14/02/03 10.29 t.u. Pr Norman Finkelstein*

Sharon et la droite extrême ont gagné les élections du 29 janvier en Israël. Ils pourraient profiter de la guerre contre l’Irak pour réaliser un vieux projet: transférer les Palestiniens vers la Jordanie.

Des décideurs politiques influents envisagent à voix haute l'expulsion des Palestiniens. Ceux habitant la Cisjordanie et la bande de Gaza et même les Palestiniens citoyens d'Israël.

Le processus d'Oslo (accord de paix signé en 1993 entre Arafat, Rabin et Clinton) a été conçu afin de trouver une direction palestinienne crédible qui puisse camoufler l'apartheid israélien. Mais du fait de la résistance populaire, Arafat a refusé de jouer le rôle qui lui était imparti.

Paradoxalement, alors que l'apartheid n'est désormais plus une option tenable pour Israël, l'expulsion peut de nouveau en être une. Israël a adopté une stratégie d'apartheid après que les expulsions ethniques soient devenues une politique indéfendable dans le monde d'après-guerre.

Récemment, toutefois, les contraintes juridiques et morales ont connu un relâchement aussi spectaculaire que dramatique. En particulier, depuis le 11 septembre 2001, les États-Unis ont carrément déclaré le droit international nul et non advenu.

Des décideurs politiques influents, et même le doyen des "nouveaux historiens" israéliens, Benny Morris, envisagent à voix haute l'expulsion des Palestiniens. Et d'après un sondage récent de l'Institut israélien Jaffee Center for Strategic Studies, près de la moitié des Israéliens sont partisans de l'expulsion des Palestiniens habitant la Cisjordanie et la bande de Gaza, et près d'un tiers des Israéliens soutiennent l'expulsion des Palestiniens citoyens d'Israël (trois cinquièmes des Israéliens se contenteraient d'"encourager" les Palestiniens citoyens d'Israël à aller voir ailleurs).

Tout au long de son histoire, le mouvement sioniste a fait des paris insensés. La victoire semblait, en permanence, hors de portée. En chacune des occurrences, les sionistes ont exploité jusqu'à la corde une opportunité historique ténue, une chance infime en mettant dans la bataille tous leurs atouts matériels et humains. Le 11 septembre n'a pas encore montré qu'il pouvait être une occasion de ce genre : cela peut encore venir. Le monde a accordé ou s'est vu contraint d'accorder aux États-Unis une sorte de période de grâce durant laquelle ils peuvent se comporter ouvertement comme un État sans foi ni loi. Voilà qui donne à Israël une rare opportunité pour résoudre la question palestinienne, une fois pour toutes.

Israël peut sans aucun doute compter sur le soutien de secteurs puissants aux États-Unis. Le chef de file de la majorité républicaine à la Chambre des représentants, Tom DeLay, et son prédécesseur, Dick Armey, sont à l'origine d'une résolution soutenant la revendication d'Israël d'avoir la totalité de la Judée-Samarie (Israël et les territoires occupés). Armey soutient explicitement l'idée que les Palestiniens qui vivent actuellement en Cisjordanie devraient en partir.

La sénatrice Hillary Clinton (épouse de l'ex-président), récemment en visite en Israël, y a été accueillie par Benny Eilon, le chef de Moledet, parti dont la raison d'être officielle est le transfert des Palestiniens. Un éminent professeur de droit à Harvard, Alan Dershowitz, propose la " destruction automatique " de la totalité d'un village palestinien après chaque attentat. Et l'ouvrage de propagande De toute Eternité de Poan Peters, qui soutient que la Palestine a été désertée (par les Palestiniens) avant la colonisation sioniste, a été republié en 2001. Le livre a occupé presque immédiatement la première place au classement des best-sellers chez le libraire sur Internet Amazon.

En affirmant que Sharon a le plan de débarrasser Israël des Palestiniens, l'historien militaire Martin van Creveld, fournit deux prétextes pour l'expulsion:

a) la diversion offerte par une crise mondiale, comme par exemple " une attaque américaine contre l'Irak " et

b) un attentat terroriste spectaculaire " tuant des centaines de personnes ".

Van Creveld ajoute : " Si Sharon décide de foncer, le seul pays qui puisse l'arrêter, ce sont les États-Unis. L'Amérique ne trouvera pas nécessairement quelque chose à redire à ce que l'on inflige une bonne leçon au monde musulman ".

Le quotidien israélien Ha'aretz du 15 août 2002 évoque le scénario suivant: une attaque américaine contre l'Irak entraîne l'effondrement du régime en Jordanie. Israël met alors en application la vieille " option jordanienne " en expulsant des centaines de milliers de palestiniens au-delà du Jourdain

*Norman Finkelstein, professeur à la City University de New York et fils de rescapés du camp d'Auschwitz, est l'auteur de L’Industrie de l’Holocauste qui a défrayé la chronique en 2000 : il y montre comment Israël a utilisé le génocide nazi contre les Juifs pour ses buts de conquête sioniste. http://www.normanfinkelstein.com.

© Solidaire (3 février 2003, 18h18).