Moi, j’aurais voté pour Ralph Nader...
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03/11/04 |
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6.09 t.u. |
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Christian Bouchet |
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Ces derniers jours, rares sont les hommes politiques, petits ou grands, qui n’ont pas sacrifié au ridicule de déclarer pour qui ils voteraient, de Kerry ou de Bush, s’ils avaient « l’honneur » d’être des citoyens américains. Même Alain Sanders dans Présent a cru indispensable de faire une virulente campagne pro-Bush et anti-Kerry. Ce faisant, notre ami national-catholique était, comme à l’habitude, un peu isolé, car de la drauche à la goite, de l’UDS au PF, tous déclaraient « voter » pour Kerry. Les pro-Bush étant la grande exception.
En dehors de ce choix quasi-imposé, je n’ai pas entendu une voix discordante. Tant et si bien que la plupart des Français ignorent qu’il y avait plus de deux candidats et que le plus intéressant n’était pas, bien sur, George Bush ou John Kerry, mais Ralph Nader.
Or tout a été fait pour qu’il ne se présente pas et pour qu’on parle le moins possible de lui tant aux USA qu’en dehors des states.
A défaut d’être la plus grande démocratie du monde, les Etats-Unis entendent bien rester la plus grande ploutocratie et les hiérarques des partis républicains et démocrates, pour une fois d’accord, ont tout fait pour que l’élection présidentielle soit la moins ouverte possible et pour quelle soit au maximum réservée aux candidats sélectionnés par le gros argent.
Il n’est un secret pour personne que les deux « grands » partis sont liés aux mêmes multinationales qui investissent des sommes colossales à parts quasi-égales sur les candidats des deux camps pour être certains de récupérer leurs mises après les élections, l'argent investi étant restitué aux généreux donateurs sous forme de subventions. En 2000, plus de trois milliards de dollars ont été dépensés dans les campagnes (présidentielle, sénatoriale et du Congrès), sans compter les frais d'avocats dans la bataille post-électorale. Ralph Nader décrit le système politique américain comme « deux partis qui se combattent férocement pour voir qui ira à la Maison Blanche prendre les ordres de ses donateurs. »
Comme il ne faudrait pas que l’exercice de la démocratie puisse déregler le fonctionnement de la ploutocratie, de nouvelles lois sont élaborées régulièrement par les deux partis hégémoniques pour empêcher l'émergence de nouvelles forces politiques. Obtenir le nombre de signatures nécessaires pour se présenter dans chaque Etat représente un véritable parcours du combattant. Il en faut plusieurs dizaine de milliers et des recours juridiques - longs et coûteux - sont systématiquement intentés pour vérifier leur véracité. Quand ils ne permettent pas d’empêcher le candidat de se présenter dans un Etat (cette année, Nader ne pouvait être présents que dans trente-quatre Etats contre quarante-quatre en 2000), ils retardent sa campagne et la neutralise pour partie durant une période non négligeable. Quand ils lui interdisent de se présenter ils permettent de diminuer sensiblement le pourcentage de voix au niveau national des candidats dissidents et donc leur interdit l’accès au financement public des campagnes...
Malgré l'iniquité du système qui les favorise outrageusement, les grands partis ont de surcroit estimé nécessaire d'instaurer une loi destinée à éliminer définitivement la concurrence : peu avant le premier grand débat télévisé de 2000 (parrainé par Philip Morris !), la Commission sur les débats électoraux, organisme bipartite contrôlé par les deux grands partis, inventa une nouvelle règle qui réservait son accès aux seuls candidats obtenant au moins 15 % des voix dans les sondages. Exit donc le « troisième candidat » ! Or, ces débats sont le moment le plus médiatisé de la campagne, le facteur déterminant pour l'issue du scrutin.
De plus, on a vu se développer aux USA une situation assez semblable au second tour des présidentielles françaises. Pris de panique à l'idée que Bush pourrait être réélu, une partie des militants antiguerre, des écologistes, des altermondialistes, des personnalités de gauche et des associations très actives dans le mouvement pacifiste se sont rassemblées autour du slogan « Anybody But Bush ». Cette attitude dite du « moins pire » totalement pourtant irrationnelle est habilement manipulée par les stratèges du Parti démocrate alors que le programme de Kerry, est souvent plus belliciste encore que celui de Bush.
Conséquence de cela, une campagne de calomnies et d'intimidation sans précédent a été menée par les « Démocrates » pour voler les voix du troisième parti !
Articles, lettres ouvertes et pétitions demandant, sur la base d'arguments fallacieux, le retrait de la candidature Nader se sont multipliés, tant dans la presse officielle (New York Times, Washington Post, Wall Street Journal) que dans celle de la vieille gauche progressiste qui s'est embourgeoisée (The Nation, Mother Jones.) ; de nouveaux sites Internet ont été créés spécialement par les Démocrates et leurs satellites pour inciter les électeurs potentiels de Nader à « voter utile ». La campagne avait commencé dès 2003 sur le thème : « Ce n'est pas l'année». Des équipes de « Démocrates » spécialement entraînées (et bien sûr rémunérées...) ont été envoyées systématiquement aux plus importants meetings du candidat Nader pour gâcher les débats en empêchant le public de s'exprimer. D'autres équipes ont été chargées d'intimider, voire de menacer les citoyens qui ont signé en leur faveur pour qu'ils retirent leur signature.
Pis, les « Démocrates » ont engagé, comme je l’ai signalé ci-dessus, des batailles juridiques dans plus de vingt états en vue de disqualifier un maximum de signatures pour interdire l'accès au scrutin des candidats , et de ruiner leur budget de campagne.
L’enthousiasme pro-Kerry des politiciens européens et de l’opinion a résulté de manoeuvres un peu similaires : faire monter la peur de Bush, dire que le seul recours est Kerry, mais ne surtout pas examiner le programme et les intentions.
Or pour nous, Européens, Kush ou Berry, c’est bien la même chose. Durant sa campagne, n’oublions pas que Kerry a préconisé, entre autre, d'envoyer plus de troupes en Irak, d'attaquer sans délais les autres pays sur la liste des « Etats-voyous» (Iran, Syrie, Corée du Nord), et de se débarrasser au plus vite des présidents Hugo Chavez, Fidel Castro et Yasser Arafat. Dans le passé, il a d’ailleurs voté pour l'invasion du Panama, la guerre contre l'Afghanistan, l'agression contre l'Irak, le Patriot Act, et il est un soutien ferme de la politique criminelle de Sharon contre le peuple palestinien. Le slogan de sa campagne est bien : « Pour une Amérique plus forte », et il proclame dans tous ses discours que « l'Amérique doit gouverner le monde ». Cela devrait faire réfléchir...
Si on revient sur l’exemple de l’Irak, le candidat démocrate ne s'est pas vraiment démarqué de Bush. Il a seulement promis d'obtenir l'aide de ses alliés pour ramener plus tôt les soldats à la maison. Seul en définitive son ton est différent. Au lieu d'imposer, il prend le temps d'expliquer, de convaincre. Or c’est cela même qui est très dangereux : Kerry ne nous fournira pas, lui-même, les raisons de rejeter ses propres initiatives, qu'il s'agisse de demandes d'assistance ou d'offres de participation à un objectif commun.
Ce qui vaut pour l'Irak vaut ailleurs. Kerry ne va pas transformer l'Amérique d'un coup de baguette magique. L'unilatéralisme américain n'a pas été inventé par l'Administration actuelle. N'est-ce pas sous Bill Clinton que Washington a refusé de signer le traité de Kyoto sur les gaz à effet de serre ? Et de ratifier la création de la Cour pénale internationale ? La lutte contre « le terrorisme », la pacification de l'Irak, la domination des USA sur le monde entier, resteront des impératifs quel que soit le président des Etats-Unis.
De ce côté-ci de l'Atlantique, George Bush est devenu un tel repoussoir que, depuis quatre ans, on en a perdu de vue l'Amérique. Or c’est bien elle qui est Carthage, qui est l’ennemi, et non pas le locataire amovible de la Maison Blanche.
Ne l’oublions pas et répétons nous en boucle qu’elle soit dirigée par Kush ou par Berry, Carthage doit être détruite.
Christian Bouchet
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