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28/09/03 6.43 t.u. Mark Weber

Dans un mémorandum secret du temps de guerre récemment rendu public, Winston Churchill avait dit à ses conseillers qu’il voulait « tremper » l’Allemagne avec du gaz empoisonné. Le mémo de juillet 1944 de Churchill à son chef d’état-major, le général Hastings Ismay, a été reproduit dans le numéro d’août-septembre 1985 du magazine American Heritage.

« Je veux que vous pensiez très sérieusement à cette question du gaz empoisonné », commençait la note de quatre pages. Le leader de la Grande-Bretagne pendant la guerre continuait : « Il est absurde de considérer la moralité à ce sujet alors que tout le monde l’a employé [le gaz] pendant la dernière guerre sans un mot de plainte de la part des moralistes ou de l’Eglise. D’autre part, pendant la dernière guerre le bombardement des villes ouvertes était considéré comme interdit. Maintenant tout le monde le fait comme une chose normale. C’est simplement une question de changement de mode comme pour les jupes longues et courtes pour les femmes ».

La directive de Churchill disait brutalement : « Je veux un calcul froid pour connaître les résultats qu’on peut attendre de l’emploi du gaz empoisonné ... On ne doit vraiment pas être lié par des conventions stupides, que ce soient celles qui étaient en vigueur pendant la dernière guerre ou les conventions inverses qui règnent dans celle-ci ». Il proposait spécifiquement : « Nous pourrions tremper les villes de la Ruhr et beaucoup d’autres villes
en Allemagne d’une manière telle que la majeure partie de la population ait besoin d’une attention médicale constante... Il pourrait passer plusieurs semaines ou même des mois avant que je vous demande de tremper l’Allemagne avec du gaz empoisonné, et si nous le faisons, faisons-le à cent pour cent. En attendant, je veux que la question soit étudiée froidement par des personnes compétentes et pas par la bande spéciale de défaitistes en uniformes chanteurs de psaumes qu’on rencontre par-ci par-là ».

La proposition de Churchill, qui aurait signifié la violation du protocole de Genève de 1925 prohibant l’utilisation du gaz empoisonné, ne fut jamais adoptée. Ses conseillers militaires arguèrent que la guerre des gaz détournerait les avions de guerre alliés de la stratégie plus efficace du bombardement des industries et des villes d’Allemagne. Les attaques au gaz ne seraient pas décisives, craignaient-ils, et l’Allemagne exercerait très probablement des représailles avec un effet dévastateur pour la Grande-Bretagne. Churchill se plaignit à un proche qu’il « n’était pas du tout convaincu par ce rapport négatif », mais il l’accepta à contrecœur. « Je ne peux pas tenir tête aux pasteurs et aux guerriers en même temps », se plaignit-il en privé.

L’article d’American Heritage, écrit par le professeur d’histoire Barton J. Bernstein de l’Université de Stanford, rapporte aussi que les principaux officiels militaires américains poussaient les Etats-Unis à commencer une guerre des gaz contre le Japon. Le major-général William N. Porter, chef du Service de Guerre Chimique, demanda à la mi-décembre 1943 à ses supérieurs de l’US Army de lancer la guerre des gaz contre les Japonais, et à plusieurs occasions en 1945 le général George C. Marshall, chef d’état-major de l’US Army, recommanda l’utilisation des gaz dans le Pacifique. Il y avait un certain soutien populaire à cette idée. Le New York Daily News déclarait « Nous devrions gazer le Japon », et le Times-Herald de Washington approuvait, expliquant « On peut les faire mieux cuire avec du gaz ». Mais c’était les vues d’une minorité. Environ 75 % des Américains étaient paraît-il opposés au lancement de la guerre des gaz. Après la guerre, le général Marshall déclara que la raison principale de la non-utilisation du gaz avait été l’opposition de la part des Anglais, qui craignaient qu’une Allemagne désespérée pourrait alors l’employer en Europe.

Les Etats-Unis ont produit environ 135.000 tonnes d’agents de guerre chimique pendant la guerre, alors que l’Allemagne en produisit environ 70.000 tonnes, la Grande-Bretagne environ 40.000 et le Japon seulement 7.500 tonnes. Bien que les Alliés avaient de plus grandes réserves d’agents chimiques traditionnels, l’Allemagne développa des gaz innervants bien plus avancés et bien plus mortels, en particulier les agents dévastateurs Tabun, Sarin et Soman. Ils ne furent jamais employés.

Après la guerre un expert en guerre chimique de l’armée britannique conclut que l’Allemagne aurait pu retarder de six mois l’invasion alliée de juin 1944 à travers la Manche si elle avait utilisé les gaz. « Un tel retard », remarqua-t-il, « aurait pu donner aux Allemands le temps de mettre au point leurs nouvelles armes « V », qui auraient rendu la tâche des Alliés bien plus difficile et le bombardement de l’Angleterre à longue distance considérablement pire ». Même en mars et en avril 1945, alors que la résistance militaire allemande s’effondrait rapidement, l’Allemagne respecta son engagement de ne pas employer le gaz. On dit que Hitler refusa d’envisager l’emploi du gaz empoisonné en partie en raison du souvenir de l’horreur de son propre gazage pendant la Première Guerre Mondiale, qui l’avait temporairement rendu aveugle.

Publié dans le Journal for Historical Review, Volume 6, numéro 4, hiver 1985-86.