Dumas et les bêtises du politiquement correct
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02/12/02 |
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20.17 t.u. |
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Philippe Randa |
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Alexandre Dumas père n’a pas manifesté contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Tout le monde l’aura remarqué. Certes, c’est qu’il était mort depuis plus d’un siècle (132 ans très exactement), mais cela n’empêche pas quelques audacieux d’embrigader le nouveau Grand Homme du Panthéon dans leur combat politique. Pourquoi se gêner !
Cet écrivain des plus populaire méritait bien, en effet, d’entrer dans ce sanctuaire de la Nation aux côtés de Voltaire, Rousseau, Hugo, Zola, voire Malraux si affinités. Mais il ne méritait vraiment pas que cela se fît sous les tombereaux de bêtises que les sourcilleux gardes-chasses de la République des Lettres politiquement correctes ont déversés dans les médias pour la circonstance.
De la récupération politique à "2 euros, dix cents"…
Ces gens s’étonnent tout d’abord qu’un Président "de droite" ait panthéonisé un écrivain "de gauche". Faudrait-il encore que l’un et l’autre le soit vraiment.
À en croire l’éditorialiste du Monde(1), Alexandre Dumas père aurait été, outre "farouchement engagé du coté de la réforme sociale, des barricades des Trois Glorieuses aux chemises rouges de Garibaldi", un "Européen, infatigable voyageur jusqu’au Caucase des Tchétchènes, curieux du monde et de sa bigarrure".
Que c’est beau, surtout pour ceux qui ignorent ce que furent ces événements et cet homme !
Les "trois glorieuses", tout d’abord, sont le nom donné aux journées révolutionnaires des 27, 28, 29 juillet 1830… qui aboutirent, après quelques émeutes, à l’abdication de Charles X et à l’avènement de Louis-Philippe ; ce dernier prit le titre de roi des Français. Entre temps, le fait le plus notable fut que les députés de l’opposition (Laffitte, Perier et Thiers) "confisquèrent" les résultats de la révolution populaire "au profit de la bourgeoisie" et "firent afficher sur les murs de Paris un Placard qui affirmait :La République nous exposerait à d’affreuses divisions : elle nous brouillerait avec l’Europe".(2)
Sans commentaire.
Quant à Garibaldi, il servit successivement les rois Charles-Albert (1948) et Victor-Emmanuel II (1856) qu’il salua du titre de "roi d’Italie" (1860), tout en se proclamant la même année "dictateur" de Sicile après y avoir débarqué avec ses hommes. S’il est certain que le grand dessin politique de Garibaldi fut avant tout l’unité de son pays, il est tout de même très douteux de le présenter comme une "caution de gauche", en tout cas d’une gauche comme on l’entend aujourd’hui.
Quant à faire de Dumas père un "fervent Européen" pour le simple fait qu’il a aimé voyager, c’est une récupération vraiment grossière. Parmi les œuvres les plus célèbres de l’écrivain, on notera tout de même que ce sont les romans aux cadres bien français qui me semblent déterminants… mais je n’en tire pour ma part aucune conclusion, contrairement à l’éditorialiste, donneur de leçon, du Monde.
… à la récupération politique la plus ignoble
Mais le plus ignoble dans cette récupération politique d’Alexandre Dumas est sans doute de rabâcher sans cesse qu’il fût un mulâtre… et que "c’est, enfin et surtout, le mûlatre victime du racisme, le descendant d’esclave, le témoin de la traite négrière, bref le symbole même du métissage de la France qui, avec Alexandre Dumas, est reconnu à la place qui devait être la sienne : au cœur de notre identité nationale".
Outre qu’il n’a jamais personnellement argué de ses origines ethniques pour expliquer quoi que ce soit, ni pour en tirer compassion ou profit, la bêtise le dispute une fois encore au mensonge le plus éhonté.
D’une part, qu’un seul écrivain métis négroïde se soit révélé sur plusieurs siècles de littérature française, c’est tout de même bien peu et pourrait prouver, à ceux que la pureté raciale obsède, au contraire que le mélange des sangs est plutôt un facteur aliénant. Mauvaise pioche, donc !
D’autre part qu’Alexandre Dumas père ait été victime de racisme de façon récurrente et grave reste encore à prouver. Pour preuve du contraire, en tout cas, on rappellera que son père, qui naquit dans la servitude, parvint tout de même au grade de général de la Révolution, après s’être engagé comme simple dragon de Louis XVI(3)… et que ses origines n’empêchèrent pas son fils de connaître un foudroyant succès littéraire.
Faire d’Alexandre Dumas le "métis, symbole des identités plurielles et mêlées" me semble tout de même un peu fort de café. Et surtout de café au lait !
Notes
(1) Daté du 30 novembre 2002
(2) Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Bordas.
(3) Rappelons aussi que c’est le 29 mai 1802, c’est-à-dire sous un gouvernement, héritier de la Révolution française, que les officiers dits "de couleur" furent exclus de l’armée française ; que c’est le 2 juillet 1802 que le territoire de l’hexagone fut interdit aux "noirs et gens de couleur" ; que c’est le 8 janvier 1803 que les mariages "mixtes" furent interdits, etc. Si le général Dumas, père d’Alexandre, mourut comme on le dit "de chagrin en 1806, victime de cette épuration raciste", à qui la faute ?
Philippe Randa
Directeur du site dualpha.com
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