effets de mauvaise rhétorique.
Il est vrai que dans ce numéro de cirque qui passe pour l’exercice normal de la démocratie, l’opposition, du moins son reliquat, joue le rôle de l’Auguste face au Clown blanc.
Il fera rire les enfants, qui, comme on le sait depuis Andersen, savent voir la nudité des rois, contrairement aux demi savants et aux arrivistes.
La Confédération paysanne a donc perdu là une bonne occasion de justifier l’adjectif qualificatif qui lui donnerait pourtant sa raison d’être. Laisserait-elle supposer que son lien à la terre ne serait que fonctionnel, économique ? Pourquoi alors louer les Indiens du Chiapas, les paysans africains et tous les damnés de la glèbe ? Est-ce parce qu’ils sont exploités ? Est-ce parce qu’ils symbolisent la résistance au désordre libéral et oligarchique transnational ? Est-ce parce que les sociétés agraires de ces contrées sont marquées par un esprit solidaire, voire collectiviste ? Mais par quel fondement tout cela tient-il, tenait-il, sur une terre ingrate mais humaine ? Pourquoi ces peuples sont-ils encore si attachés à leurs coutumes, à leurs cultes, souvent paiens, à leurs costumes, à leurs chants, à leurs dialectes ? Ne serait-ce pas parce qu’ils partagent le sentiment crucial de leur identité propre, et que celle-ci est une part essentielle de leur être, donc de leur rapport à la terre ? Pourquoi ce qui est vérité au-delà des océans serait-il mensonge en deçà ? Pourquoi nier l’évidence, que la paysannerie, depuis l’époque celte, a servi de socle à ce que nous somme devenus dans l’Histoire ? La plupart des traits qui ont formé la mentalité dite française viennent de la terre, y compris l’ethos aristocratique. Elle s’est forgée dans l’effort, dans une sorte de patience stoïque face aux caprices de la nature et l’éternel recommencement du même, face au cercle des saisons qui roulaient comme la rouelle, elle s’est nourrie des secrets de la forêt, des craintes d’un outre-monde puissant et pénétrant, lien très fort avec les sources, les lieux, les morts, les saints, que le catholicisme a longtemps gardé des Celtes avant qu’il ne devînt, il y a peu, une nouvelle déclinaison du protestantisme, elle s’est enchantée, avec ses poètes, du ramage des oiseaux et de l’ombre des arbres, avec ses peintres, des lignes paysagères méthodiquement tracées dans le sauvage chaos des selves, elle s’est donnée, cœur et sang, aux enthousiasmes guerriers, sans barguigner, des Croisades aux tranchées de Verdun, de Bouvines à Austerlitz, elle s’est préparée à la mort des mortels en savourant les délices du travail humain, en goûtant les nourritures terrestres, les trésors culinaires du terroir, qui ont apporté la joie aux humbles et aux princes, joie de bouche qui n’est parfois pas éloignée de celle de l’âme.
Le véritable génocide du 20ème siècle est celui d’une paysannerie qui est passée plus de la moitié de la population à la fin du 19ème siècle à moins de 4% maintenant. Et ce ne sont pas seulement les hommes qui ont laissé leurs chaumières pour les HLM et la viande aux hormones. C’est toute leur mémoire, leur rapport au monde, les gestes, réflexes, sensations, sentiments, représentations qui l’accompagnaient et faisaient d’eux un peuple singulier, dont on pouvait étudier la richesse extraordinaire de la Bretagne au Roussillon.
N’est restée de la France que l’ombre d’un Etat qui s’est imposé par la ruse et la force.
Non sans complicité de la part de ceux dont l’esprit était dépouillé, il faut bien le reconnaître. Les familles nombreuses d’Auvergne, du Périgord, de Bretagne, clouées à leur misère, ne pouvaient qu’être attirées, télévision, chemin de fer et salles de bain aidant, par le confort des trente glorieuses. Et les paysans qui subsistent sont maintenant des entrepreneurs agricoles.
Ce n’est là somme toute qu’un aspect de la décadence.
On ne s’étonnera donc pas que la vérité historique ne soit pas abordée, et ne finisse par ressembler à une farine gâtée par la mauvaise foi. La moulinette à paroles est d’une certaine façon l’allégorie de la machine démocratique.
En fait, tout ce beau monde est d’accord, mondialistes libéraux de droite, internationalistes d’extrême gauche, et mondialo-internationalistes de la gauche qu’on n’ose plus appelée traditionnelle. La phraséologique universaliste des Lumières se marie, pacs ou non, intimement à la haine capitaliste des racines.
Dans une société qui en a fini avec les principes (au sens littéral, premier dans le temps et dans la hiérarchie des valeurs), dont l’identité se jauge à l’aune d’un te short ou des préférences publicitaires, consuméristes ou aliénantes, un débat sur l’identité nationale paraît non seulement superfétatoire (sauf à vouloir créer une polémique artificielle visant à occulter les vrais problèmes, qui sont d’ordre sociaux et géopolitiques), mais sert, bien évidemment, à dévitaliser le sursaut apparent du Front national.
Il me semble que la question identitaire est bien sûr primordiale, mais à condition de poser efficacement ses termes.
La Nation française, historiquement, ne recoupe pas dans les faits l’être du peuple que l’on a appelé « français ». La confusion naît de cette rencontre entre un Etat structuré, possédant une logique intrinsèque de pouvoir et d’arraisonnement de la société, et un agglomérat de communautés diverses, ayant leur propre identité linguistique et sociétale.
Il ne s’agit pas de refaire l’Histoire. Si l’on pense l’institution de la nation française de façon généalogique, dans la diachronie de son devenir, de son essence, et non dans la superficialité syntagmatique des déclarations idéologiquement pures, comme le font les historiens qui dénient à celle-ci son existence en deçà de la date fatidique de la Révolution, on peut remonter bien loin. En fait, les traits spécifiques qui nous constituent appartiennent à un ensemble de sources disparates et difficilement dissociables, dans ce chaudron alchimique qui est devenu ce pays qui a fortement marqué de son empreinte l’Histoire humaine (il n’existe pas, par exemple dans la deuxième moitié du 17ème siècle, une densité d’écrivains de génie aussi importante, sinon sous le règne de l’Empereur Auguste. Sans parler des autres périodes de notre Histoire. Nos enfants en sont-ils conscients ?).
Finalement, l’Etat français, capétien notamment, n’a fait ni plus ni moins que la République romaine, qui a imposé sa langue, ses institutions, en partie ses moeurs, à des peuples qu’elle a vaincus et avalés, et qui se trouvaient d’ailleurs dans une proximité de cousinage facilitant cette acculturation, ces ethnies dont l’esprit appartient surtout aux terroirs travaillés de génération en génération, plus qu’à des dialectes parfois résiduels.
Cependant, l’Etat romain avait en face de lui des barbares, encore inaptes à constituer un Etat, et l’Empire parthe, qui instaurait un partage équilibrant du monde, un peu comme l’avait été la Guerre froide. Rien à voir avec l’effet dissolvant de la marchandise universelle, qui transforme tout chat en ombre noire, sinon peut-être la vision judéo-chrétienne, pour laquelle il n’existe plus, aux yeux de Dieu, ni Grec, ni romain, ni esclave, ni métèque. Sa victoire, sous Constantin, laissa présager l’avenir du monde.
Car on voit par là combien, cette dernière weltanschauung s’étant, dans le calvinisme, fondue avec la nouvelle donne mondialiste engendrée, à la Renaissance, par l’élargissement moderne du monde, toute identité courut des risques de se diluer.
Cette catastrophe était-elle fatale ?
Faut-il pour autant capituler ? L’idée européenne, si elle est viable, doit-elle abolir l’identité française ?
A mon sens, je vois celle-ci comme une heureuse union entre la rigueur et la clarté juridique humanistique romaine, et la folie poétique des Celtes. D’un côté le grand intendant, de l’autre l’écrivain et, dans l’art militaire, la furia francese, comme une synthèse.
Et la grandeur partout.
Qu’est-ce qu’être français ? Tout simplement avoir le sens de la grandeur. Louis XIV, Condé, Napoléon, Roland, Stendhal, Corneille… c’est tout un, pour moi, et singulièrement la langue pour dire cela.
La langue française, c’est l’histoire française, ses paysages, ses sensations, émotions, pensées, son art de vivre, d’aimer et de mourir.
Enlevez la langue française, vous arrachez l’âme française. L’Union européenne actuelle, qui a opté pour l’anglais, est une machine à détruire les langues.
Là où demeure la langue, demeure l’être.