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1ère partie - La Cité du Bien-Aimé ou l’Argument de Persée

20/02/03 13.59 t.u.
Israël Shamir

Leurs trois noms comportent une nuance de mystère du Moyen-Age, mais au lieu d’Espérance, de Pénitence et de Merci, les trois sœurs s’appellent Amal, Thawra et Tahrir (Espoir, Révolution et Libération)… Vêtues comme des collégiennes ordinaires, que sont d’ailleurs deux d’entre elles, elles ne dépareraient pas à Yale, ni à l’Université de Tel-Aviv. Leurs livres et leurs CD sont les mêmes que ceux que j’ai aperçus ce matin sur l’étagère, dans la chambre de mon fiston. Mais leur sourire – leur magnifique sourire heureux – leur esprit enjoué et leur moral au beau fixe… : voilà qui sort tout à fait de l’ordinaire, lorsqu’on connaît leurs conditions d’existence…

Voilà cinquante ans, leurs parents ont été chassés de leur maison ancestrale, dans le Sud de la Palestine, parce qu’ils n’étaient pas juifs. Ainsi les trois sœurs sont nées dans une famille de réfugiés, à Hébron. Elles sont nées l’une derrière l’autre, avec peu d’écart entre elles, comme pour compenser les nombreuses années perdues en prison par leur père. Elles le connurent près d’elles, mais pas longtemps : il a été gazé à mort après qu’un colon eût balancé une grenade lacrymogène au beau milieu de leur salon. La plus jeune des trois sœurs, Amal, est au collège, tandis que Tahrir est déjà à l’université, en deuxième année d’architecture, ce bel art d’édifier des idées en pierres de taille et de projeter des lieux de vie. Leur maison, en pierres, modeste, avec trois pièces et de grandes fenêtres, est entourée par les rangées de vignes, au fond d’une vallée. Hélas, elle est condamnée.

Les anges de la dévastation étaient là, dehors, écarquillant les yeux comme pour mieux contempler les ruines de la maison voisine, sa terrasse fendue, au milieu des gravats, et une femme aux cheveux gris, en train de chercher quelque chose parmi les vestiges de ce qui était sa maison, la veille encore.

" Yalla, ufi kvar ! " crissa à la vieille dame une grande Juive dépendeuse d’andouilles, une Barbara-ou-quelque-chose-dans-ce-genre-là : " Disparais ! "

Un officier qui l’accompagnait intervint, obséquieux. Il répéta en arabe l’ordre de la grande sauterelle juive et, tandis que la femme âgée émergeait péniblement du cratère, il rendit compte à Barbara-ou-je-ne-sais-quoi de ce que cette vieille femme lui avait répondu :

" Sa jambe neuve… " dit-il. " Cinq mille shékels… Plus de mille dollars… L’a achetée y‚a tout juste un mois… La portait seulement pour les grandes occases… Hier, quand on lui a pété sa bicoque, l’avait qu’sa vieille jambe de bois… "

" Non, non… l’a perdu sa jambe enfant, en 48, dans le bombardement de la Vieille Ville de Jérusalem… " répondit l’officier à une question qu’avait dû lui poser un homme grand, imposant, portant un complet gris très élégant et une petite kippa sur la tête. Pendant ce temps, deux bulldozers repoussaient les restes de la maison de la vieille dame, dévorant impitoyablement les restes de la vigne et écrabouillant ses feuilles rouges et pourpres, en les mélangeant à la gadoue.

A cette époque de l’année, le rouge pourpre recouvre les collines de la campagne hébronite. C’est la terre des vignes, que Bethléem sépare de la terre des oliviers, plus au nord. C’est le pays des vastes terrains en terrasses, de la terre rougeâtre craquelée, des riches troupeaux de moutons, des sources rares, de la foi solide comme le roc et du raisin. Bien que, voici quelques siècles, les gens du coin aient abandonné leur religion orthodoxe pour se convertir à l’islam, ils pressent toujours leur raisin dans leurs pressoirs en pierre millénaires. En automne, vêtues de leurs longues tuniques sombres aux broderies délicates, les femmes d’Hébron vendent, à la Porte de Damas, à Jérusalem, les grappes jaunes, lourdes et sucrées, encore recouvertes de la poussière du vignoble. Lorsque ma femme a accouché de notre premier garçon, je lui ai offert une de ces robes palestiniennes, noire et cramoisi, brodée des semaines durant dans un village tout proche d’Hébron…

Autant j’aime les paysages de vignobles et les gens d’Hébron, autant ce n’est pas un endroit que je puisse visiter le cœur léger, et je ne suis certainement pas le seul dans ce cas. Comme dans quelque tragédie grecque, une terrible malédiction pèse sur la cité. Si dans l’histoire de Persée c’est un monstre marin qui dévore les vierges de Jaffa, le Monstre d’Hébron, quant à lui, grignote lentement mais inexorablement la ville et ses habitants. Aujourd’hui, Hébron n’est plus que ce genre d’objets à demi digérés que les pêcheurs trouvent parfois dans l’estomac d’un requin hissé sur le pont. Elle conserve certains traits de l’antique et fière cité des hommes, mais elle est à moitié bouffée. Si vous avez quelque moment rendu visite à une belle jeune fille souffrant d’une maladie incurable, et donc condamnée, vous saurez de quoi je veux parler.

En des temps normaux, la contrée d’Hébron serait à juste titre admirée et célébrée. C’est par excellence le Pays de la Bible : le mode de vie de ses habitants n’a guère changé, depuis ces temps reculés. Ce sont toujours ces mêmes pâtres et ces mêmes vignerons et les noms de leurs villages sont gonflés de mémoire. Le grand bandit palestinien Daud, plus tard Roi David, faisait payer l’impôt du sauf-conduit à Maan ; le prophète Amos grandit à Tukua ; Gad est enterré à Halhul. Khalil fut appelé Hébron, puis Saint Abraham, puis de nouveau Khalil, ce qui signifie le Bien-Aimé, car c’est le surnom d’Abraham, le grand héros culturel du Moyen-Orient. C’est la Judée originelle, celle des rois et des prophètes. Judéens, et non pas (en dépit de la proximité dans la consonance) Juifs, et même tout à fait étrangers aux Juifs d’autrefois, qui ne se sont jamais aventurés aussi loin vers le sud : ils n’ont jamais mis les pieds dans cette province trop aride pour eux. L’historien juif Flavius Josèphe ne connaissait rien de ces lieux ; les livres juifs, le Talmud et la Mishna, ne font presque pas mention d’Hébron ni de Bethléem. Les Juifs appelaient cette région " Idumée ", et ses habitants judéens " Iduméens ". (De la même manière, les Juifs appelaient le pays d’Israël " Samarie ", et ses habitants israélites " Samaritains ", dans leur désir de privatiser et de s’approprier l’héritage biblique). Les Judéens indigènes, les gens d’Hébron, d’Al-Khalil, s’en moquaient bien : ils continuaient à travailler leurs champs et à prier dans les mêmes mausolées que leurs ancêtres, les authentiques héros de la Bible…

Par-dessus tout, ils chérissent leur Mosquée Ibrahimiyyé, qui commémore Al-Khalil, le Bien-Aimé de Dieu, Ibrahim (ou Abraham), pionnier spirituel de l’humanité. Cet édifice massif en pierres rustiques a été érigé en des temps immémoriaux. Les Croisés bâtirent une belle basilique sur les anciennes fondations, et les gouvernants éclairés du Caire et de Damas, d’Istanbul et de Bagdad, ornèrent ses murailles de versets du Coran calligraphiés. La Mosquée d’Hébron exsude la sainteté et la grâce, c’est une fontaine spirituelle jaillissant au milieu des collines de la Judée. Oui, c’est cela, le caractère unique de la Terre Sainte : tandis que le Tout Puissant donnait de l’huile à leurs voisins, Il donna aux Hébronites un trésor inépuisable d’esprit saint. Au contraire de l’huile, qui finit un beau jour par manquer, plus il est prodigué d’esprit saint, plus il en reste. C’est probablement la raison pour laquelle l’ennemi rend tellement difficile tout déplacement là-bas…

La Vieille Ville d’Hébron est un dense grouillement de maisons médiévales se pressant autour de la Mosquée Ibrahimiyyé. Les maisons serrées les unes contre les autres ne ménagent que quelques entrées dans ce labyrinthe. Et ces entrées, elles ont été condamnées par des portails en fer et du fil de fer barbelé, ne laissant que deux accès à la ville. Les entrées en sont contrôlées par des checkpoints renforcés. Les soldats vérifièrent une énième fois nos papiers, nous fouillèrent et nous laissèrent entrer, enfin, dans la Cité-du-Bien-Aimé-transformée-en-la-pire-des-prisons dans l’archipel du Goulag de Palestine…

J’avais pour Virgile, dans cette descente aux Enfers, un homme exceptionnel, Jerry Levin, un Américain originaire de l’Alabama. Ancien directeur du bureau de la CNN au Liban, il a passé pas loin d’une année de son existence otage du Hezbollah. Depuis sa libération, il vit dans la Vieille Ville d’Hébron en compagnie d’une petite équipe de militants pacifistes chrétiens. Les membres de cette équipe, le Christian Peacemakers Team, apportent de la nourriture aux civils assiégés, s’efforcent de protéger les habitants de la ville et souffrent en silence des avanies et de la violence des colons et des militaires de Tsahal. Né juif, Jerry a choisi de laisser tomber le culte de la vengeance ; il a embrassé le christianisme et opté pour le camp des opprimés de la Terre.

" Ne soyez pas trop impressionné par ma captivité au Liban ", me prévint-il, un sourire forcé aux lèvres. " Tout le monde, ici, pourra vous parler de captivités beaucoup plus longues et beaucoup plus dures que la mienne… "

Des yeux d’enfants nous épiaient, derrière des barreaux de fer. Les rues étaient désertes : depuis de nombreux mois, les indigènes n’ont pas été autorisés à fouler les voies pavées de leur ville. Un couvre-feu quasi éternel a été imposé, ici, depuis des années. Les échoppes ont été saccagées et brûlées par des pillards colons ; les murs portent des graffiti en lettres cursives hébraïques : " Tuez les Goyim – c’est bon pour les Juifs ! " ; " Kahane avait raison ! " ; " Sois béni, Ô, Docteur Goldstein ! "

Nous frappâmes à la porte en fer d’une maison, et nous entendîmes des sons de lourdes targettes que l’on tirait. La porte fut entrebâillée, juste de quoi nous permettre de passer et d’entrer. Après avoir monté des escaliers très étroits, nous nous retrouvâmes sur une terrasse. Le grandiose édifice de la Mosquée s’élève haut dans le ciel, juste à deux cent mètres de là, mais les habitants s’aventurent rarement aussi loin. Des planches étroites relient les terrasses de la ville et permettent aux Hébronites assiégés d’aller rendre visite à leurs voisins. Leurs enfants, comme des moineaux, courent de maison en maison, sur des planches suspendues à des hauteurs vertigineuses, ou bien observent la rue, au-dessous de leur fenêtre, en passant la tête entre les barreaux. Les rues ont été privatisées par les colons, à leur usage exclusif, de telle sorte qu’ils peuvent y déambuler en toute quiétude, sans même être gênés par la vue importune des Gentils. Régulièrement, les colons fracassent des portes et attaquent les citoyens, balancent leur literie et leurs meubles par les fenêtres et leur cassent la figure. C’est pourquoi leurs portes sont condamnées par d’épaisses planches clouées et par des serrures impressionnantes, afin de ralentir la progression des soldats et des colons au cours de leurs fréquents pogromes. Les habitants ne peuvent même pas sortir de chez eux pour aller acheter de quoi manger : il faut que des volontaires européens et américains leur apportent du ravitaillement… Beaucoup, s’évadant de cet enfer invivable, abandonnent derrière eux leur maison, leurs vignes et leurs propriétés et partent pour l’exil. Dans cette ville à demi bouffée, seuls les plus solides peuvent rester.

Une fois, mon ami américain Michael m’a demandé si les Palestiniens pratiquaient une forme quelconque de lutte non-violente. A Hébron, chaque journée, chaque heure, chaque minute de la vie d’un Palestinien est une lutte non-violente pour l’existence. Malheureusement, cette lutte ne remporte pas un grand succès. Apparemment, les monstres d’Hébron, eux aussi, ont bien besoin d’un Persée qui vienne les convaincre…

Nous ressortons, à découvert. Un colon nous interpelle : il cligne des yeux dans l’obscurité qui emplit l’étroit passage voûté :

" Sales Arabes ! Foutez le camp ! "

Un soldat, au carrefour, le calma : " C’est pas des Arabes, c’est des Internationaux ! "

" Y sont encore pires ! ", hurla le colon, un Juif d’Europe de l’Est, âgé. Puis il nous harangua dans son anglais aux fortes consonances est européennes : " Partez ! On ne veut pas de vous dans le coin ! "

" On ne veut pas de vous non plus ! " répondîmes-nous, prenant la direction de la Mosquée. Elle était entourée de trois rangées de soldats, fraîchement importés d’Éthiopie et d’Ukraine, pour la plupart. On nous fouilla et on nous refouilla, on nous demanda d’où nous venions et pourquoi, nous passâmes sous des portiques détecteurs de métaux et détecteurs de mensonge, sentant vrillés sur nous les regards soupçonneux des troufions, pleins de leur haine infatigable habituelle, et nous pénétrâmes dans le gigantesque cénotaphe d’Abraham. Eh bien, vous me croirez si vous voulez, malgré tout ça, j’ai été saisi par l’émanation de sainteté qui émanait de ce lieu, comme si mon esprit était soulevé et porté par la grande lame d’un tsunami. Haut. Très haut. Je ne sais pas si un lieu saint est saint en raison du saint homme qui y est enterré, ou si, vice-versa, on enterre les hommes saints dans les lieux saints parce que ces lieux sont saints… Mais une chose est sûre : pour un lieu saint, c’était un lieu saint !

En me retournant, je vis ceux qui ont privatisé la source spirituelle. Ils portaient des châles de prière blancs, avec des rayures noires, sur leurs épaules. Ils me virent.

" C’est un Arabe ! " dit l’un d’entre eux.

" Non… C’est un Fritz ! "

" Non : c’est un Arabe avec un passeport israélien - voilà pourquoi il a l’air tellement arrogant ", reprit le premier.

" Toi y en être Arabe ? " demanda le second.

" Bien sûr , Monseigneur ", répondis-je, posément.

" Fous le camp d’ici, vermine ! " crièrent-ils, en chœur.

[ à suivre ]


© mailto:[email protected] (13 décembre 2002) - &Point d'Information Palestine n°210 (27 déc. 2002) -traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier.

 
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