Linformation spectacle
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29/01/03 |
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17.38 t.u. |
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Philippe Randa |
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C'est la une de l'hebdomadaire Marianne(1) : Que sont devenus ceux qui ont été lynchés ?. Au-delà d'une série de portraits de personnalités (de Jean-Pierre Elkabbach à Michel Tabachnik en remontant jusqu'à Roger Salengro durant l¹entre-deux-guerre),(2) l'auteur de l'article rapporte les drames qu¹ont vécus plusieurs citoyens accusés à tort ou non, entre autres, d¹escroqueries, de meurtres ou plus souvent, air du temps oblige, d¹actes pédophiles : blanchis par la justice, mais traînés dans la boue par les médias et donc condamnés par leurs proches connaissances avant même d¹avoir été jugés, leur vie a été brisé nette. Au nom du droit à l¹information !
Journaliste-procureur
Violaine de Montclos, auteur de l¹article, pose à la fois la bonne question (Y a-t-il une vie après le lynchage ?), résume ensuite parfaitement la situation (Réputation salie, fausses accusations, relaxes tombées dans l¹oubli) et entrecoupe enfin son exposé de sous-titres aussi accrocheurs qu'explicites (Silence, on tue !, Comment s¹indigner des vies brisées sans se heurter au principe du droit à l¹information ?, De tout temps, l¹opinion publique a pris plaisir à voir rouler les têtes, Le tribunal des médias, Condamné avant d¹être jugé, Réhabilitations ignorées, Doutes persistants et Coupables idéaux).
Elle-même inflige ainsi à sa corporation une condamnation sans appel : au nom du droit à l¹information, un journaliste se permet tout ce qu¹il veut, mais le plus grave reste moins son interprétation personnelle des faits que son manque total de responsabilité quant aux conséquences de ses révélations et son absolu manque de déontologie, la plupart du temps, en refusant ou en négligeant de rapporter que telle personne mise en examen pour un fait grave a été finalement mis hors de cause par la justice.
Être innocenté, blanchi par la justice de son pays et, malgré tout, être marqué à vie du sceau de la honte infligé par la surmédiatisation, représente une injustice plus révoltante, plus inacceptable encore, écrit justement Violaine de Montclos.
Droit au spectacle
Et Gérard Delorme, rédacteur en chef à L¹Yonne républicaine reconnaît volontiers le préjudice causé à certains et révèle le pourquoi du comment : Le verdict tombe souvent longtemps après, et puis on ne parle pas des trains qui arrivent à l¹heure.
Dont acte : les lecteurs, quels qu¹ils soient, raffolent davantage des portraits de salopards que de victimes et pour susciter leur intérêt, mieux vaut leur fournir un coupable clé en main, dûment décrit comme tel, plutôt que de leur exposer une situation et des protagonistes où l¹on ne sait pas très bien ou plutôt où l¹on ne sait pas encore qui a fait quoi.
Cet aveu est de taille, puisqu¹il démontre qu¹un journaliste se substitue tout bonnement à un juge et que le droit à l¹information sensé tout justifier, n¹est tout finalement qu¹une obligation de spectacle pour répondre au besoin d¹une ³clientèle² aux instincts les plus louches.
Les journalistes de la presse à scandale sont allègrement brocardés, même par leurs confrères qui en parlent souvent en se bouchant le nez. Rendons hommage à Violaine de Montclos qui remet les pendules journalistiques à l¹heure, c¹est-à-dire la quasi-totalité de cette corporation dans la même épicerie professionnelle.
Notes
(1) N°300, 20 au 26 janvier 2003.
(2) Et aussi : Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn, François Mitterrand, Philippe Guilhaume, le général Chamouton, Colonel Passy. Cette liste établie de façon non exhaustive par la journaliste de Marianne comporte une écrasante majorité de personnalités de gauche. En citant quelques personnalités de droite, cette liste aurait pu être plus équilibrée, me semble-t-il. À moins, bien évidemment, que les personnalités de droite soient moins souvent innocentes, bien sûr.
Philippe Randa
Directeur du site www.Dualpha.com
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