Soljenitsyne et le mur du silence
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29/12/03 |
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8.49 t.u. |
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Roland Gaucher |
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Il y a quelques mois a été traduit en français le second tome du livre de Soljenitsyne « Deux siècles ensemble (1917-1972), Juifs et Russes pendant la période soviétique [1].
Le premier tome était consacré aux rapports entre la communauté juive et le tsarisme. Le second aborde les relations entre la même communauté et le pouvoir bolchevik. C’est un gros volume de 607 pages, bourré de références et de citations, d’une lecture parfois ardue, mais qui, à notre avis, est sans équivalent sur un pareil sujet.
A la lecture du tome I, il apparaissait, ce qui ne pouvait surprendre personne, que ces relations n’avaient pas toujours été excellentes, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais il ressort du tome II que ces même rapports, bien que plus complexes, ont provoqué maints conflits entre les juifs et le régime bolchevik.
Dans leur immense majorité, les juifs approuvent, certes, la chute du tsarisme. Mais on les retrouve du côté de la social-démocratie plutôt que chez les bolcheviks.
Pourtant, lorsque ceux-ci prennent le pouvoir en octobre 1917 et balaient la social-démocratie, leur fraction à l’intérieur du parti bolchevik va jouer un rôle très important. Elle représente environ 30 % des cadres du parti. Nombre de juifs se concentrent dans les grandes villes de la Russie et de l’Ukraine et forment une partie non négligeable dans la société civile, dans le monde des Lettres, des Arts et du cinéma, du théâtre et de la presse.
Ils continuent à être détestés par une grande partie des populations russes, ukrainiennes ou georgiennes, en particulier dans les milieux populaires. Ils subiront, de ce fait, les contrecoups de la guerre civile sous la forme de pogroms.
Une tentative va être faite par le régime bolchevik pour résoudre le problème juif et les tensions qu’il suscite au sein des populations : celle de leur attribuer un territoire, le Birobidjan. Echec complet. La plupart de ceux qui émigrent dans cette région de Sibérie s’empressent de revenir sur leurs lieux d’origine. Il est vrai qu’il fallait cultiver la terre !
Les juifs connaîtront cependant deux périodes particulièrement diffiicels : celle des années 30 et deu début de la guerre avec l’Allemagne, et celle qui précèdera la mort de Staline, dont la cause semble rester mystérieuse aux yeux de l’auteur.
Subissant les conséquences du régime stalinien, un certain nombre de juifs furent déportés au Goulag. Mais certains d’entre eux y occupaient des postes privilégiés.
La création de l’Etat d’Israël va provoquer, à l’origine, le soutien soviétique. Mais les choses changent rapidement, à partir du moment ou Golda Meir, invitée à Moscou, suscite l’enthousiasme d’une immense foule de juifs, Staline n’apprécie pas.
A travers une foule d’exmples, Soljenitsyne montre comment les juifs on participé au régime de terreur soviétique. Et pourtant,selon l’auteur, qui cite nombre de témoignages, ceux-ci contestent toute culpabilité. Qui est responsable alors ? Et bien, l’abominable peuple russe...
Depuis sa traduction en français, le tome II est l’objet, en France, d’un silence quasi absolu. Le Figaro avait consacré un long article au tome I, pour le second, je n’ai rien lu, ni dans le quotidien, ni dans Le Figaro littéraire. Rien non plus dans Libération. Le Monde des livres, lui, a consacré, à cet ouvrages dont la documentation est impressionnante, une dizaine de lignes méprisantes signées par un quidam parfaitement inconnu. Quant à la télé ou la radio, je n’y ai rien vu ou entendu.
Il y eut, jadis, le mur de Berlin, qu’on tente aujourd’hui de nous présenter, dans des films, comme quelque chose qui ne déplaisait pas tellement aux ex-citoyens de la RDA. Aujourd’hui, nous nous heurtons au mur du silence.
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