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Chaos géopolitique au Moyen-Orient

06/07/04 6.27 t.u.
Immanuel Wallerstein

La souveraineté irakienne a été « rendue », plus ou moins, au peuple irakien. Que va-t-il se passer, désormais ? Tout le monde retient son
souffle, attendant de voir si la guérilla contre les Etats-Unis va - ou non - se calmer. Cela semble peu probable. Dans le cas où elle ne se calme pas, à quoi devons-nous nous attendre - dans six mois, au cours des cinq années à venir ? Nous sommes en présence de quatre foyers cruciaux (et interdépendants) d'instabilité, et donc de changements vraisemblables et de grande ampleur.
Premier problème : un gouvernement irakien, qui soit stable, est-il envisageable ? Pour l'instant, il semble évident que le nationalisme irakien est revenu sur le devant de la scène politique du pays. La seule chose sur
laquelle les chiites et les sunnites (tant leurs clercs religieux que leurs forces laïques) soient d'accord, c'est sur le fait que l'Irak doit se
reformer en un Etat unifié, recouvrer sa vigueur économique et réaffirmer le rôle politique qui lui revient, comme de droit : à savoir, celui d'une puissance de première grandeur dans le monde arabe. Très rares sont les dirigeants chiites ou sunnites à être intéressés par l'instauration d'un système pluraliste, avec alternance gouvernementale et libertés civiles
étendues. C'est tout le contraire : ce que les élites irakiennes veulent, c'est un état fort. Le plus probable est que nous assisterons à la
constitution d'un Etat néo-baathiste, qui différera du précédents sur trois points. (a) Il sera l'ouvre commune d'élites chiites ET sunnites, et non plus des seules élites sunnites. (b) Il comportera une composante islamiste
forte, contrastant avec le laïcisme traditionnel des régimes baathistes - les femmes seront les premières à en pâtir. (c) Enfin, Iyad Allawi se
prépare à jouer le rôle de l'avatar de Saddam, après qu'il aura liquidé le véritable Saddam au moyen d'un procès expéditif, et sans doute à huit clos.

Cela représentera-t-il un mieux, pour le peuple irakien ou encore, pour le gouvernement américain ? Il est permis d'en douter. Pour l'instant, la
direction irakienne actuelle a peur, c'est évident, de couper prématurément le cordon ombilical qui la relie aux forces américaines, et les Etats-Unis vont continuer à occuper l'Irak, jusqu'à nouvel ordre. Mais l'avantage que
ces forces américaines présentent pour le gouvernement irakien s'épuise rapidement et le désavantage qu'il y a, pour le gouvernement irakien, à dépendre d'elles, augmente de jour en jour. Aussi est-il probable que dans
six mois, ou un an tout au plus, le gouvernement irakien (celui qu'il y aura - quel qu'il soit) exigera le retrait de ces forces. Retrait auquel le gouvernement américain ne sera que trop heureux d'agréer. Y aura-t-il des élections, en Irak ? Peut-être. Pas sûr.

Autre foyer d'instabilité : le devenir des Kurdes. Le nouveau gouvernement irakien ne nourrit aucune sympathie particulière pour les aspirations kurdes à un régime fédéral, et les Kurdes ne sont pas prêts à reconnaître la
légitimité de quelque gouvernement que ce soit, dès lors qu'il ne leur concèderait pas ce qu'ils considèrent être la place qui leur revient dans le
pays. Les Kurdes sont très nombreux. Ils sont majoritairement musulmans sunnites, mais jusqu'ici, les tendances islamistes sont plutôt faibles, chez eux. Collectivement, les Kurdes présentent le visage classique d'un
mouvement nationaliste. Les Kurdes ont une histoire malheureuse. Le moment crucial, pour eux, d'avoir un Etat souverain, se présenta une unique fois, à la fin de la Première guerre mondiale, au lendemain de l'effondrement de l'
Empire ottoman. Mais, à l'époque, ni ils n'étaient suffisamment bien organisés, ni ils n'étaient d'une quelconque utilité pour l'une ou l'autre des grandes puissances, pour voir leur aspiration à un Etat satisfaite. Ainsi, ils restèrent divisés entre plusieurs Etats souverains, notamment la Turquie, la Syrie, l'Irak et l'Iran - et ils ne sont bien traités dans aucun de ces Etats.

Partant, cela fait pas mal de temps qu'ils marchent sur la voie de la rébellion nationaliste, et qu'ils se cherchent des alliés là où ils pourraient bien en trouver. Ils n'ont pas eu beaucoup de bol, tout au long de ces trente dernières années. Durant la décennie écoulée, ils ont essayé de jouer la carte américaine, en se présentant comme les alliés les plus fidèles des Etats-Unis dans la région. Les Etats-Unis les avaient plus ou moins trahis, en 1991 ? Ce n'est pas grave, ça ne fait rien ! Ils ont repiqué au truc, en 2003. Danielle Mitterrand, leur égérie enflammée et leur
mascotte, les avait pourtant avertis, à l'époque, que les Etats-Unis seraient un pilier trop vermoulu pour pouvoir y appuyer leur stratégie.
Peine perdue ! Tatie Danielle semble - hélas pour eux ! - avoir vu juste.

Bien que les Etats-Unis aimeraient sans nul doute maintenir leur soutien au Kurdes, l'administration Bush a décidé sans ambiguïté que les Kurdes importaient bien moins que l'Ayatollah Ali al-Sistani, et que s'ils doivent un jour choisir, ils choisiront l'Ayatollah. En réalité, les Etats-Unis n'ont guère le choix : ils pourront difficilement poursuivre les survols de
protection auxquels ils s'étaient engagés vis-à-vis des Kurdes, dans les années 1990, afin de les protéger essentiellement contre les menées de
Saddam Hussein.

Les Kurdes savent tout ça. Ils semblent s'orienter vers l'autre partenaire en mal d'amis au Moyen-Orient : Israël. Et Israël n'est que trop heureux de leur offrir ses services. Mais si Israël peut leur offrir un important
soutien technique et son entregent politique, il ne saurait envoyer son armée au Kurdistan. Or, c'est rien moins que de cela, dont les Kurdes ont
besoin. Par ailleurs, Israël risque fort de découvrir qu'il a assez de problème comme ça. Et de gros problèmes. Le gouvernement Sharon est
confronté à des difficultés sans cesse croissantes. Même si le retrait de Gaza est une fumisterie, il semble que ce soit déjà plus que ce que Sharon est en mesure de mettre en pratique, étant donné la résistance fanatique des
courants pro-colons.

Mais le vrai problème n'est pas là. La résistance palestinienne est encore debout. Et la folie anti-arafatienne de Sharon semble être la garantie que
la résistance va prendre un parfum de plus en plus islamiste, et donc de plus en plus intraitable. Le glissement d'Israël vers la droite, que rien ne semble pouvoir arrêter, a créé une impasse d'où aucune solution politique,
aussi « créative » soit-elle, ne lui permettrait de sortir. Sharon (mais aussi Pérès, et Barak) semble penser qu'Israël a le temps pour lui. Qu'il
lui suffit de créer un fait accompli, et que le monde finira bien, tôt ou tard, par le légitimer. Mais, bien au contraire, le temps joue
incroyablement contre Israël.

Depuis trente ans, au moins, Israël mise sur le soutien diplomatique, économique et militaire indéfectible des Etats-Unis. Et les liens
israélo-américains n'ont jamais été aussi étroits. Sous l'actuelle administration Bush, il est bien difficile d'apercevoir une quelconque
divergence entre les deux gouvernements. Israël est devenu le tabou intouchable de la politique américaine. Tous les hommes politiques
américains soutiennent Israël, dans toutes les circonstances. Mais cela peut-il durer ?
Aujourd'hui, pour Israël, le problème des problèmes, c'est l'invasion de l'Irak par Bush. C'est un fiasco. Et l'opinion publique américaine se cabre, chaque jour un peu plus, devant ce fiasco. Le dernier sondage effectué aux
Etats-Unis montre que, pour la première fois, une majorité d'Américains pensent que l'invasion a été une erreur. Et des membres de l'establishment
américain, tels le Sénateur Fritz Hollings, sont désormais prêts à écrire des tribunes dans les journaux, pour dire que « les Etats-Unis ont perdu
leur autorité morale. » Les Etats-Unis reconsidérant de fond en comble ce qu'ils ont fait en Irak, peu de temps se passera avant que l'opinion publique américaine se mette à remettre en cause le soutien inconditionnel de son
pays à Israël. Et lorsque ce soutien inconditionnel sera à son tour remis en
cause, comme il l'a été au cours de la décennie écoulée dans le cas de l'Europe occidentale, Israël se retrouvera en très grande difficulté.

Cela nous amène au quatrième foyer de changement drastique : l'Iran. Dans le système international, l'Iran est une « puissance moyenne » de première magnitude. Ce pays est très peuplé. Il est riche. Il dispose d'une élite
hautement éduquée. Il est l'héritier d'une civilisation ancestrale. Et il est le principal foyer, avec le sud de l'Irak, du chiisme. Certes, il a des problèmes internes, tenant essentiellement au fait que son régime clérical
est autoritaire et très contesté par une large majorité des Iraniens. Mais cela peut très bien ne pas affecter son poids géopolitique. Pas plus que le régime politique chinois, très rigide sur le plan intérieur, n'empêche la Chine d'être une grande puissance géopolitique, par exemple.
La question du jour, pour les puissances mondiales, en ce qui concerne l'Iran, est celle de la prolifération nucléaire. Je suis d'accord avec ceuxqui disent que le gouvernement iranien n'est pas sincère, sur cette question. Je ne doute pas une seconde que les Iraniens soient en train de mener des recherches dans le domaine du nucléaire militaire. Je ne doute pas non plus qu'au maximum, dans trois ou quatre ans, ils feront exploser leur première bombe atomique, rejoignant du même coup le « club nucléaire », pour reprendre l'expression récente d'un responsable iranien.

A cela, plusieurs raisons. Tout d'abord, l'Iran n'acceptera jamais de se faire acheter, en contrepartie de l'abandon de ses recherches en la matière.C'est déjà une possibilité très réduite dans le cas de la Corée du Nord. Mais, en ce qui concerne l'Iran, c'est une idée qu'il vaut mieux abandonner d'entrée de jeu. De plus, il semble que l'Iran ait véritablement besoin d'électricité nucléaire, s'il veut mener à bien le développement industriel très ambitieux auquel il aspire. Mais, par-dessus tout, l'Iran est entouré
de puissances nucléaires : l'Inde, le Pakistan, la Chine, la Russie, Israël et, bien entendu. les Etats-Unis. Tout dirigeant iranien qui ne chercherait pas à se procurer l'arme nucléaire serait bien étourdi. Mieux : l'Iran ne
peut imaginer pourquoi il est très bon chic bon genre, pour l'Inde, le Pakistan, et, qui plus est, pour Israël, d'être membres du club nucléaire
alors, qu'en revanche, pour lui-même, ce serait totalement ringard.

L'Iran fait face à un danger. Non, il ne s'agit pas d'une invasion des Etats-Unis, qui ne disposent tout simplement pas, pour ce faire, de la puissance militaire nécessaire, pour ne pas parler de la force politique, même si les Iraniens n'ont pas encore de bombe nucléaire. Non. Le danger auquel l'Iran est confronté est celui d'une frappe aérienne d'Israël, visant
à détruire ses installations nucléaires à l'instar de ce qu'Israël a fait en Irak, le 7 juin 1981. Nul doute que les Israéliens envisagent très sérieusement cette éventualité. Le problème étant que le monde a changé,
depuis 1981. En 1981, Israël avait simplement reçu une petite tape sur le poignet, pour sa grossière violation de la légalité internationale. Aujourd'hui, après l'invasion américaine de l'Irak, le monde serait beaucoup moins tolérant. De fait, ce serait un tollé. Et le retour de manivelle dans la tronche d'Israël serait de première grandeur, les Etats-Unis n'étant pas les derniers à y participer. Très peu de gens, que ce soit aux Etats-Unis ou en
Europe, apprécieraient d'être entraînés dans une opération militaire en Iran à leur corps défendant. Et l'Iran pourrait en tirer profit - il le ferait, n'en doutons pas un seul instant - pour augmenter son ascendant déjà
considérable dans la région, y compris en Irak.
L'administration Bush a créé un ouragan de feu. Et tant les Etats-Unis qu'Israël devront payer la note. On le voit : on est très loin du scénario de
rêve envisagé par les faucons néocons.

Paru in Comment n° 140, 01.07.2004
Fernand Braudel Center, Binghamton University

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