Ainsi va le monde, sans doute
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13/04/03 |
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13.45 t.u. |
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Philippe Randa |
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Ce ne sont ni les arguments, ni les débats qui passionnent les gens, mais les prises de position nettes et définitives.
Certes, la guerre en Irak, depuis l'attaque des troupes américano-anglaises voilà plus de deux semaines maintenant, n'a pas (encore) apporté beaucoup de surprises. À l'exception de la résistance irakienne - ou plutôt de la non-débandade de ses troupes et du non-ralliement immédiat aux « libérateurs » des civils - tout se déroule comme l'avaient annoncés les belligérants : les troupes américaines sont arrivées jusqu'à Bagdad, leur objectif annoncé et les Irakiens n'ont pas tenté de s'y opposer, puisque c'était également leur objectif annoncé de les laisser venir jusque-là pour livrer bataille.
Dix-huit jours passés, donc, pendant lesquels les médias n'ont cessé de faire une surenchère d'informations sensationnelles pour tenir en haleine leurs auditeurs. Tout cela pour ne pas en savoir davantage qu'à la veille du déclenchement des opérations militaires. Il était d'ailleurs ridicule de songer qu'on allait pouvoir vivre en direct une guerre, c'est-à-dire connaître à l'avance les plans secrets des uns et des autres et suivre attaques et contre-attaques surprises seconde par seconde.
Pour qui « les autres » sont- ils ?
À défaut d'informations fiables, il aurait été intéressant d'entamer à cette occasion un débat riche sur les circonstances de ce conflit, sur ses protagonistes, sur leur avenir éventuel et celui de notre Monde.
Force est bien de constater qu'il n'en a rien été. Pour une raison toute simple : rare sont ceux qui cherchent à savoir le « pourquoi » le « comment » d'un événement : ces gens-là ne semblent obsédés que de savoir « pour qui les autres sont ».
Ma chronique précédente était intitulée « Les fous de l'Ordre Moral ». Je commentais la guerre d'Irak à travers les prises de positions idéologiques et philosophiques des représentants actuels de la Maison Blanche, écrivant qu'ils menaient « aujourd'hui, une guerre pour la plus grande gloire de Jésus-Christ »(1). Je m'inquiétais des conséquences d'une telle situation, jugeant qu'elle était des plus dangereuses, et tentaient d'expliquer pourquoi.
J'aurai compris qu'on ne partage pas mon point de vue, qu'on estime que je me trompais, que j'exagérais, que j'étais par trop réducteur, etc. ou encore, de la part de partisans de l'Ordre Moral, que c'était la vérité, mais une excellente chose et que George W. Bush était bel et bien le nouveau Saint-Michel descendu sur terre pour terrasser le dragon à moustache de Bagdad.
Au lieu de cela, un lecteur m'a écrit les lignes suivantes : « Je constate qu'une seule personne parmi les personnages actuels échappe à votre vindicte haineuse : Saddam Hussein. Le bon dictateur ! Quel être excellent, surtout protégeons-le, longue vie à ce cher homme pour le bien de tous les Irakiens. »
Que ce lecteur n'aime pas Saddam Hussein est parfaitement son droit, mais qu'il juge que j'en suis un fervent admirateur par le simple fait que j'écrive quelques lignes sur l'actuel Président des États-Unis d'Amérique est révélateur d'un état d'esprit beaucoup plus répandu qu'on ne le croit.
« Dis-moi pour qui tu es ; pourquoi tu l'es ne m'intéresse pas »
Ce ne sont ni les arguments, ni les débats qui passionnent les gens, ce sont les prises de position nettes et définitives. C'est de savoir si untel « pense pareil » que soi ou pas ; pourquoi il pense ainsi n'a aucun intérêt, semble-t-il.
Je me sais orgueilleux (j'en suis même fier), mais je dois reconnaître qu'en la circonstance, je me suis montré seulement prétentieux : je m'imaginais que mes chroniques pouvaient non pas convaincre qui que ce soit - et pour cause ! cela n'a jamais été dans mes intentions - mais faire réfléchir, attirer l'attention sur un point précis, faire découvrir sinon une vérité (Seuls les Dieux en sont détenteurs, paraît,-il, et encore), du moins certaines facettes d'un problème auxquelles des lecteurs n'avaient peut-être pas songé ou, tout simplement, qu'ils ignoraient alors que beaucoup d'entre eux ne sont friands que de lire ce qu'ils savent déjà, que d'être confortés dans leurs certitudes, que de compter qui est avec (ou contre) eux.
Ainsi va le monde depuis qu'il est monde, sans doute.
(6 avril 2003)
Note
(1) Ou plutôt « une guerre pour la plus grande gloire de la Bible » comme me l'a fait remarquer assez justement un lecteur.
Philippe Randa
Directeur du site www.Dualpha.com
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