Indécente vieillesse
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24/08/03 |
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23.58 t.u. |
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Philippe Randa |
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Une canicule exceptionnelle a emporté quelques milliers de personnes âgées. Et alors ? Alors, c’est la faute au gouvernement, bien sûr. C’est toujours la faute à quelqu’un.
Après avoir menacé le régime obsolète des retraites, la nullité de l’enseignement et le parasitisme des saltimbanques, le gouvernement s’en ait pris à nos vieux. Aujourd’hui, on annonce près de 5 000 morts, suite aux vagues de chaleur de ce début août 2003. Le gouvernement aurait dû prévoir la canicule, empêcher que les hôpitaux ne soient submergés de malades et les morgues d’encombrants cadavres.
Le tollé médiatique est reparti pour un tour !
C’est que la mort, comme la souffrance, est désormais honteuse. Au nom des Droits de l’homme, elles doivent être, non pas seulement retardées pour la première ou atténuée pour la seconde, mais tout bonnement bannies. Mourir n’est décidément pas « citoyen », comme doit s’en persuader Bertrand Cantat au fond de sa geôle lituanienne.
Utopique fontaine de jouvence
Que répondre à cela ? Si on ne bêle pas avec les moutons, on est suspect, forcément suspect. On devient alors soi-même responsable de la canicule, exécuteur des papys et mamies, fossoyeur incompétents de leurs carcasses décharnées. Et pourtant, une évidence, tragique sans doute, mais indiscutable, s’impose : parmi les morts de cet été dus à la canicule, seules les personnes âgées et plus encore isolées et en mauvais états physiquesn ont été rattrapés par la Grande Faucheuse.
Vouloir à tout prix repousser les limites de la mort ne restera, qu’on le veuille ou non, qu’une intention louable.
L’immortalité a de tout temps fasciné l’humanité et la recherche de la fontaine de jouvence, hantée bien des esprits, mais qu’on l’accepte ou non, vieillir n’est jamais une bonne chose. Et ce n’est pas là volonté politique.
Quant aux dysfonctionnements dans les hôpitaux, a-t-il vraiment fallut cette hécatombe estivale pour les découvrir ? Voilà des années maintenant qu’on annonce la décrépitude des services hospitaliers, encore accélérée, elle aussi, par la démagogique loi des 35 heures. Instaurée certes par les socialistes, cette loi a néanmoins été maintenue par la nouvelle majorité. S’il y a une responsabilité gouvernementale, elle se situe entre autres sur ce point, mais les grèves et manifestations du printemps ont démontré que la moindre réforme est difficilement envisageable dans notre pays à l’heure actuelle.
Cachons ces larmes
Quant aux vieux défunctés durant la période incriminée, ce sont principalement ceux qui étaient (on l’a beaucoup dit tout de même) livrés à eux-mêmes, sans proches pour les assister.
Peut-on alors légitimement les pleurer, alors que leur disparition arrange en fait tout le monde. La société la première qui économise autant de retraites et de soins médicaux ; l’État ensuite qui va ponctionner leurs éventuels héritiers et ces derniers enfin qui vont être débarrassés de ces aïeux encombrants qu’ils s’obligeaient parfois à visiter, ne serait-ce que pour s’assurer de l’état d’avancement de leur héritage.
Il n’est pas politiquement correct de le dire, mais les vieux dérangent quand ils vivent trop longtemps. Ils dérangent encore quand ils meurent trop nombreux, surtout au moment des vacances. Combien d’héritiers ont dû abréger leurs sacro-saintes vacances pour cause de décès familial ? Jacques Brel chantait d’ailleurs fort bien les héritiers qui « … pensent aux prix des fleurs et trouvent indécent de ne pas mourir au printemps quand on aime le lilas… »(1)
(18 août 2003)
Note
(1) Tango funèbre (Jacques Brel/Gérard Jouannest).
Philippe Randa
Directeur du site dualpha.com
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