Pourquoi Sa Sainteté le Pape n'irait-il pas à Bagdad ?
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21/02/03 |
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18.32 t.u. |
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Père Raed Abusahlia |
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Le spectre de la guerre s'est emparé du monde. Partout où vous allez, les gens vous posent la même question : "Quand la guerre aura-t-elle lieu?" Et ils insistent: "Est-ce que la guerre aura lieu?" Comme si l'affaire était tranchée et irrévocable. Et voilà qu'ils prédisent la date de son déclenchement et font circuler toutes les rumeurs possibles. Mais tandis que s'amplifient les voix des "va-t-en guerre", s'élèvent des voix prophétiques qui s'opposent à la guerre et mettent en garde sur ses conséquences, en soulignant que cette guerre n'a aucune justification valable si ce n'est celle de la prévention et des intérêts politiques et économiques de la nouvelle domination américaine sur le monde.
Et parmi ces voix prophétiques, nous entendons celle du Pape Jean-Paul II qui n'a cessé depuis plus de dix ans de réclamer la suppression du blocus de l'Iraq. Et voilà que maintenant, il envoie à Bagdad un délégué spécial en la personne du cardinal français Roger Etchégaray, qui est appelé l'homme des missions difficiles ou même impossibles. Cela fait suite aux autres démarches du Pape: il a reçu vendredi dernier Monsieur Tarek Aziz au Vatican auquel il a réaffirmé son opposition à la guerre et au recours à la force pour résoudre les problèmes; de plus, il n'a cessé d'appeler à prier et à supplier pour la paix. Vraiment la diplomatie vaticane se démène dans tous les sens pour empêcher la guerre et éviter à la région tous les désastres qui en découlent.
Il semble que les voix des va-t-en guerre s'amplifient de jour en jour en étouffant cette voix prophétique et en faisant semblant d'ignorer qu'elle représente la plus haute autorité religieuse, spirituelle et morale dans le monde d'aujourd'hui; la politique, en effet, n'a aucune préoccupation religieuse ou morale. Et tandis que s'amplifie sans aucune interruption la concentration des forces militaires américaines et britanniques dans le Golfe, nous prenons conscience que l'heure de la confrontation est arrivée. Il sera alors trop tard pour revenir en arrière. En effet, lorsqu'on met le feu aux poudres, il est difficile de l'éteindre. Bagdad et toute la région risquent d'être plongés dans l'anarchie et la destruction, dans un cataclysme aux conséquences imprévisibles.
Lorsqu'un "fou" allume un incendie, on a besoin de cent personnes raisonnables pour l'éteindre. C'est pour cela que, avec une pleine confiance en Dieu, j'aimerais dire : Pourquoi Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II ne mettrait-il pas le monde dans l'embarras en devançant les événements par une visite de solidarité avec le peuple irakien à Bagdad et par l'envoi d'un message clair à tous les partisans de la guerre leur disant que la folie a des limites? Il y a plus d'une raison qui poussent à proposer cette initiative et à pousser un grand cri :
Nous ne voulons pas que cette visite soit un soutien au régime irakien ou à son président Saddam Hussein mais une protection du peuple irakien, chrétiens comme musulmans. Ce peuple a déjà souffert de la guerre irako-iranienne, de la première guerre du Golfe après l'occupation du Koweit, et finalement du blocus qui lui a été imposé au nom des Nations Unis et dont ont été victimes plus d'un million d'enfants par manque de médicaments et de nourriture. Il faut maintenant que ce peuple puisse jouir du repos, du calme et de la paix.
Nous ne voulons pas donner un soufflet aux Nations Unies, à ses alliés et à tous les partisans de la guerre. Nous voulons seulement lancer un cri au monde pour qu'il se réveille de sa somnolence et de son indifférence, qu'il reprenne son bon sens, qu'il retrouve son calme et sa stabilité alors que l'anarchie, le trouble, le tumulte, l'effervescence dominent le monde : véritable tourbillon impétueux qui nous conduit vers le gouffre.
Nous ne voulons pas que cette visite soit un simple pèlerinage sur le lieu de naisssance d'Abraham, à Ur en Chaldée. Le Pape n'a cessé de rêver à cette visite lors de l'année du Jubilé. Cependant, il s'est contenté de célébrer la mémoire d'Abraham au Vatican avant son pèlerinage historique sur les pas de Moïse en Egypte, de Jean-Baptiste en Jordanie, du Christ en Terre Sainte et de Saint Paul en Syrie et en Grèce. Mais nous voulons qu'il aille fortifier plus d'un millions de chrétiens chaldéens qui vivent en Iraq et qui parlent la langue chaldéenne, proche de la langue araméenne parlée par le Christ. Notre volonté est qu'il soutienne également cette illustre Eglise dont les ressources humaines et matérielles commencent à s'épuiser par suite de l'émigration de plus de 250000 de ses membres durant les vingt dernières années.
Nous ne voulons pas un voyage touristique dans ce pays situé entre les deux fleuves, berceau des civilisations assyrienne, babylonienne et islamique, dont les vestiges ne cessent de polariser les chercheurs et les aventuriers. D'ailleurs, le Saint Père, maître illustre et souffrant, a besoin de repos... Mais nous voulons qu'il utilise sa force spirituelle, morale, théologique et écclésiale pour attirer les regards du monde vers la tragédie d'un peuple qui souffre. Nous voulons qu'il inspire aux hommes politiques un sens spirituel et moral, qu'il leur enseigne comment résoudre les conflits, qu'il dise à haute voix que la guerre n'entraîne que des destructions et ne sème que la mort, et qu'il déclare avec force que l'homme vaut plus que le pétrole, la richesse et l'argent.
Pour que sa visite ne soit pas seulement un pèlerinage ou du tourisme, et pour qu'elle ne soit pas interprêtée comme un soutien au régime iraquien et à Saddam Hussein, ni comme une opposition aux Américains, aux Anglais, à Bush et à Blair, nous souhaitons qu'elle soit un programme articulé et le lancement d'une initiative de travail; ce qui prouverait, de plus, que le Pape est un homme bon et pacifique et qu'il possède un regard pénétrant. Par suite, nous proposons qu'il porte dans son carquois une initiative de paix, qu'il obtienne une déclaration d'engagement et qu'il adresse un message aux gouvernants :
Concernant l'initiative de paix, il est possible qu'elle soit une convocation à un congrès international au Vatican, traitant de la question iraquienne en général et palestinienne en particulier et de la réponse à y apporter par des voies pacifiques. Il est indispensable que ce colloque rassemble toutes les parties concernées, y compris Bush, Saddam, Sharon et Arafat.
Quant à la déclaration d'engagement, que l'ensemble des parties, mené par Saddam lui-même, s'engage, avec une intention droite, à résoudre les différends connus de tous, par les voies du dialogue et de la négociation en commençant par la réconciliation des peuples.
Enfin, que le message indique clairement aux gouvernants de s'occuper scrupuleusement de leurs peuples, de ne pas détruire leurs ressources naturelles et humaines, de ne pas dépenser leur argent en achat d'armes, de mettre de côté l'idée de la guerre, de ne jamais y recourir, et par conséquent d'oeuvrer au désarmement non seulement des pays faibles et pauvres, mais aussi des pays riches et puissants. Ceci est un cri intense : "Non à la guerre et non aux armes !"
De peur que la visite ne soit une pièce de théâtre passagère, dont l'efficacité se terminerait lors du retour du Pape au Vatican et dont l'issue serait alors une déclaration de guerre des Américains, nous proposons que le Pape reste à Bagdad le temps nécessaire pour prendre les mesures efficaces afin de convoquer ce congrès international. Nous souhaitons également que l'Iraq se prépare à détruire toutes ses armes, que les Américains se retirent des pays limitrophes de l'Iraq et que tous les préparatifs d'une guerre probable prennent fin.
Pour que ce message soit intense et plus efficace, nous appelons le Pape à convoquer tous les responsables religieux du monde à une rencontre à Bagdad, à l'exemple de celle d'Assise. Elle pourrait prendre le nom de "Tente d'Abraham". Une fois présents, ces responsables pourraient nouer un dialogue interreligieux sur la justice et la paix, prier dans les différents rites et langues, proclamer une réconcialition historique, qui poserait un terme aux combats des civilisations et des cultures entre l'Occident se réclamant du christianisme et l'Orient attaché à l'islam. Ainsi, ils prouveraient au monde que les religions peuvent et doivent se porter garantes de l'humanité de l'homme et le défendre pour ne pas le laisser aux mains des politiques aventurières.
Vous pensez que je rêve, oui, mais moi, je suis réaliste. En effet, je vois que le monde des politiciens est incapable d'apporter des solutions à cette crise. Même les Nations Unies sont dans l'incapacité de changer le cours des événements qui tendent de plus en plus à une guerre. C'est pourquoi, une heureuse surprise comme celle-ci - et le Pape est capable de ce genre de surprise puisqu'il a visité Sarajevo pendant la guerre - peut entraîner un changement radical, transformer le cours du conflit, se diriger vers un chemin pacifique qui doit éviter la guerre et ouvrir des horizons à une solution pacifique de la crise.
Père Raed Abusahlia
Prêtre du Patriarcat Latin – Curé de Taybeh
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