Pépédéïenne littérature
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31/08/03 |
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5.38 t.u. |
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Philippe Randa |
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La rentrée politique sera chaude. Caniculaire, peut-être, à l'instar de cet été 2003. Mais la rentrée littéraire, elle, sera inflationniste. Comme chaque année désormais.
Les Français, qu'ils lisent beaucoup ou non (sinon pas du tout), ont un rapport passionnel, voir fusionnel, avec la littérature. Inconsciemment, ils estiment sans doute qu'il s'agit là d'une sorte de domaine réservé dont les grands noms de leur passé témoignent : de Rabelais à Montaigne, de Voltaire à Balzac, de Racine à Molière, d'Hugo à Zola, de Stendhal à Chateaubriand, de Proust à Montherlant, la liste n'en finit jamais.
Pas même pour équilibrer un pied de table
Chaque mois de septembre a donc un petit quelque chose de sacré et seuls quelques esprits grinçants font remarquer que certains attendent « le » roman de la rentrée un peu comme d'autres attendent le beaujolais nouveau. Mais à une différence près et notable : on ne s'attend plus depuis longtemps à ce que « l'élu » soit ou non excellent, seul compte de savoir lequel ce sera.
Pour le deviner, rien de moins simple. Il y a seulement dix ans, le choix se faisait entre 300 nouveaux romans. Cette année, ce sera entre 69' romans français et étranger, peut-on lire dans Le Figaro littéraire(1). Un chiffre sacrément précis puisqu'à l'unité près.
691 seulement ? Même pas : il s'agit là uniquement des romans publiés par de « gros » éditeurs ; ne sont pas pris en compte ceux publiés par les maisons d'éditions plus modestes et bien plus nombreuses.
La conséquence d'une telle « inflation littéraire » qui se reproduit chaque année, est évidemment terrible : les critiques ne peuvent parler de tous les romans et les libraires en exposent convenablement un petit quart seulement (et encore !).
Quand on ne parle pas d'un livre et qu'on ne le voit pas, à défaut de deviner « le » roman de la rentrée, on est sûr de deviner le sort ainsi réservé à quatre-vingt pour cent de cette production littéraire démesurée : au mieux quelques mois dans les bacs des soldeurs ; au pire le pilon S Même pour équilibrer un pied de table, on n'en voudra pas.
Médiatiquement vôtre
Et pourtant, chaque année, les écrivains sont plus nombreux, les parutions plus nombreuses, l'autodafé plus impitoyable.
Un éditeur m'annonça un jour qu'il venait d'obtenir pour son auteur le prix Napoléon. Il en était très fier. Le prix était de 15 000 euros (100 000 francs d'alors) pour le seul auteur. L'éditeur, lui, n'avait que la satisfaction de la récompense pour l'un de ses poulains. Il fallait bien qu'il s'en contente, c'était le jeu. Je lui faisais néanmoins remarquer que cela allait influer sur les ventes et donc qu'il en retirerait à son tour un bénéfice, ce qui était la moindre des choses.
Il me répondit alors que ce prix littéraire ferait vendre au moins 20 à 30 exemplaires de plus. Ce n'était pas le Prix Goncourt.
‹ Pas davantage ?
‹ Probablement pas.
J'étais pour le moins étonné :
‹ Alors, que faut-il faire pour qu'un livre se vende ?
‹ tre Patrick Poivre d'Arvor.
Cet éditeur m'expliqua alors qu'il avait croisé au précédent salon du livre de Béziers le célèbre présentateur du Journal Télévisé de TF1. C'était le samedi soir. PPDA lui expliqua qu'il rentrait le soir-même à Paris, ayant vendu en trois petites heures la totalité des livres prévus par l'organisateur de son stand pour la durée du week-end. L'éditeur avait effectivement remarqué l'affluence des « lecteurs » devant sa table durant toute l'après-midi.
Patrick Poivre d'Arvor est-il ou non un bon écrivain, le sera-t-on jamais ? Sa gloire médiatique empêche sans doute tout jugement serein sur la question.
On annonce ainsi pour cette rentrée 2003 le succès prévisible de Frédéric Beigbeider avec son roman Windows on the world. Pourquoi ? « Parce qu'il sait communiquer. Il va, n'en doutons pas, se retrouver sur les plateaux de télévision pour présenter son nouveau roman. La presse s'apprête à encenser ou à descendre en flammes ces pages qui racontent, minute par minute, les derniers moments d'un père et de ses deux enfants dans un restaurant du 107e étage du World Trade Center », écrit Dominique Guiou dans son article « Sécheresse en France, inondation en librairie »
Espérons pour l'ancien publicitaire qu'il réussisse davantage la promotion de son dernier livre que celle du candidat Robert Hue dont il fut le grand communiquant lors de la dernière élection présidentielle(2).
(26 août 2003)
Notes
(1) « Sécheresse en France, inondation en librairie », Dominique Guiou, 21 août 2003.
(2) Le successeur de Maurice Thorez et de Georges Marchais fit moins de 4 % des suffrages.
Philippe Randa
Directeur du site www.Dualpha.com
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