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Wilhelm Reich et l'érotisme de la "croix gammée"
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27/02/03 |
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5.39 t.u. |
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Elvira Seidel et Werner Olles |
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"Reich démontre que chaque forme de mysticisme organisé, dont le fascisme, repose sur une nostalgie orgiaque insatisfaite dans les masses": voilà ce qu'écrivait un préfacier de Reich, dans une édition de 1970 de son célèbre ouvrage Die Massenpsychologie des Faschismus, écrit en 1933. Ce livre était une analyse aussi précoce que moderne du Troisième Reich, qui se base sur la psychanalyse. Reich y a énoncé une quantité de visions très intéressantes, mais aussi des banalités époustouflantes et des simplismes idéologiques. En tentant de concilier et de fusionner le concept marxiste de révolution et la psychanalyse, Reich a fini par se placer entre deux chaises.
Pour lui, le levier utilisé par les nationaux-socialistes dans leur combat politique était leur ³phraséologie révolutionnaire². Les nationaux-socialistes, poursuivait-il, mélangeaient dans la pratique la sphère politique aux profondeurs de l'inconscient et le meilleur exemple choisi par Reich pour prouver cette thèse était l'usage intensif de la croix gammée dans le decorum hitlérien. Pour Hitler, la croix gammée était le symbole de l'antisémitisme; Reich pouvait certes admettre cette définition, mais, psychanalyste, il entendait aller plus en profondeur: le contenu irrationnel des théories raciales provenait, disait-il, d'une mésinterprétation de la sexualité naturelle. La ³lutte des races², pour Reich, était au fond, le dérivé d'une sexualité défensive. La croix gammée était, pour Reich, ³la représentation de deux formes humaines imbriquées l'une dans l'autre... la croix gammée sinistrogyre représente un acte sexuel en position couchée, la croix gammée dextrogyre, un acte sexuel en position debout². Cette représentation de l'acte sexuel agit sur les couches profondes de l'organisme et provoque un stimulus très puissant aux effets d'autant plus forts sur la personne insatisfaite sur le plan sexuel et nostalgique frustrée de coïts ou de pratiques antérieures. Ensuite, comme ce symbole prétend également représenter l'idéal de fidélité, ³il interpelle également des réflexes défensifs issus du moi moral et peut d'autant mieux être accepté². Ce symbole qu'est la croix gammée unit, dit Reich, deux choses: l'envie d'échapper à des conventions restrictives et, en même temps, la peur. Si cette envie et cette peur sont conjuguées dans un programme politique en apparence révolutionnaire, elles deviennent une offre séduisante pour des masses qui sont tout à la fois insécurisées, bloquées, agressives et à la recherche d'une rédemption.
Il n'est donc pas étonnant qu'avec de tels raisonnements, Reich ait affirmé que le noyau profond de toute émancipation sociale et économique réside dans la ³libération sexuelle² de l'homme. Pour lui, ³les contradictions de la structure économique d'une société sont ancrées dans les structures de la psychologie des masses chez les opprimés². Pour ses disciples, Reich est devenu aujourd'hui un mythe. Sa Charakteranalyse (1933) est un des ouvrages fondamentaux de référence en ce domaine. Reich est né le 24 mars 1897, dans une famille de propriétaires terriens juifs de Boukovine. Sa mère, Cecilia, victime de son mari extrêmement rigoriste, a fini par amorcer une relation amoureuse avec le précepteur de son fils. Quand le jeune Wilhelm a révélé un jour à son père l'existence de cette relation, Cecilia, désemparée, s'est suicidée. Pendant toute sa vie, Wilhelm s'est senti coupable de la mort de sa mère, qu'il aimait beaucoup. En 1914, son père meurt. A 17 ans, Wilhelm est complètement orphelin. Quand la guerre éclate, il se porte volontaire dans l'armée autrichienne. Après la première guerre mondiale, il étudie la médecine à Vienne et devient rapidement le disciple favori de Sigmund Freud. Il ouvre son cabinet médical dans la capitale autrichienne; ce cabinet connaît un réel succès mais Reich travaille simultanément dans le ³service ambulatoire de psychanalyse², qu'il a monté avec Freud et où les patients pauvres peuvent venir se faire soigner gratuitement. En 1930, Reich s'installe à Berlin. Dans le cercle viennois de psychanalyse, ses théories avaient suscité une méfiance croissante chez ses collègues; pour Reich, en effet, l'énergie se répartit en l'homme et, cette énergie, il l'appelle la ³potentialité orgiaque². Même Freud prend acte avec un scepticisme croissant des théories de son ancien disciple favori.
Reich veut se servir des organisations de la jeunesse communiste et du ³Sexpol² subordonné au parti pour promouvoir ses idées et ses pratiques. Son succès va croissant; il donne des cours d'éducation et d'hygiène sexuels et lutte contre l'interdiction de l'avortement et contre la ³famille nucléaire², qui, à ses yeux, était la ³cellule de base de la réaction², ³le principal foyer de production de l'homme conservateur et réactionnaire². Donc le foyer du fascisme. Mais il entre rapidement en conflit avec la direction du parti qui rejette ses thèses sur ³le socialisme qui doit réaliser la joie sexuelle², les considérant comme des rêveries impolitiques. Il est alors exclu du parti communiste allemand qui lui reproche d'être un ³pseudo-marxiste bourgeois².
En Union Soviétique, il constate également un repli rapide du communisme sur des modes autoritaires et nationalistes de diriger la société, car, ajoutait-il dans la foulée de cette déception, la direction russe s'est mise à considérer le travail comme ³l'essentiel de la vie et l'a opposé à la vie sexuelle². Mais il y eut pire: il avait pris ses distances par rapport au communisme et voilà que le Congrès de Lucerne de 1934 l'exclut de l'Association Psychanalytique Internationale. Il émigre alors à Oslo, puis après une campagne de nature idéologique menée contre lui, il part vers les Etats-Unis. Même Albert Einstein s'intéressait à l'³énergie orgonique² découverte par Reich, ainsi qu'à l'³accumulateur d'orgons², à l'aide duquel il espérait trouver la piste du mystère de la vie. En bref, par la théorisation de l'énergie orgonique, Reich voulait élargir la théorie freudienne de la libido et en faire une théorie globale de l'énergie vitale cosmique. Plus tard, Einstein, à son tour, rompit tout contact avec Reich. Celui-ci n'avait plus qu'une toute petite phalange d'admirateurs enthousiastes, trop peu nombreux pour lui donner une renommée importante. Reich s'est alors recroquevillé dans son laboratoire du Maine, l'³Orgonon².
Ensuite, on lui a interdit formellement de poursuivre ses recherches. En 1956, il est condamné à une peine de prison de deux années pour injure au tribunal. Le psychiatre de la prison recommenda d'³interner ce paranoïaque dans une clinique neurologique². Pourtant, il retourna en prison, à Lewisburg. Il y décéda le matin du 3 novembre 1957. Officiellement, sa mort soudaine a été due à une ³défaillance cardiaque². Malgré ce rapport officiel, le bruit, persistant, a circulé qu'il avait été la victime d'un attentat des services secrets. Il aurait connu certains secrets des opérations ³OVNI² et aurait exprimé ses craintes de ne jamais sortir vivant de prison.
Elvira SEIDEL & Werner OLLES.
(article tiré de Junge Freiheit n°46/97, avec l'aimable autorisation des auteurs).
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