07/09/03 9.04 t.u. Philippe Randa

L'empire Tati s'écroule. Et tous les médias d'analyser les pourquoi et les comment de ce naufrage d'une enseigne dirigée depuis quelques années par Fabien Ouaki, le propre fils du fondateur. Et de s'interroger sur les responsabilités de ce dernier.

Je ne me rappelle pas être entré une seule fois dans un magasin Tati. Non pas que je nourrissais quelque animosité à l'égard de cette marque, mais c'est comme ça. À défaut d'en avoir été le client, j'en ai évidemment entendu parler. Difficile qu'il en fut autrement.

Vivendi-Tati, même punition

Le fondateur de la marque, Jules Ouaki, avait imposé un concept révolutionnaire dans le commerce français, celui de « fringue en vrac », de bazar comme ils n'en existaient alors qu'en Afrique du nord. Le choix du quartier Barbès à Paris pour l'ouverture de son premier magasin en 1948 ne fut évidemment pas un hasard.

Son énorme succès le conduisit à implanter ensuite Tati dans le quartier République et dans la rue de Rennes. Et puis un jour de 1998, sur la Cinquième avenue à New-York. Mais là, c'était la volonté du fils qui lui avait succédé.

Une fois encore, un Français s'attaquait au rêve américain - ou plutôt pour certains l'obsession américaine - en prenant économiquement pied sur le continent de l'Oncle Sam.

Un peu comme Vivendi universal.

Fabien Ouaki-Jean-Marie Messier, même combat ?

Oui, et même fiasco.

Peut-on espérer, au moins, que leurs exemples fassent réfléchir d'autres chefs d'entreprise ? Avec la mondialisation de l'économie, ce n'est pourtant pas les marchés qui manquent, notamment, depuis une quinzaine d'années, ceux des pays d'Europe de l'Est où les pouvoirs d'achat des rescapés du communisme sembleraient plus en phase avec le « concept Tati » de prix cassés.

Mais un demi-siècle de guerre froide a encore laissé des séquelles dans les mentalités. Les États-Unis d'Amérique hypnotisent plusieurs générations de chefs d'entreprise auxquels l'Europe de l'Est leur apparaît comme arriérée et aux mains de maffias sans scrupule (comme si les maffias n'existaient plus outre-atlantique !).

Depuis quinze ans, Tati se voulait « branché », plus à l'écoute des fameux Bo-Bo (Bourgeois-Bohème), cette faune qui fît le Grand Soir électoral de Bertrand Delanoë. Ouaki-père, lui, ne fréquentait pas les crétins de son époque et les immigrés du XVIIIe arrondissement de Paris firent sa fortune.

Dans les cocktails qu'il fréquentait, il a sans doute semblé prestigieux à Fabien Ouaki, 45 ans, d'annoncer qu'il se lançait à la conquête de New-York. S'il avait dû annoncer que Tati s'était implanté à Sofia en Bulgarie, à Bucarest en Roumanie ou à Tirana en Albanie, il aurait alors dû affronter les sourires condescendants de ces interlocuteurs.

Les mêmes sourires condescendants qu'on adressait sans doute à son père 55 ans plus tôt, lorsque fraîchement arrivé de Tunisie, il ouvrit son premier « souk ».

Lui, Fabien, n'avait pas été élevé pour supporter ces sourires-là.

(1er septembre 2003)

Philippe Randa
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