Turquie, vox populi vox dei
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02/12/02 |
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17.03 t.u. |
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Thomas Demada |
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Que penser de la situation turque ? La victoire de l'AKP (Parti de la Justice et du Développement, anciennement Refah Partisi, Parti de la Prospérité), parti islamique descendant du virulent Parti de la Vertu (dont les aspirations populaires ont été écrasé par l'armée turque, cerbère de la constitution, qui contrairement à son homologue française est loin d'être une "grande muette"...) doit-il alarmer ou réjouir le Peuple d'Europe ? Doit-on craindre un nouveau siège de Vienne par des hordes turcopoles (l'Allemagne étant déjà prise) ? Et faut-il parachuter le demi-cadavre de Jean-Paul II à Clermont pour prêcher la croisade (à chaque monothéisme sa guerre sainte) ?
Trêve de plaisanteries et de fantasmes, pour comprendre les secousses géopolitiques dans le Bosphore il faut reprendre clairement l'histoire politique turque de ces dernières années et l'histoire turque tout court, et surtout éviter d'hurler au loup avec les prélats "judéo-croisés" (pour reprendre l'expression d'un célèbre arabo-yéménite).
La Turquie est un cas très particulier : c'est un pays-pivot sur le plan géopolitique, un carrefour qui conditionne les rapports entre l'Asie, le Moyen-Orient et l'Europe. Asiatique de sang et européenne d'Histoire elle a un rôle privilégié à jouer dans la logique de l'eurasie. Mais soyons clair, elle n'a pas vocation à intégrer notre future nation euro-caucasienne, le peuple turc ne provient pas de la grande matrice qui a forgé les peuples de l'atlantique à l'oural et de la méditerranée aux orcades.
Kemal, le grand législateur turc a toujours été porté aux nues (à juste titre) par les milieux nationalistes européens. Ce modernisateur n'instaura t'il pas un régime fort, farouchement nationaliste mais aussi laïque et social, basé sur le soutien des masses laborieuses et de l'armée ? N'annonce t'il pas les Nasser et les Péron ? On pourrait regretter alors l'échec des héritiers du Kémalisme (le CHP), mais il n'en est rien. Les fils de Kemal ont trahi son héritage, embourgeoisés, ils ont perdu de vue la seule chose essentielle : le Peuple. Par leur alliance avec l'entité sioniste ils ne sont qu'un valet supplémentaire des USA. La continuation de l'œuvre sociale et nationaliste est à chercher du côté du post-islamisme intransigeant du BBP de Yazicioglu et du AKP d'Erbakan: distributions de nourriture, accompagnement des isolés et des démunis aux bureaux de vote, etc... Même si la victoire de l'AKP ne remet, pour l'instant, pas profondément en cause l'alliance américano-sioniste, nul doute que la Turquie renâclera à être la base arrière de l'impérialisme yankee contre l'Irak. Inquiétante est par contre la volonté généralisée des partis de voir la Turquie adhérer à l'UE.
Mais cet attachement ne dépend que des subsides que le pays pourrait en tirer. Erbakan a une autre raison de réclamer la bienveillance de Bruxelles: le risque de voir son succès écrasé par un putsch des éléments réactionnaires de l'armée et de la finance, soutenu par les américains, (comme le prouvent les précédents de 1960 et 1980). Aucun Turc ne se proclame européen et même le plus dégénéré des intellectuels n'oserait leur donner cette qualité (au sens non-mélioratif NDLR). Le peuple turc est l'héritier des troupes de cavaliers seljoucides qui, descendant des steppes asiatiques, portèrent les couleurs du Prophète à la conquête de l'anatolie à partir de 1067 jusqu'à la chute de Byzance par la prise de Constantinople en 1453. L'héritage civilisationnel du peuple turc n'a rien à voir avec les galates, les anatoliens et autres hittites (et même quelques celtes) qui peuplèrent ces contrées (aussi brillantes que furent leurs civilisations). L'anatolie et la Cappadoce byzantine étaient européennes, la Turquie ne l'a jamais été.
Reste alors comme seule grief la remise en cause éventuelle de la laïcité kémaliste. Mais la culture turque est celle de l'Islam conquérant, nier leur aspiration identitaire équivaut à nous reprocher notre propre combat en Europe. L'Islam n'est pas monolithique, le sunnisme ne disposant pas d'un clergé centralisé et unificateur, il dépend beaucoup du peuple qui le pratique. L'Islam turc, dans la ligne de l'empire ottoman, est bien moins envahissant que celui de l'Arabie saoudite. Il descend en fait du pagano-islamisme pratiqué par les seljoucides, peuple converti volontairement (l'Islam correspondant mieux en effet à un peuple de farouche et libres guerriers que le christianisme, il suffit de comparer la vie de Muhammad – Mahomet, dans la mauvaise transcription occidentale – et de Jésus pour s'en convaincre). Le sol appartient au peuple qui le conquiert et y prospère, " la terre et les morts " comme disait mon compatriote Barrès. Souvenons nous, nous qui descendons également d'une race de cavalier que nous ne méritons cette terre que si nous sommes capable de la défendre, la sélection darwinienne s'applique également aux civilisations...
Pour conclure, soyons satisfait pour trois raisons:
– Parce qu'un peuple voit concrétiser sa volonté et renoue avec sa culture.
– Car les américano-sionsites perdent un vassal de plus après l'Arabie Saoudite.
– Car une victoire islamique va, malgré certaines paroles apaisantes de "bonnes consciences" de l'intelligentsia, retarder voir oblitérer la possibilité d'adhésion turque à l'UE.
Thomas Demada
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