S’il y a une leçon à tirer de la mort de sœur Emmanuelle, c’est manifestement que la charité conserve. L’abbé Pierre était déjà passé de vie à trépas à un âge vétérotestamentaire. L’égérie des déchetteries égyptiennes a consommé allègrement son siècle avant de tirer la révérence. Voilà un argument publicitaire que l’Eglise devrait exploiter pour toucher des masses en peine de vieillissement. La foi, ou l’éternelle jeunesse ! Elle péta le feu jusqu’à son dernier souffle !
Regardez Ingrid : elle aussi semble planer. Elle aussi paraît invulnérable.
Et nul doute que Lady Di eût parcouru un long chemin médiatique si elle n’avait eu un faible, bien humain, pour la bouteille et la vitesse. Qu’importe : elle est devenue martyr…
Il faut dire que la religiosité est à la mode. Nous avons, en France, notre saint Louis, boutefeu télémaniaque, un micro dans une main, dans l’autre une croix, enseignant sous sa caméra le bon choix moral, aspergé d’eau bénite, champion de la Jérusalem éternelle et probablement aspirant à une mort sainte, contre les infidèles, en Afghanistan ou dans quelque autre pays de croisade.
L’homme ne vit pas que de placements.
Les journalistes l’ont bien compris, qui se contrefichent en général du bon dieu, de ses saints, des conciles (sauf, vaguement, de Vatican II), des ecclésiastiques (sauf quand ils sont mariés, homos, pédophiles, ou quand ils préconisent, au grand dam du pape, la capote ou la pilule). Dans une société qui n’a plus aucune idée de ce que peuvent être le salut ou l’existence d’une vie autre (la vraie vie est ailleurs), le supplément d’âme dont le monde aura toujours besoin prend des accents pleurnichards, surtout quand ils accompagnent des images d’enfants haillonneux à la peau sombre, au milieu d’un tas d’ordures, et que leurs parents sourient (ah ! les braves gens !) devant les gestes, immortalisés par les caméras, de la future sainte (on trouvera quelque miracle). Les pauvres… Cela nous renvoie, comme un rot lointain, des souvenirs saint sulpiciens, des fumets médiévaux tirés d’antiques feux désormais éteints, des images floues croisées dans les livrets catéchistiques de l’enfance… Cela nous change des sigles froids et impersonnels comme R.M.I., R.S.A., S.D.F…. Pauvres, cela fleure une dualité bienvenue, le Bien, le Mal, les Innocents, le sacrifice. Sœur Emmanuelle, c’est la Divine. Pas moins. Il ne manque plus que le nimbe.
Il ne faut d’ailleurs pas médire de la médiatisation, que l’Eglise a toujours pratiquée. L’émotion s’engouffre dans les canaux télévisuels et se déverse dans les salles à manger, à grands déglutis qui étouffent les gosiers farcis de pâtes et de soda. Entre des jeunes hilares et sautillants, qui poussent la chansonnette métissée, et des vieillards gaillards, qui veulent ressembler aux jeunes hilares, entre les rassemblements festifs dans les stades et la geste compassionnelle dans les favelas, les Eglises ont compris quel parti elles pouvaient tirer des nouveaux outils de communication.
Cela ne va pas sans quelque cabotinage et une dose certaine de posture, comme nous l’ont montré à satiété l’abbé Pierre (ah ! quelle grande gueule !) et sœur Emmanuelle (ah ! elle avait son franc-parler !). Cette dernière ne manquait pas, d’ailleurs, de professionnalisme médiatique, elle qui aura des obsèques simples, austères, sous le regard obscène des caméras. Et son message posthume est un coup de génie : plusieurs jours après sa mort, elle parlait encore. Y a-t-il plus christique ?
Evidemment, la dénonciation du libéralisme mondialisé, qui détruit aussi bien en France qu’en Egypte les liens sociaux, les racines, le tissu économique, n’apparaît que rarement dans le scénario. Quelque discours papal erratique, de ci, de là… ça ne bouffe pas d’hostie… Il faut bien rappeler parfois les fondamentaux. Du moment que le clergé yankee continue à payer, il n’y a pas le feu au Vatican…
Et puis, la langue de bois est de celle dont on fait les meilleurs bûchers…
Que voulez-vous : les pauvres, on les aura toujours. C’est un fonds de commerce pour ainsi dire éternel.