Les grèves coûtent cher. C’est Monsieur Prud’homme qui s’en lamente. Vieille antienne de la droite bourgeoise, et des pleureuses d’un Etat voyou… Comme si les temps n’avaient pas changé, et que la gauche, tout aussi vieille, apeurait les patrons…
Mais les déséquilibres financiers ne sont rien à côté des déséquilibres autrement plus profonds qu’a provoqués notre société matérialiste, gangrénée par la manie calculatrice et la jouissance matérialiste, qui ont toutes deux infantilisé les vieillards et vieilli les adolescents. C’est à cela qu’on reconnaît la décadence, lorsque les détails l’emportent sur la hauteur de vue, et que la puérilité casanière trouve ses adjuvants dans les peurs d’épiciers. Ne nous affolons pas : syndicats et patrons s’entendent fort à sacrifier quelques sous (qui ne sont rien à côté des masses brassées journellement par la finance : quelques jours de crise valent cent grèves, et Madoff ne me contredira pas). Ils s’accordent comme larrons en foire. La rhétorique du bolchevik ennemi de sa patrie n’est plus de mise : ils sont TOUS les ennemis de leur patrie, les politiciens, patrons, consommateurs compris. Chacun a son porte-monnaie en lieu et place du cerveau (et ne parlons pas du cœur…). Alors, évaluer les pertes et les gains ne veut plus rien dire. S’occupait-on de la vaisselle brisée sur le Titanic en train de sombrer ? Il faudrait plutôt une jeunesse qui n’ait pas froid aux yeux, une jeunesse forte, un brin barbare, et qui ne craigne pas les dégâts, le prix à payer pour avoir une destinée. Où se trouve cette jeunesse ? Dans ses projections sur la retraite et, partant, sur sa vieillesse annoncée ?
C’est phagocyter bien rapidement l’éternité qui s’ouvre entre les deux rives, des aventures heureuses qui s’offrent à ceux qui veulent saisir les heures étincelantes de l’existence. A trop anticiper, on vieillit prématurément. Savoir compter sur ses doigts sied à celui qui voit la mort pointer à pas furtifs. Pour celui qui n’a pas encore vingt ans, ou à peine, la disparition du corps n’est qu’une hypothèse. Il est temps de gaspiller, d’agir, de rêver, de faire des erreurs, et de laisser déborder le trop plein de rage et de haine contre un système hypocrite, vénal, lâche et trompeur. La jeunesse déteste à juste titre le mensonge. Tout maintenant pue la tricherie, la mauvaise comédie produite par de médiocres histrions, et suinte les mélancolies orgiaques d’oligarques fatigués. Balayer cela, c’est salubrité humaine. C’est retrouver la geste du chevalier, du héros antique, du révolté romantique, c’est retrouver le graal égaré quelque part derrière les murs des boutiques ternes, derrière le mur sinistre de Wall Street. Révolte ! Rébellion ! Inutile de compter : c’est épicier. La dépense n’est rien. Cette société ne mérite pas de subsister : elle est laide, bête, ignoble.
La jeunesse française n’a pas à sauver le système, l’ordre établi, la domination des banques et du mensonge, car cet ordre, c’est la mort. Mort donc à la mort !
« Le chaos est plus favorable à l’évolution que l’ordre. » Ernst von Salomon ; Les Réprouvés.