La vie est un long meurtre tranquille
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23/12/02 |
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6.42 t.u. |
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Philippe Randa |
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C'est un banal fait-divers. Il commence dans le vaudeville, se poursuit dans une mare de sang et se termine dans un commentaire odieux.
Le résumé est on ne peut plus simple : un jeune Turc, Muhamed, a une petite amie gauloise : Élodie. Les parents de cette dernière n'apprécient guère. Depuis les Capulet et les Montaigu, ce n'est pas nouveau et l'on a déjà beaucoup écrit sur le sujet. Seule différence d'époque, il ne s'agit plus de haine ancestrale entre deux familles respectables, mais de milieux ethniques différents, sur fond de considérations sociales et judiciaires. Muhamed, en effet, a un "parcours familial, scolaire et judiciaire particulièrement chargé", comme le relate le quotidien Libération : "Renvoyé de l'école pour indiscipline chronique, plusieurs fois condamné pour vol et menace, échec des divers programmes de réinsertion"
Un curriculum vitae plutôt banal de nos jours pour une partie de cette jeunesse en délicatesse d'insertion dans la démocratie française, modèle du genre.
On pourrait évidemment émettre, à l'instar des parents d'Élodie, quelques doutes sur le statut de gendre idéal de Muhamed, mais ce serait là un réflexe de grincheux, aussi banal que le curriculum vitae de l'intéressé.
Si ce n'est lui, c'est donc ses copains
L'amour étant toujours le plus fort, comme nous l'ont si bien démontré les romans de Delly d'abord, Loft story et autres Feux de l'Amour de la télévision ensuite, Élodie n'hésite pas à ouvrir sa fenêtre à l'élu de son c|ur et de ses sens pour une partie de jambes en l'air aussi nocturne que clandestine.
Un marivaudage somme toute, n'est-ce pas, très banal ?
Les galipettes terminées, Muhamed repasse la fenêtre de la chambre et s'apprête à quitter les lieux quand, patatras, le père d'Élodie et un de ses amis lui tombent sur le rabe, persuadés qu'il ne s'est pas seulement contenté des charmes de la demoiselle, mais qu'il a aussi, distraitement, dérobé l'autoradio du 4 x 4 du père d'Élodie.
Au procès, Muhamed expliquera que lui était bien trop occupé à roucouler : l'autoradio a certes été subtilisé, mais par ses copains, restés, eux, sous le balcon de la Belle, à l'attendre. Fallait bien qu'ils s'occupent, non ?
Un larcin qui, de nos jours, est somme toute bien banal aussi, on en conviendra sans barguigner.
Mais comme les deux adultes ne l'entendent pas de cette version, le ton monte et les coups pleuvent. Persuadé que ses jours, voir ses secondes, sont comptés, Muhamed n'a d'autre choix que de brandir un couteau et d'occire l'un des deux "redresseurs de tords" comme les désigne avec mépris Libération. Pour le quotidien gauche-caviar préféré des Bo-bos(1), il est évident que les deux franchouillards ne sont que des adultes racistes à l'Ordre Moral et au sens de la propriété parfaitement déplacés en cet an 2002.
Une évidence extrêmement banale, elle aussi.
Condamné à 20 ans en première instance pour "coup mortel porté avec intention" et "non pour meurtre", souligne encore le quotidien qui tient manifestement à ce que l'on tienne compte de la différence, le procès est désormais en appel.
La victime n'est pas celle que l'on croit
Si Muhamed est un petit voyou exécrable doublé d'un assassin minable auquel je ne reconnais guère de circonstances atténuantes pour la simple raison qu'à son âge, s'il m'est arrivé plus d'une fois de me promener la nuit pour conter fleurette, jamais je ne l'ai fait avec un couteau dans la poche et accompagné de détrousseurs de voiture, c'est encore l'article de Libération qui me semble le plus odieux.
Banalement odieux !
Outre que le journaliste ne juge même pas utile de préciser pour ses lecteurs qu'elle a été la victime - le père d'Élodie ou son copain ? - il termine son article en ironisant sur le psy qui n'avait vu Muhamed "qu'une fois, il y a un an, mais (qui) supposait qu'il n'avait pas changé depuis. L'accusé a beau rétorquer que son coup de couteau fatal est "impardonnable", qu'il avait lui-même convaincu ses amis de rendre l'autoradio".
Le simple fait, après un an d'emprisonnement, de prendre conscience de la gravité de son acte, suffit à l'évidence à ce journaliste pour que le pauvre garçon puisse sans doute être remis en liberté. Encouragé en cela par l'avocat de celui-ci, maître Henri Leclerc - mais lui, il est payé pour cela, on ne peut le lui reprocher - qui explique que "Muhamed utilise des mots assez forts comme "faute et peine". N'y a-t-il pas là quelque chose comme des remords ?"
Le remord serait donc une peine suffisante pour faire oublier la mort d'un être humain ? Espérons que cette certitude ne se répande pas plus largement dans l'Opinion publique à l'avenir, la vie humaine ne vaudrait alors plus grand chose. Mas n'est-ce pas déjà le cas ?
Une constattion bien banale, elle aussi.
Philippe Randa
Note
(1) Bourgeois-Bohème.
Philippe Randa
Directeur du site www.Dualpha.com
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