Derniers feux de l’été
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02/10/02 |
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9.28 t.u. |
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Israël Shamir |
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Ce texte est inspiré d'une conférence donnée par Israël Shamir à Trondheim - Norvège.
En des jours meilleurs, j’aurais sauté sur l’occasion de bavarder avec vous jusqu’à plus soif. Et pourrait-il y avoir occasion meilleure que la présentation de mon livre, traduit en norvégien ? En homme prolixe, venu de Jaffa, je vous déroulerais les écheveaux infinis des liens qui unissent la Terre Sainte et les pays nordiques, des Vikings aux négociations d’Oslo. Les anciens Nordiques, vos ancêtres, Vikings ou Varangs, comme on les appelait au Moyen-Orient, étaient enrôlés par les empereurs de Byzance pour protéger la couronne, et tous, sans exception, faisaient le pèlerinage de Jérusalem – pour eux, Jorsala – puis ils poussaient plus loin, jusqu’au Jourdain, et seulement après se lançaient dans de nouvelles expéditions. L‚un d’entre eux, le roi Nordique Harald Hardrada, alla certes à Jorsala-borg, mais il omit d’aller piquer une tête dans les eaux du Jourdain : mal lui en a pris, puisqu’il a été tué à Stamford Bridge, lors d’une tentative avortée de prendre le contrôle de l’Angleterre. Saint Olaf, votre roi et votre saint patron national, enterré à quelques centaines de mètres d’ici, dans la cathédrale de Nidaros, est vénéré, encore aujourd’hui, en Palestine. La semaine passée, j’ai vu une paysanne palestinienne prier, dans la Basilique de Bethléem, au pied de la fresque médiévale colorée représentant Saint Olaf. Peut-être priait-elle pour la Norvège, en échange des efforts des volontaires civils norvégiens, dont l’action permet de sauver sa maison ?
En des temps meilleurs, je vous aurais raconté en détail l’histoire de mon pieux ancêtre, le Rabbin Jacobson qui, ayant quitté notre maison familiale de Tibériade, au bord de la Mer de Galilée, mit le cap sur Trondheim, capitale spirituelle nordique, pour diriger, de là, la communauté juive de Norvège. Je vous aurais aussi parlé de tout ce qui me rattache à la Norvège et à la Suède… de mon pèlerinage dans votre pays aux églises en bois, à l’eau-de-vie redoutable et aux fjords d’une profondeur insondable. Mais les temps ne sont pas bons, c’est le moins qu’on puisse en dire, et cet écheveau de récits va devoir être remis à plus tard.
Hier, je vous aurais dit : la Terre Sainte est en train de vivre probablement la situation la plus douloureuse qu’elle ait connue depuis des siècles. On est en train de la réduire en ruines, et ses enfants sont en train de se faire tuer. On est en train de détruire ses villages, tandis que ses paysans sont contraints à languir dans les camps de réfugiés à Jénine et à Dheishé, ou sont emprisonnés dans les camps de concentration d’Ansar et de Ketziyot. Des centaines d’enfants ont été abattus par les francs-tireurs israéliens, des milliers d’arbres ont été arrachés, et de nombreuses sources détruites.
Peut-être cela vous aurait-il ému, ou bien peut-être ; non. Les Palestiniens se font massacrer, m’auriez-vous dit: en quoi cela est-il nouveau? Les gens se massacrent allègrement, un peu partout dans le monde, de Timor au Brésil, de la Bosnie au Rwanda. Alors pourquoi être désolé et bla-bla-bla…
Pourquoi devrions-nous nous soucier, plus particulièrement, de la Palestine ? J’aurais été le premier à admettre que jusqu’à hier, cette position indifférente et rogue était éminemment sensée. Seule une petite poignée d’hommes et de femmes dévoués, membres d’associations pro-palestiniennes, portaient la torche dans le désert. Aujourd’hui, les choses ont changé : des millions de personnes écoutent le message, et tandis que je vous parle, ici, aujourd’hui, mon distingué ami et professeur Noam Chomsky s’adresse à la foule à Gothenburg, à quelques centaines de kilomètres seulement d’ici, plus au sud.
Pourquoi hier est-il si différent d’aujourd’hui ? Ces belles journées d’automne, lorsque les feuilles prennent des tons pourpres et dorés, au-dessus des eaux bleu roi de vos magnifiques lacs, et que la transparence de l’air exalte les sommets de vos montagnes dentelées, pourraient bien être les derniers beaux jours dont nous jouissions, pour de nombreuses années à venir. Une guerre mondiale menace, une guerre qui est en train de s’enflammer, aujourd’hui même, en Palestine. Nous sommes en août 1914, c’est reparti comme en 14, nous sommes à la veille de la Grande Der des Der. La Première guerre mondiale commença dans les Balkans, en Bosnie. Si, en août 1914, vous aviez dit à un Français que ses amis et lui allaient mourir pour la Bosnie, il vous aurait éclaté de rire à la figure. Mais quelques mois seulement après l’attentat de Sarajevo, la fleur de la jeunesse française se faisait massacrer à Verdun. Nous sommes en 14 ! Nous sommes en 39 !
Aujourd’hui, comme en 1939, il y a à nouveau une puissante volonté de remodeler le monde, et les discours de George Debeuliou Bush nous rappellent très vivement les harangues du chancelier allemand de l’époque [un certain Adolf, Ndt]. Mais qui écrit les discours de Debeuliou ? Qui pousse à la guerre ? Sont-ce les monopoles, du pétrole et de l’armement, comme d’aucuns veulent nous le faire croire ? Le discours belliqueux sur l’Axe du Mal, directement emprunté à Austin Powers (Dr Evil and his Axis - Le Docteur Mal et son Axe) avait été composé par un spécialiste ès discours sioniste, David Frum, qui s’était illustré auparavant dans sa lutte contre l’ " antisémitisme ". C’est un autre sioniste, Wolfowitz, qui dirige aujourd’hui l’armée américaine. Un penseur sioniste de tout premier plan, Norman Podhoretz, appelle à la guerre, pendant que le terriblement libéral juriste Alan Dershowitz fait de la pub pour la torture, meilleur moyen, d’après lui, pour finir par savoir la vérité.
Examinons plus attentivement les projets américains. Récemment, nous avons eu un aperçu rapide de leur campagne programmée. Les plans américains prévoient de détruire l’Irak, d’envahir la Syrie, de faire éclater l’Arabie Séoudite entre plusieurs régions, d’isoler les champs pétrolifères, de les refiler à Israël et d’en finir avec l’Égypte. La nouvelle nous a été gentiment révélée par un homme du lobby juif, Laurent Murawiec [c’est un Français, Ndt], qui travaille sous l’égide du président du panel pour la politique de défense américaine [Defence Policy Board], Richard N. Perle. Ce faucon, grand ami et admirateur de Sharon, sioniste zélé que l’on soupçonne d’être une taupe israélienne, prône la prise de contrôle des champs pétrolifères d’Arabie, la remise de La Mecque et de Médine [les deux premières Villes Saintes de l’Islam, Ndt] à la monarchie hachémite et la saisie les capitaux séoudiens. Il est représentatif de beaucoup de juifs américains. Dans la prestigieuse publication Jewish World Review(1), l’éditorialiste Jonah Goldberg pérore : " Bagdad doit être détruite. L’Amérique doit faire la guerre à l’Irak même si cela risque de causer la perte de vies d’Irakiens – et d’Américains – innocents ". Le professeur David D. Perlmutter est encore plus explicite, dans le Los Angeles Times(2) : " Je fais un rêve éveillé. Ah, si seulement ! Si, en 1948, en 1956, en 1967 ou en 1973 Israël s’était comporté juste un tout petit peu comme le Troisième Reich, alors les Juifs possèderaient aujourd’hui le pétrole du Golfe, et non les Cheikhs ". Des organismes aux sigles plus abscons les uns que les autres, des boîtes à idées (think tanks) et des instituts à n’en plus finir, connectés à la puissante communauté juive des États-Unis, sont reliées par un réseau de connexions en toile d’araignée qui a pour centres la Maison Blanche et le Pentagone. Et ils sont la force agissante qui soutient le Drang nach Östen [poussée vers l’est des armées allemandes, Ndt] nouvelle manière du président Bush.
Regardons la réalité en face, même si elle nous déplaît : les élites juives américaines poussent à l’Armageddon – ou, pour reprendre votre tradition nordique, au Ragnarok, la guerre du destin – afin de placer l’État juif au sommet de la hiérarchie mondiale. C’est le plan d’un mégalomane, mais ce sont des mégalomanes qui sont aux manettes de la superpuissance mondiale unique, ainsi qu’à celles de leur tête de pont moyen-orientale dotée d’armes nucléaires.
Vous me soutenez le contraire ; vous me dites que les juifs – que vous me dites connaître – sont des gens intelligents et pacifiques. Vous me dites qu’il y a, forcément, une erreur quelque part. Laissez-moi vous rappeler une nouvelle brève du grand écrivain et poète américain du XIXe siècle, Edgar Allan Poe, au sujet de l’Allemagne de son temps. Il y dépeint les Allemands sous les traits d’un peuple placide et pacifique, très adonnés à la culture des choux, à la pratique du piano, à l’horlogerie des coucous, à fumer des pipes en porcelaine et à disputer de philosophie. C’est, en substance, l’image que Mark Twain donne, lui aussi, des Allemands dans ses récits de voyages. Selon toutes les apparences, cette image d’Épinal correspondait à la réalité ; d’ailleurs, un officier allemand était témoin au mariage de mes grands-parents, à l’époque de l’occupation allemande de Minsk, en 1916. Vingt-cinq ans après, mes grands-parents décidaient de fuir devant l’avancée de l’armée allemande, sous les risées de leurs voisins juifs, qui se gaussaient, disant : " vous êtes victimes de la propagande bolchevique ; il n’y a aucune raison de fuir, les Allemands sont des gens formidables, pacifiques – les meilleurs amis des juifs, avec ça ! ". Les laissant dire, mes grands-parents prirent la poudre d’escampette, et ils échappèrent au cruel Einsatzcommando, composé d’Allemands dont les pipes bavaroises en porcelaine et la culture des choux n’étaient pas les principales tasses de thé.
Les gens peuvent changer, et si de pacifiques Allemands ont pu devenir pour un temps l’horreur ambulante de l’Humanité, les juifs sont susceptibles de le devenir, eux aussi. J’espère de tout mon cœur que, de même que les Allemands ont pu revenir à leurs personnalités normales, les juifs le pourront aussi, mais je ne pense pas que cela arrivera de soi-même. Il y a une épidémie, et elle se répand à la vitesse du feu dans la paille. Elle provient du racisme inhérent à l’État juif. En allant à l’aéroport Ben-Gourion (de Tel-Aviv), j’ai acheté Ha’aretz, notre principal quotidien de " gôche ". Il y avait une polémique entre notre chef d’État major, “Bougui” Yaalon, et notre ancien Premier ministre travailliste, Ehud Barak. Yaalon comparait les Palestiniens à une tumeur cancéreuse, tandis que le vice-président de l’Internationale socialiste, Barak, exprimait son total désaccord : " les Palestiniens ne sont pas une tumeur. Non. Ce serait plutôt un virus ! ", affirmait-il doctement. Ce racisme se répand dans les communautés juives à la manière d’un incendie de forêt. Les juifs représentant la partie prépondérante des élites américaines, et étant partie constituante, à un moindre degré, des élites européennes, ils communiquent cette maladie aux autres membres de ces élites. Leurs quotidiens et leurs studios de production cinématographique prêchent le racisme, la haine des musulmans, des Allemands, des Français et du reste, y compris les travailleurs blancs d’ " en bas " et les Noirs des États-Unis.
Dans votre tradition Nordique, le maléfique et perfide Loki avait pu tromper le gentil mais néanmoins aveugle Hoed, et faire en sorte qu’il tue son frère, le brillant Balder, qui est une préfiguration nordique du Christ. Aujourd’hui, Loki s’efforce de causer la guerre, à nouveau, entre frères. Il est de notre devoir, et c’est notre droit, de repousser les conseils pernicieux de Loki et de stopper la guerre apocalyptique, le Ragnarok.
Cela ne saurait être fait sans porter remède à la situation en Palestine. Pendant des années, j’ai répété que la Palestine/Israël devait être transformée en un État démocratique, où juifs et Palestiniens vivraient à l’avenir heureux, dans l’égalité. Mais cet État démocratique ne saurait être un État juif, me diront d’aucuns. C’est là où je voulais précisément en venir, je dois vous l’avouer. L’État juif est aussi mauvais que l’État aryen, et quiconque rejette l’État aryen devrait rejeter, tout autant, la notion d’État juif. Sans État juif, les juifs des États-Unis et des autres pays reviendront à la vie normale, oublieront leurs rêves torrides de domination mondiale et deviendront des citoyens respectueux de la loi de leurs pays respectifs.
Jusqu’à aujourd’hui, nos magnifiques camarades et amis de Palestine ont soutenu cette idée. Mais aujourd’hui il s’avère nécessaire de le faire – non seulement pour les Palestiniens, ces gens nobles, courageux et travailleurs, mais aussi pour nous tous, pour la paix du monde. Il y a des Israéliens qui aimeraient vivre en paix avec leurs voisins palestiniens, en paix avec les églises et les mosquées, mais nous ne pouvons aller à l’encontre des forces extérieures qui soutiennent le Monstre Sharon et Pérèss la Ruse. Les Israéliens de bonne volonté et leurs voisins palestiniens ne gagneront pas, à moins que les lignes de ravitaillement de leurs ennemis soient coupées, comme dans l’histoire de Thor.
Selon cette épopée, Thor le Puissant vint à Utgard pour faire étalage de sa bravoure. Les dieux d’Utgard le mirent au défi de boire jusqu’au fond la Corne d’Or. Il but, il but ! mais il ne parvint jamais à vider ce fjord. Ce n’était pas un miracle : le fjord communiquait avec la mer. Ce n’est qu’en coupant le cordon ombilical qu’il parvint à relever le défi qui lui avait été lancé et qu’il put assécher le fjord. Si vous, peuples d’Europe, vous bloquiez cette mer que représentent les aides et subsides extérieurs à Israël, nous pourrions, nous Israéliens et Palestiniens, de changer les choses sur le terrain et d’apporter l’égalité en Palestine et en Israël.
La déconstruction de l’État juif et sa conversion en un État pour tous ses citoyens marqueraient une date capitale dans l’histoire de l’Humanité. De projet pilote pour la mondialisation qu’elle est aujourd’hui, la Terre Sainte pourrait devenir un modèle d’intégration. Les envahisseurs et les locaux se mêleraient entre eux, comme vos ancêtres Normands l’avaient fait dans l’East Anglia, en Sicile et en Normandie, et comme les enfants des Croisés provençaux devinrent Palestiniens dans les villages de montagne de Sinjil et de Gifna, tandis que les juifs, outre-mer, redeviendraient la bénédiction de leurs communautés, à l’instar de mon pieux ancêtre (enterré) dans votre magnifique ville épiscopale.
Notes
(1) Debating War Against Iraq, par Jonah Goldberg, in Jewish World Review (17 juillet 2002) - http://www.jewishworldreview.com/cols/jonah.html.
(2) 7 avril 2002.
© http://www.israelshamir.net] (24 sept. 2002) - - traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier.
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