Le Vlaams Blok et les prochaines élections européennes
La situation politique belge est aujourd’hui fort tendue : les sondages accordent au Vlaams Blok plus de 20% des voix flamandes. Si ces chiffres s’avèrent exacts, le parti gouvernemental du premier Ministre Guy Verhofstadt perdra bon nombre de ses positions. L’établissement belge en est alarmé car une augmentation importante des voix en faveur du Vlaams Blok, et, simultanément de celles en faveur des chrétiens-démocrates flamands, rendra caduque l’habituelle symétrie, qui stabilise le système politique belge. Cette symétrie vient du fait que l’établissement politique veut que la Belgique soit gouvernée par des coalitions identiques dans chaque parlement régional, expression des communautés ethniques et linguistiques du pays. Une victoire des chrétiens démocrates et des nationalistes du Vlaams Blok donnerait une majorité nettement conservatrice (sur le plan des valeurs traditionnelles), à tendances plus ou moins catholiques en Flandre, tan,dis qu’en Wallonie les libéraux (qui ont adopté avec Louis Michel un profil de gauche) et les socialistes pourraient poursuivre ensemble leur coalition actuelle (contre nature!), mais dont les contradictions politiques et économiques sont surmontées par une commune référence maçonnique en filigrane. Le fossé entre les deux communautés ethnico-linguistiques s’approfondirait encore davantage et les tendances à l’autonomie, voire à l’indépendantisme flamand, se montreraient plus virulentes; et ce fossé serait dû à des options idéologiques et religieuses incompatibles de part et d’autre de la frontière linguistique.
De plus, les dispositions constitutionnelles prévoient que le Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale adopte une clef de répartition fixe entre députés francophones et flamands : 72 députés francophones, 18 députés flamands. Mais, le gouvernement de cette Région de Bruxelles-Capitale (RBC) doit obligatoirement, en vertu de ces dispositions constitutionnelles, compter 50% de ministres (ou de secrétaires d’Etat) flamands et 50% de ministres francophones. Or, comme le Vlaams Blok est le parti flamand le plus important dans la RBC, il a toutes les chances d’obtenir une majorité claire contre tous les autres partis flamands de 51 à 55%. En vertu des dispositions constitutionnelles donc, des membres du VB pourraient devenir ministres au sein de la RBC. Automatiquement, tout l’ostracisme orchestré contre le VB depuis ses progrès électoraux de 1991 disparaîtraient et le parti, en dépit de ces campagnes de haine incessante, deviendrait potentiellement un parti de gouvernement. Pour l’établissement, c’est un cauchemar qui se dessine à l’horizon du 14 juin 2004!
Comment peut-on expliquer cette avancée prévue par tous les sondages qui fait franchir au VB le cap des 20%? D’abord, le parti libéral de Verhofstadt, le VLD, avait toujours préconisé une politique libérale-conservatrice et avait promis un changement dans ce sens à ses électeurs. Mais, derrière le théâtre libéral-conservateur que jouait Verhofstadt, le vieil anti-cléricalisme maçonnique demeurait acharné et virulent en coulisse et cela, dans une Flandre majoritairement catholique (et si la foi et l’assiduité aux offices dominicaux ont nettement faibli, la mentalité générale demeure teintée de catholicisme). L’aile vieille-libérale du VLD, regroupée autour du Président du Sénat Herman Decroo, a opté pour une alliance avec les socialistes, majoritaires en Wallonie. La gauche belge, qui, jadis, était pragmatique et sociale, s’est progressivement distanciée de ces positions rationnelles et raisonnables, et s’est mise à adopter tous les dadas de la nouvelle gauche. Elle s’est engagée pour le combat homosexuel, pour l’organisation régulière de “gay prides” de tous acabits, pour une politique étrangère ultra-gauchisante à la Louis Michel, pour le droit de vote des étrangers, y compris ceux qui refusent de demander la nationalité belge, pour un droit d’asile illimité, sans considération des compétences réelles des demandeurs d’asile; elle a accordé son blanc-seing aux pires dérives des lobbies soi-disant anti-fascistes, qui s’auto-proclamaient “anti-racistes”, tout en n’avançant qu’une seule définition arbitraire du “racisme”, la leur. Les électeurs libéraux traditionnels, mus au départ par des raisonnements pragmatiques, ne pouvaient plus tolérer ces errements : ils avaient voulu une nouvelle politique et, surtout, une diminution générale de la pression fiscale, très forte en Belgique, une protection des petites entreprises familiales à accorder par les pouvoirs publics; ils entendaient que le pouvoir et le gouvernement respectassent les m?urs normales des citoyens sans histoire et un contrôle très strict des flux de demandeurs d’asile, dans un pays donc la densité démographique est parmi les plus hautes d’Europe et du monde. Ces v?ux politiques ne pouvaient en aucune façon se réaliser dans une coalition avec les gauches verte et rouge, avec le parti socialiste. Les anciens électeurs libéraux du parti de Verhofstadt ont donc été très déçus et se tournent désormais vers le Vlaams Blok.
Ensuite, deuxième motif pour l’électeur moyen de se tourner vers le Vlaams Blok : un tribunal de Gand vient de condamner le Vlaams Blok (ou du moins les associations qui assurent son financement) pour délit de “racisme”. Les Flamands, par tradition, haïssent toutes les formes de censure et d’intervention étatique dans leur vie quotidienne. Pour eux, les juges ne doivent pas prononcer de jugements à coloration idéologique, mais se contenter d’éloigner du quotidien les voleurs, les assassins, les fauteurs de violence ou les escrocs. Après ce jugement gantois, idéologique et politique, une vague d’indignation a soulevé la Flandre : les lettres de lecteurs dans les journaux en attestent, qui comparaient très souvent la Belgique actuelle aux anciennes dictatures de facture communiste. Les Professeurs Storme, Bouckaert, l’avocat bruxellois Ferdinand Keuleneer, et d’autres figures importantes du monde universitaire ou du Barreau, ont critiqué sévèrement ce jugement, surtout parce qu’il était de nature idéologique et ne reposait sur aucun fondement juridique précis. Ainsi, le Professeur Storme, bien qu’il ait toujours jeté un regard critique sur les actions et les propositions du Vlaams Blok, a déclaré dans un interview donné à la grande presse, que c’était désormais un “devoir moral” en Flandre de voter pour le Vlaams Blok, puisque les autres partis, qui se déclarent “démocratiques”, avaient avalisé un jugement fondamentalement anti-démocratique. Ce jugement aura, à coup sûr, des effets bénéfiques en nombre de voix pour le Vlaams Blok. Les cadres de ce parti l’ont d’ailleurs senti instinctivement et ont choisi le slogan “pour la liberté d’expression”, comme mot d’ordre principal de la campagne électorale en cours. Effectivement, aux yeux de nombreux électeurs, le Vlaams Blok est devenu le seul parti libre et démocratique.
Troisième point important à signaler : la tendance générale que cultivent quasi tous les Flamands, acquérir davantage d’autonomie au sein du système belge, ira crescendo. La symétrie voulue par l’établissement ne sera plus possible, parce que les chrétiens-démocrates wallons ont connu, au cours de ces dernières années, un ressac historique et catastrophique, sous la houlette d’une président quelque peu hystérique, Joëlle Milquet, qui a littéralement torpillé son propre parti. Sa gestion, contestée, a fait émerger une dissidence, le CDF; d’autres élus ont quitté le parti pour faire cause commune avec les libéraux de Louis Michel dans la campagne en cours. C’est pour cette raison qu’une coalition entre socialistes et démocrates-chrétiens, à la fois en Flandre et en Wallonie, ne sera plus possible. Dans l’avenir, les coalitions seront différentes sur les plans idéologique et philosophique dans les deux grandes régions du pays.
Ce ne seront plus seulement les différences et les querelles linguistiques qui affaibliront la Belgique, mais surtout des clivages idéologiques plus profonds, que les partis traditionnels pouvaient jadis régler ou absorber. Les dérapages ridicules de la nouvelle gauche soixante-huitarde, autant d’expressions d’une éthique de la conviction incapable de générer une politique sérieuse ou d’aborder de véritables enjeux politiques, ont contribué à accélérer le processus de dissolution du royaume. Verhofstadt et sa clique néo-libérale (autre éthique de la conviction), les socialistes soixante-huitards sont donc, pour paraphraser Carl Schmitt, des “accélérateurs involontaires” (“Beschleuniger wider Willen”), donc, en l’occurrence, des accélérateurs involontaires du processus de dissolution de la Belgique.
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