Nos ancêtres les Gaulois
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08/02/04 |
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10.08 t.u. |
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Jean Duverne |
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Pour ceux d’entre nous qui ont fréquenté l’école primaire avant les années 1980, nous savons tous que le « début » de la France a commencé par « nos ancêtres les Gaulois », fable « exportée » dans nos colonies africaines, indochinoises et insulaires. Fable qui en a remplacée une autre ; avant 1830, l’histoire de France commençait à Clovis ! Mon propos n’est pas de faire une analyse critique de l’historiographie officielle passée, mais de relater la manière dont, enfant, je l’ai vécue.
D’abord, fils d’instituteurs laïcs, formés dans les écoles normales d’avant la seconde guerre mondiale, et fortement marqués par l’effondrement de 1940, j’étais déjà quelque peu « formaté ». Un exemple fort de cela est que, régulièrement, au moins deux fois par an, j’étais amené sur la tombe de Charles Péguy, située à Villeroy (77), à proximité du domicile familial. Péguy, mort lors de la première bataille de la Marne, est enterré avec ses camarades dans un mémorial qu’on nomme la « Grande tombe », clôturé par une haie de buis et dans lequel on pénètre par une grille grinçant sur ses gonds, endroit généralement balayé par les vents au milieu des champs. Autrement dit, sinistre, surtout en hiver, lorsque le ciel est plombé. A quelques mètres de ce mémoriel se dresse une croix où est gravé : « Ici tomba Charles Péguy, le 5 septembre 1914 ».
Autant dire que la vision que j’ai eu de l’histoire de France pendant ma scolarité primaire a été quelque peu « héroïque ». C’est pourquoi, si je me limite au premier livre scolaire d’histoire que j’ai eu ente les mains, à l’âge de sept ans, il m’en reste des images fortes. Images est le mot totalement adéquat, puisque chaque leçon se présentait sur deux pages, une comportant un texte, l’autre portant une image en couleur, sensée illustrer ladite leçon.
J’ai « photographié » ces images et j’en ai retenu particulièrement quatre : Vercingétorix, Jeanne d’Arc, le Chevalier Bayard et Joseph Bara.
Qui n’a jamais vu un des multiples tableaux montrant le vaincu d’Alésia se rendant à César en jetant ses armes aux pieds de ce dernier ! Je parle du « vaincu d’Alésia » car Alésia est la seule défaite « française » qui a l’honneur d’avoir des voies publiques, souvent importantes comme à Paris, en son nom. Je suis toujours perplexe quand je pense que l’acte fondateur d’une nation est une défaite militaire suivi d’une romanisation, c’est à dire l’adhésions aux valeurs de l’envahisseur (il n’y a bien sûr ici aucune allusion à la situation actuelle...) Une mondialisation avant l’heure en quelque sorte !
Il ne s’agit évidemment pas de celle qui a été prise en otage par le Front national lors de sa palinodie annuelle du 1 mai (sans illusions, je rappelle aux réactionnaires ultra-libéraux, qu’aucune fête de Jeanne d’Arc n’a jamais été célébrée le 1 mai, et aux « républicains jacobins » qu’il existe une fête nationale de Jeanne d’Arc, fixée le deuxième dimanche de mai, de valeur identique à celle du 14 juillet).
Pour moi, l’image de Jeanne d’Arc n’est pas celle de la pucelle délivrant Orléans ou assistant au sacre de Charles VII, mais de Jeanne au bûcher, attachée à un poteau entouré de flammes et le regard vers le ciel, donc vers Dieu, avec un soldat anglais s’exclamant : « nous avons brûlé une sainte !». La laïcité en prenait un coup... Il faut dire que Jeanne d’Arc, oubliée pendant cinq siècles, n’a pas été ressuscitée par l’extrême-droite ou les royalistes, mais par les républicains « revanchards » à la fin du XIXeme siècle.
Cette instrumentalisation n’est pas fortuite. Certes, la période 1900-1914 n’est pas celle du XVeme siècle où le pays est déchiré entre factions rivales et occupée par une armée étrangère. Mais la France est en crise : affaire Dreyfus, séparation des églises et de l’Etat, grève de plus en plus nombreuses et dures menées par des syndicalistes révolutionnaires, révolte des vignerons du Midi, montée en puissance du mouvement socialiste, hostilité croissante avec l’Allemagne. Il faut donc que la bourgeoisie trouve un moyen pour reprendre le contrôle de la société. Jeanne d’Arc, personnification du patriotisme populaire, fera l’affaire. Morte à vingt-et-un ans, elle n’a pas eu le temps de traîner des casseroles.
Lorraine, vierge et martyre, Jeanne d’Arc était l’image pure et parfaite de la nouvelle Eve qui allait permettre de reprendre aux Prussiens l’Alsace-Lorraine annexée en 1870. Béatifiée en 1909, elle sera canonisée en 1920 comme sainte patronne de la France, « cadeau » du pape à la république après la boucherie de la première guerre mondiale. La boucle était bouclée. La France exsangue se donnait à bon compte l’impression qu’elle était réconciliée avec elle-même jusqu’en 1940...
C’est cette image idéologique fabriquée de toutes pièces qui a été véhiculée pendant des décennies dans nos chers livres d’histoire et distillée goutte à goutte dans le cerveau de nos chères têtes blondes. Les zouaves pontificaux du FN devraient réfléchir à cela... s’ils en sont capables.
Je serai moins long sur Bayard, « le chevalier sans peur et sans reproche ». Ici également, il s’agit d’une affaire d’image. Il ne s’agit pas de celles de Bayard défendant le pont du Garigliano ou armant chevalier François I sur le champ de bataille de Marignan, mais de celle de sa mort. Adossé au tronc d’un arbre, après avoir reçu un coup mortel d’arquebuse pendant la campagne d’Italie, il est en train d’agoniser. Vient alors le connétable de Bourbon, français passé à l’ennemi, qui exprime sa pitié de le voir dans cet état. Je me souviens de la réponse de Bayard telle qu’elle illustrait l’image : « Je ne suis pas à plaindre car je meurs en homme de bien ; c’est moi qui ait pitié de vous qui combattez contre votre roi, votre patrie et votre serment ».
Il est facile d’imaginer quel effet cette image et ce discours purent avoir sur l’esprit d’un gamin de sept ou huit ans déjà éduqué dans le culte de la Patrie...
Je terminerai par Joseph Bara et l’époque. En 1793, pendant les guerres vendéennes, le jeune Bara, qui a quatorze ans, est hussard dans l’armée républicaine. Chargé de garder les chevaux de ses compagnons, il est surpris par des chouans armés de faux. Le commentaire de l’image est : « Sommé de crier "Vive le roi !", il répondit par le cri : "Vive la République !" et tomba percé de coups ». L’image représente Bara, tenant toujours les chevaux (le devoir avant tout...), le corps percé de coups de faux par des chouans hirsutes (autrement dit des barbares...)
Quelque puisse être la véracité des différentes histoires, les paroles prononcées par les divers protagonistes ont des relents trop littéraires, voire emphatiques, pour correspondre à la réalité. Le but, pourtant, était simple. Il fallait montrer aux élèves que jeunes ou vieux, chefs ou simples auxiliaires, nous devions tous être prêts pour mourir - selon l’époque - pour le Roi, la France, la République, bref pour la patrie.
Il est certain que de tels discours ne « passent » plus aujourd’hui et je doute fort que dans les mouvements « nationalistes français » comme le FN et les multiples chapelles « souverainistes », on trouve beaucoup de volontaires pour des actes « héroïques » (à part quelques ratonnades, bien sûr, chez les plus portés sur la kronenbourg...)
Il n’y a pas de nostalgie de ma part, car j’ai su décrypter le message subliminal qu’on voulait nous inculquer, mais je regrette que le modèle actuellement dominant soit celui d’une indifférenciation des cultures, d’un métissage généralisé et imposé, obligeant l’un à être similaire à l’autre.
La dictature du même, telle est sans doute la forme ultime de l’ennemi.
Jean Duverne
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