La croisade dans les choux
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01/08/02 |
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9.43 t.u. |
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Aurora Uzas |
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Ah ! Ils ont bonne mine tous ceux qui voyaient, dans notre famille politique, la nouvelle croisade du XXIe prendre naissance sur l’îlot du Persil.
En effet, ça na pas raté, plus ramasse-balais de l’Oncle Sam que descendants de Charles-Quint, nos Ibères d’opérette se seront couchés – comme leurs homologues chérifiens, ne faisons pas de jaloux – au premier coup de sifflet de leur maître US.
La queue entre les jambes, nos chiens pelés andalous ont regagné leurs niches, après quelques jappements d’usage. Itou pour les Lions du Rif, plus mûrs pour le zoo que le rezzou…
Enfin, on a toujours les modèles que l’on mérite !
Reste à savoir qui, de nos deux figurants du Nouvel Ordre Mondial, s’en est mieux sorti médiatiquement.
N’en déplaise aux nostalgiques du Cid (titre arabe, soit dit en passant) et aux amoureux transis d’Isabelle-la-Catholique, le pâle héritier d’Hassan II s’en sort mieux que le vétéro-franquiste Aznar, aussi martial (la gomina en moins) en cette affaire qu’un danseur de tango sur le retour.
En effet, entre deux pantalonnades, la chérifienne aura permis, à l’impossible nul n’est tenu " au monde entier de savoir que les présides marocains de Sebta et Melillia sont occupés par l'Espagne ". Ça n’est pas moi qui le dit, mais le ministre marocain de la Fonction publique & de la Réforme administrative, M'hamed Khalifa.
Des voix plus ont tenu un raisonnement plus inquiétant pour l’Europe.
Ainsi, pour Étienne Dubuis, " … la crise a fait une troisième victime : l'Union européenne (UE) qui, en tentant de la régler, a de nouveau étalé sa maladresse et ses divisions ; et ce sur sa frontière la plus sensible, surtout depuis les attentats du 11 septembre, celle qu'elle partage avec le monde musulman (…).
" Résultat : les États-Unis ont “fait le travail”. En bons termes avec le Maroc comme avec l'Espagne, deux pays qui soutiennent fermement leur campagne antiterroriste, ils n'ont eu aucune peine à imposer leur concours, puis à négocier une solution. Ce dont ils ont été aussitôt remerciés. Rabat a attribué ce succès non pas à une entente avec l'Espagne mais “aux contacts couronnés de succès entrepris par Sa Majesté le roi Mohammed VI avec l'administration américaine”… "(1).
Or, comme l’a rappelé L’Orient-Le Jour :
" Les État-Unis et le Maroc, qui sont des alliés traditionnels, avaient récemment entrepris de renforcer leurs liens, dans plusieurs domaines, bien avant l’ouverture de la crise de l’îlot Leila/Perejil. Après une visite du roi Mohammed VI du Maroc à Washington, en avril dernier, le président George W. Bush avait confirmé son intention de négocier avec le royaume, en signe de rare privilège, un accord de libre-échange. Les États-Unis se sont par ailleurs félicités, à plusieurs reprises, de la collaboration apportée par le Maroc dans la lutte antiterroriste, une préoccupation prioritaire de Washington. Les arrestations de plusieurs membres présumés du réseau Al-Qaïda au Maroc, au cours des derniers mois, a été le fruit d’enquêtes menées en liaison par les services secrets des deux pays.
" En mettant l’accent sur ses liens avec Washington, Rabat peut de son côté viser un rééquilibrage très prometteur de ses relations politiques et économiques où l’Europe dispose d’une place dominante. Un contrepoids outre-Atlantique apparaît d’autant plus précieux dans le cadre du règlement des relations très crispées entre le Maroc et l’Espagne. C’est un domaine où l’Europe est très mal placée pour offrir ses bons offices, comme l’ont démontré ses prises de position maladroites lors de la crise de l’îlot Leila ".
Côté américain, le très francophone porte-parole du US Department of State, Richard Boucher, avait souligné que " C’est une dispute entre deux amis et si nous pouvons aider à la résoudre pacifiquement, nous le ferons (…). Nous n’aimons pas voir nos amis se battre et si nous pouvons aider, nous le ferons, quel que soit le sujet de la dispute ".
Nettement moins aimable (ou plus réaliste, au choix), Charles Krauthammer, dans le Washington Post, avait titré Plus de farce que de force et pesamment ironisé sur " la guerre du persil ", du nom espagnol du territoire disputé, qu’il décrira comme une " île rocheuse perdue de la taille d’un terrain de football ".
Mais que nos groupies des mânes du caudillo se consolent, ils n’ont pas été les seuls à se voir priver du fruit de leur wargame.
Car comme l’a souligné Hubert Coudurier, " les Marocains ont voulu tester la réaction espagnole. Ils ont tenté un coup (…). Arguant du modèle de stabilité qu'elle incarne dans le monde arabe, la monarchie alaouite a voulu monnayer son soutien aux Occidentaux contre l'extrémisme islamique. Visiblement c'est raté ! "
Mais, il ne faudrait pas trop bâtir de châteaux en Espagne à partir de cette affaire.
En effet au-delà de leurs contentieux, Espagnols et Marocains s’entendent plutôt bien. On notera, pour mémoire, que " le géant des télécommunications Telefonica est l’une des entreprises espagnoles les plus fortement implantées au Maroc, avec une filiale qui emploie 1 200 personnes. Sa filiale Telefonica Moviles possède 30,5 % de l’opérateur marocain de téléphonie mobile Médi Telecom "(2).
Quant " aux grands groupes espagnols de la confection comme Inditex (Zara), El Corte Ingles et Cortefiel ont installé des centres de production sur le territoire marocain "(3).
Rabat, last but not least, " est également un client privilégié de l’industrie militaire espagnole. En 2000, ce pays a acheté du matériel militaire à l’Espagne pour un montant de 8 millions d’euros, ce qui en fait son huitième client dans ce secteur, selon des chiffres apportés par le journal barcelonais El Periodico "(4).
Que tout cela, en tout cas, de leçons à tous ceux qui se croient un peu vite revenus aux bons vieux temps des colonies. Qu’ils se rappellent que les colonisateurs, cuvée 2002 et plus, sont exclusivement anglo-saxons et que désormais (voir l’Afghanistan) le rôle de la France n’est plus que celui d’une harka aux ordres de Washington.
Notes
(1) Le Temps (23 juillet 2002).
(2) L'Èconomiste (19 Juillet 2002).
(3) Idem.
(4) Idem.
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